Alors que la Catalogne subit les contre-coups de la stratégie unilatérale des indépendantistes, le Pays basque apparaît comme un véritable contre-modèle. Autonomie fiscale et dialogue avec Madrid semblent être les ingrédients du succès d’une région où la lutte armée appartient désormais au passé.
Au cœur de la crise politique en Catalogne, plusieurs personnalités ont tenté d’appuyer un dialogue entre les partisans de la déclaration unilatérale d’indépendance (DUI) et le gouvernement de Mariano Rajoy. L’une d’elles n’est autre qu’Iñigo Urkullu, le lehendakari (chef du gouvernement basque).
Comme le raconte La Vanguardia, ce dernier a notamment insisté pour que Carles Puigdemont devance la mise sous tutelle de la Catalogne (article 155 de la constitution espagnole) en convoquant des élections régionales anticipées. Si cette tentative d’apaisement à échouée, elle est très symbolique d’un Pays basque préférant désormais le dialogue avec Madrid plutôt qu’une stratégie unilatérale, notamment dans sa version catalane.
Alors qu’en Catalogne, l’indépendance séduit grosso modo la moitié de la population, cette option ne rassemble qu’entre 20 et 30% des Basques espagnols. Seule la coalition EH Bildu (littéralement « Réunir le Pays basque ») prône ouvertement l’indépendance mais elle n’a réuni que 21,13% des suffrages lors des dernières élections régionales, en septembre 2016. L’autonomie actuelle du Pays basque semble satisfaire une grande majorité de la population quand la Communauté autonome catalane apparaît comme un cadre frustrant et trop limité pour nombre de Catalans.
Un statut fiscal très avantageux
Il faut dire que si les deux régions détiennent une large autonomie (reconnaissance d’une langue co-officielle – en plein renouveau – à côté du castillan, police régionale, larges compétences en matières sociale et éducative, chaîne de télévision publique régionale), le Pays basque dispose d’une compétence supplémentaire dans un domaine-clé que lui envient la Catalogne et la plupart des autres communautés autonomes : la fiscalité.
Tout comme la Navarre voisine, une charte (foro) – lointain héritage médiéval – permet en effet au Pays basque de lever et prélever lui-même l’impôt sur son territoire. La région ne reverse à l’État central qu’une somme correspondant aux services assurés par ce dernier sur le territoire basque ainsi qu’une contribution proportionnelle pour les fonctions régaliennes (armée, diplomatie, etc).
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La région ayant le deuxième PIB/hab de l’Espagne ne participe donc quasiment pas au régime de redistribution financier des communautés les plus riches vers les moins favorisées. Ce système permettant de partager équitablement les ressources financières du pays est particulièrement critiqué en Catalogne où il est accusé de faire perdre près de 16 milliards d’euros par an à la région.
Comme le rappelle Ignacio Zubiri, professeur de Finances publiques à l’Université du Pays basque (UPV) cité par Matthieu de Taillac pour Le Figaro, à la sortie du franquisme au moment où les autonomies étaient restaurées, le gouvernement espagnol avait proposé un système quasiment équivalent pour la Catalogne. Mais les dirigeants de la Generalitat avaient refusé, arguant que « lever l’impôt n’était pas une bonne manière d’inaugurer la communauté autonome ». Car si le Pays basque peut lever l’impôt, c’est aussi à lui de l’assumer politiquement ; il ne peut pas se retourner sur « Madrid » pour critiquer son montant.
Plus de 30 ans de violences
Ce statut fiscal avantageux est un argument important en faveur de l’autonomie basque. Mais le large consensus autour de celle-ci apparaît désormais après des décennies de lutte violente pour l’indépendance, mené par l’ETA (Euskadi ta Askatasuna, « Pays basque et liberté »), mouvement considéré comme terroriste par l’Union européenne jusqu’en 2010. La violence de ce dernier (plus de 800 assassinats), le risque de guerre civile et une lutte antiterroriste parfois très musclée ont progressivement réduit le soutien populaire en faveur de ce mouvement d’inspiration marxiste. En 2011, ETA a annoncé la fin définitive de son action armée. L’indépendantisme n’est désormais plus qu’un combat politique.
Euskadi comme on appelle également le Pays basque est dirigé depuis 1980 – sauf entre 2009 et 2013 – par les autonomistes du PNV, le Parti nationaliste basque. Ce mouvement de centre-droit (membre du groupe ALDE au Parlement européen) a régulièrement joué un rôle d’appoint pour permettre aux grands partis espagnols de disposer d’une majorité aux Cortes, lui permettant d’obtenir habilement un renforcement de l’autonomie basque en échange de ce soutien.
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Pendant des décennies, le pacifique mouvement indépendantiste catalan était mis en avant comme un modèle face aux luttes violentes traversant le Pays basque. Maintenant, l’unilatéralisme des désormais ex-dirigeants catalans apparaît comme une voie bien incertaine et très solitaire à l’inverse de l’autonomisme basque. En 2016, Iñigo Urkullu déclarait ainsi : « Parler d’indépendance au XXIe siècle, c’est revenir aux images d’autrefois. Il est impossible qu’aujourd’hui un État puisse déclarer son indépendance ». Une phrase que pourraient méditer nombre de leaders régionalistes européens même si l’exceptionnel statut fiscal basque montre peut-être aussi que les velléités indépendantistes sont d’abord une histoire de gros sous.