Citée comme la troisième priorité de la Commission par son président Jean-Claude Juncker dans son discours du 9 septembre 2015 sur l’Etat de l’Union, l’énergie est un domaine-clé dans l’action de l’Union européenne. Suite aux bouleversements géopolitiques des dernières années, la sécurité de l’approvisionnement énergétique européen a acquis une dimension encore plus pressante, comme nous l’a expliquée Gaspard Demur de la DG « Energie » lors de notre voyage à Bruxelles.
- État des lieux
Produisant 6,1% de l’énergie mondiale mais en consommant 12,7%, il paraît évident que l’UE doit recourir à des importations pour assurer ses besoins en énergie. Elle est en effet fortement dépendante de la Russie et de la Norvège, mais également de l’Arabie Saoudite, du Nigeria et de la Libye pour répondre à ses besoins en pétrole. Concernant le gaz, c’est encore une fois la Russie et la Norvège qui sont ses principaux fournisseurs, aux côtés de l’Algérie et du Qatar.
Cependant, la dépendance énergétique de l’UE ne signifie pas que chaque Etat soit dans la même situation. Alors que seulement 20% du gaz consommé en France est importé de Russie, dans les Etats baltes c’est la totalité du gaz consommé qui provient de Russie (le gaz représentant d’ailleurs près du quart de leur bouquet énergétique). C’est à l’occasion de fortes crises, comme celle de 2009 entre la Russie et l’Ukraine sur fonds d’accusations d’impayés et de menaces (mises à exécution) de rupture des approvisionnements, qu’apparaissent plus clairement les dangers d’une dépendance si prononcée : la crise avait entraîné une augmentation des prix du gaz et créé des tensions sur le marché dans les Balkans, l’Europe centrale, l’Allemagne, l’Italie et la Grèce. Notons toutefois que la relation de dépendance fonctionne aussi dans le sens inverse : en 2013, 71% des exportations russes de gaz étaient à destination de l’Europe et en particulier de l’Allemagne et de l’Italie.
- Dépendance énergétique et accès aux ressources
Comment réduire la dépendance énergétique de l’UE et comment assurer l’accès aux ressources dans le climat de tensions actuel ? Le gaz et le pétrole sont en effet non seulement des produits économiques mais aussi des produits politiques puisque les difficultés d’approvisionnement peuvent mettre sous pression les pouvoirs politiques d’un pays.
L’harmonisation de la politique énergétique européenne est loin d’être complète mais l’objectif est bien de créer un marché unique de l’énergie et de pouvoir s’exprimer d’une voix commune sur la scène internationale.
- Trois pistes envisagées
La création de nouvelles routes est une première piste envisagée pour diversifier les sources d’énergie, notamment à travers le projet du corridor gazier sud-européen. Au lieu de quitter la Sibérie en passant ensuite par l’Ukraine, le gaz partirait de gisements azerbaïdjanais dans la mer Caspienne et cheminerait à travers la Géorgie, la Turquie, la Grèce et l’Albanie jusqu’à l’Italie. Ce chemin plus rapide permettrait également de baisser les coûts de transport pour les producteurs comme pour les consommateurs. Il y a néanmoins plusieurs obstacles – problèmes environnementaux en Grèce et en Italie, géopolitiques au Kurdistan, et de nombreuses voix s’élèvent