Le 9 janvier dernier, Eurosorbonne rencontrait le député européen français Pascal Durand lors d’une visite du Parlement européen à Bruxelles. Après une courte présentation sur le rôle des députés européens, l’élu écologiste est longuement revenu sur le sujet du trilogue, processus de plus en plus utilisé et de plus en plus controversé.
Le trilogue intervient pendant la procédure législative ordinaire : quelques représentants choisis et mandatés du Parlement européen, du Conseil des ministres et de la Commission européenne se rencontrent lors de réunions informelles pour tenter de trouver plus rapidement un compromis législatif pour les actes qui seront votés en séance officielle ensuite.
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Aujourd’hui, selon Pascal Durand, le monde devient de plus en plus technique et c’est donc l’expertise qui prime. Et cette expertise remet en cause la transparence.
« L’expertise domine et l’expertise déteste la transparence
Pour illustrer le danger de l’expertise, le député écologiste est revenu sur le scandale des émissions polluantes de Volkswagen il y a deux ans. Il a ainsi expliqué que les contrôles étaient réalisés par des États où l’industrie automobile a un poids majeur : en Allemagne et en France, Volkswagen ou Renault – les deux premiers constructeurs automobile mondiaux – représentent des milliards d’euros et des millions d’emplois. Selon lui, l’intérêt des gouvernements est donc avant tout « d’écraser l’affaire », en prévenant les dirigeants commerciaux de ne pas ébruiter le scandale. On apprend ainsi la vérité par des experts indépendants ou des ONG tandis que les experts mandatés par les États vont tenter d’éviter l’esclandre.
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Aujourd’hui, selon M. Durand, les experts sont accaparés par les entreprises car ils sont mieux rémunérés et tenus ainsi de défendre la société pour laquelle ils travaillent dans leurs démonstrations. Il a rappelé notamment que concernant le glyphosate, la Commission européenne s’est basée sur 80 expertises environ, dont 50 sont restées inconnues. Pour le député écologiste, la France et plus largement l’Europe manquent d’une filiale d’expertise indépendante avec un budget suffisamment important dévolu à rémunérer « des experts qui porteraient la réalité des émissions des véhicules, des effets secondaires des médicaments, etc ».
« La démocratie européenne est en train de devenir de plus en plus opaque »
Selon Pascal Durand, le Parlement est un espace de transparence, car les débats qui y prennent place – que ce soit en séance plénière ou en commission parlementaire – sont publics, accessibles aux journalistes et à tous les citoyens (notamment par l’intermédiaire de la retransmission sur internet). Mais lors des trilogues, « les portes sont fermées » et la transparence remise en cause.
Le problème le plus important selon le député européen est le défaut de transparence du Conseil par rapport au Parlement, car les mandats confiés aux participants des trilogues sont publics pour le Parlement, issus soit d’un vote en commission parlementaire avec le renvoi direct de la commission vers le trilogue, soit d’un vote en plénière. Le Conseil sait tout du Parlement, par pays, par délégation, par groupe politique. A contrario, seule la position commune du Conseil est publique, et le Parlement Européen, comme les citoyens, ne savent pas comment a émergé cette position commune et quel pays a défendu quoi, donc on ne peut pas connaître les rapports de force, ce qui est pourtant nécessaire à un débat démocratique transparent et équilibré. C’est ce manque de transparence qui rend « la démocratie européenne de plus en plus opaque ».
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Pour illustrer cela, M. Durand a repris l’exemple du scandale « dieselgate ». Le Parlement voulait obtenir de sérieux contrôles européens des véhicules sur le marché : les députés souhaitaient ainsi 50 000 véhicules contrôlés par an tandis que le représentant du Conseil refusait de monter au-delà de 30 000 véhicules contrôlés, s’en tenant selon lui à son mandat. Le député écologiste reproche alors qu’il soit impossible de savoir si le mandat s’arrêtait réellement à 30 000 véhicules contrôlés ou si cela était simplement la volonté du négociateur du Conseil. « C’est comme la négociation au poker, sauf que ce ne sont pas des intérêts privés, c’est une histoire de bien commun, de santé publique ».
Aller plus loin que les seuls intérêts individuels
Pour le député européen, « les trilogues sont des discussions d’épiciers », et celles-ci peuvent se passer plus ou moins bien aussi selon le talent du négociateur qui peut varier selon son ancienneté, son implication, sa connaissance ou sa conception du sujet mais aussi son désir de défendre des intérêts privés nationaux contre l’intérêt général : « nous sommes dans une situation où on essaie de ménager à la fois les petits, les moyens, les plus grands. Mais il faut parfois faire un choix, et si le choix est la santé publique, alors il faut des émissions de véhicules connus sur lesquels on peut agir ».
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Dans ces conditions d’opacité, Pascal Durand condamne donc fermement l’usage devenu systématique des trilogues, cette “boite noire du fonctionnement du pouvoir législatif de l’Union”, et face au manque de transparence du Conseil, il donne sa propre solution : la suppression du Conseil tel qu’il est pour le transformer en une deuxième chambre sur le modèle des Bundestag et Bundesrat allemands : une chambre représentant l’Europe avec des députés européens élus directement sur des listes européennes et une chambre représentant les États mais aussi les régions (permettant par exemple que la Catalogne soit représentée au niveau européen) et la Commission en tant qu’exécutif de ces deux chambres.