Eurosorbonne a rencontré Divina Frau-Meigs, professeure à l’Institut du monde anglophone de la Sorbonne nouvelle (Paris 3) et membre du tout récent groupe d’expert de haut niveau de la Commission européenne sur les fake news. La sortie du rapport de ce groupe le lundi 12 mars fournit l’occasion de parler de ce phénomène en pleine expansion et des pistes pour lutter contre.
Qu’est-ce qu’une fake news ?
Je vais vous donner ma définition personnelle. Une fake news n’existe pas. Selon moi, c’est un phénomène nouveau. Mais je préfère le terme de « malinformation » pour le séparer des trois registres qui apparaissaient auparavant :
Il y avait le registre de l’idéal de vérité que les journalistes cherchaient à atteindre. Mais les fake news sont justement l’opposé de cela.
Il y avait également le registre de la propagande, de la malveillance provenant d’un autre pays. Mais cela est ancien et a toujours existé, en s’intensifiant pendant la 2e guerre mondiale, notamment du côté du régime nazi. Toutefois désormais, il s’agit de ce que l’OTAN appelle « des menaces hybrides » dont on ne peut pas clairement identifier la provenance et qui n’agissent pas officiellement pour le compte d’un État en particulier.
Et le troisième registre est celui de la responsabilité des donneurs d’ordre. Le problème, c’est qu’il s’agit désormais de plus en plus des plateformes hébergeant des médias sociaux. Sauf que ceux-ci ne se réclament pas des médias alors qu’ils contribuent tout de même énormément à la diffusion et à la monétisation des fake news.
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Selon moi, il y a également un quatrième registre qui est nouveau et qui marque donc une rupture dans l’histoire des fausses informations et justifie l’expression de « malinformation » : c’est ce que l’on pourrait appeler le malware Il s’agit de l’intervention automatique et robotisée, tout ce que l’intelligence artificielle nous réserve pour accompagner la malveillance humaine, souvent à partir de faits vrais décontextualisés.
Et cela induit une viralité nouvelle qui, désormais, dépasse les publics spécifiquement visés auparavant. Par exemple, les sceptiques de l’extrême droite étaient pratiquement les seuls à partager des vues négationnistes. Désormais, celles-ci se diffusent à des publics nouveaux, beaucoup plus larges, qui ne s’attendaient pas à les lire et dont le scepticisme peut s’accroître insidieusement.
En quoi les fake news sont-elles une menace pour les démocraties ?
Un aspect dont on parle peu dans l’analyse des fake news est leur impact sur les communautés. Il n’est pas encore très bien mesuré mais les premières études disent qu’il n’est pas forcément très important, même s’il s’agit encore d’études sur le court terme, basées sur le seul suivi des fils de discussion sur Twitter, voire Facebook. Toutefois, sur le long terme, les effets secondaires et diffus inquiètent les démocraties, car ils peuvent produire des conséquences inattendues, dont le soupçon généralisé.
Les fake news participent à instiller le doute sur la qualité des institutions, sur les médias, sur les hommes et femmes politiques. Ce doute existait déjà auparavant mais il se propage plus intensément sous la pression de la malinformation. Le plus ennuyeux, c est que certaines fake news utilisent des faits vrais, mais sortis de leur contexte.
Par exemple, à la suite de son premier discours sur l’état de l’Union devant le Congrès américain, Donald Trump avait affirmé dans un tweet que ce discours avait été le plus suivi de l’histoire. Il s’appuyait sur une étude réalisée par un institut de statistiques. Mais en réalité, il omettait de préciser que cette étude soulignait que son discours avait bel et bien été le plus suivi de l’histoire, mais seulement… sur le câble.
Thank you for all of the nice compliments and reviews on the State of the Union speech. 45.6 million people watched, the highest number in history. @FoxNews beat every other Network, for the first time ever, with 11.7 million people tuning in. Delivered from the heart!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 1 février 2018
Et cela devient particulièrement dangereux quand l’information sert à prendre des décisions et notamment le vote. Si cette décision se fait sur la base de « malinformation », cela peut fausser les résultats dans l’isoloir, avec des conséquences durables sur l’intégrité des élections.
C’est pour cela que l’Union européenne, et plus particulièrement la Commission européenne, a créé un groupe d’experts de haut niveau sur les fake news parce qu’à l’approche des élections européennes de mai 2019, elle se sent menacée et parce qu’il y a déjà eu des précédents douteux avec le Brexit et l’élection de Donald Trump.
Que peut faire ce groupe d’experts de haut niveau sur les fake news ?
Il s’agit d’un groupe qui a pour but de croiser les points de vue entre un grand nombre d’acteurs différents : des chercheurs, des journalistes, des représentants des plateformes, des associations de la société civile. Initié par la DG Connect et chapeauté par la Commissaire Mariya Gabriel, ce processus de consultation multipartite a pour but, à l’issue de différentes réunions et rencontres, d’arriver éventuellement à un document commun qui préconise un certain nombre de choses pour chacun des acteurs. Ce rapport sera livré au public lundi 12 mars.
Les participants espèrent que ce groupe va faire émerger des consensus, ou, en tous cas, clarifier ce sur quoi il y a des accords possibles, tout en pointant des désaccords à suivre. C’est un processus de catalyse, optimal pour des questions complexes quand il n’y a pas un seul acteur qui a toutes les réponses. Cela pourrait aller jusqu’à formuler les bases d’une future proposition législative de la Commission européenne, même si la solution privilégiée par tous dans un premier temps est une auto-régulation, voire une co-régulation négociée. Le but est de rester dans le débat contradictoire propre à tout bon processus démocratique, sans céder à la panique ni à la censure.
En menant une réflexion au niveau européen des 27 de l’UE, il s’agit également de dire que l’on est plus fort que si chacun agit séparément dans son pays. Cela permet d’être plus crédible face à des pays tiers qui veulent intervenir dans les affaires européennes. Parfois, envoyer ce message un peu plus fort peut suffire pour faire évoluer le statu-quo.
Mais, là aussi, l’Europe n’est pas homogène. Certains pays sont plus ou moins matures sur la mise en place de médias indépendants, d’autres sont plus ou moins touchés par la malinformation. Certains se sentent plus menacés comme les pays d’Europe centrale et orientale ou les pays baltes mais ce sont également des États membres dans lequel les médias ont parfois du mal à faire leur travail.
Alors que votre groupe vient tout juste de finir ses travaux, quelles sont les propositions que vous préconisez pour lutter contre les fake news ?
Pour ma part, je ne préconise pas que l’on aille vers de la censure sur le contenu. D’abord parce que c’est impossible à faire en démocratie mais aussi parce que ce qui était de la malinformation au premier abord peut se révéler être de vraies informations, comme par exemple le « Penelope Gate ». Et c’est toute l’ambiguïté du projet d’Emmanuel Macron qui souhaite une loi contre les fake news en période électorale car c’est aussi la période où le débat est le plus intense et où les critiques sont les plus fortes.
Ce n’est donc pas une question de vérité mais une question de fiabilité et de responsabilité des plateformes. Ces dernières ont d’ores et déjà anticipé. Facebook vient d’annoncer le recrutement de plusieurs milliers de personnes supplémentaires pour lutter contre les fake news. Mais les plateformes ont atteint ce qu’elles pouvaient faire dans le cadre de leur propre initiative.
Le but est donc de les inciter à faire des modifications de structure de dissémination de la malinformation, surtout en les poussant à être plus responsables et plus transparentes, notamment par le biais d’un code de conduite adopté par tout le secteur, avec la menace crédible d’une enquête sectorielle si la situation ne s’améliore pas. L’idée est aussi de les amener à reconfigurer leurs algorithmes pour que ceux-ci poussent plus les faits vrais, de qualité, et moins le sensationnel, l’émotionnel et les comptes qui émettent des fake news. Il faut donc en parallèle travailler sur l’identification des sites et lieux d’où part la « malinformation » et susciter plus de découvrabilité de l’information de qualité.
Y a-t-il d’autres pistes ?
Bien sûr. On peut également inciter les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft NDLR) – qui recouvrent énormément de fonds à partir des news en général – à payer davantage d’impôts dans les pays où elles sont implantées, notamment pour financer de l’information de qualité (devenue très chère à produire), des formations pour les journalistes afin qu’ils puissent mieux identifier les fake news, et des collectifs de repérage des fake news et de production de démentis étayés, comme certains médias de référence ont déjà commencé à le faire, par exemple Le Monde avec les Décodeurs et leur Décodex (avec le soutien du fonds Google entre autres).
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Et puis, il y a évidemment ce qui est l’une de mes spécialités : l’éducation aux médias, à l’information et à la culture numérique. Et ce, pour les jeunes et les adultes. Le but est de les former le plus tôt possible à avoir un esprit critique et à acquérir une démarche scientifique qui leur permette de mieux analyser l’information sur les médias de masse comme sur les médias sociaux, à connaître le fonctionnement de base des algorithmes, des big data, etc. Sur ces questions, la Sorbonne Nouvelle a été pionnière entre 2005 et 2015, avec la création du Master AIGEME (Applications Informatiques : Gestion, Éducation aux Médias, E-formation), dans une perspective agile et trans-disciplinaire.
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Propos recueillis par Noémie Chardon et Josselin Petit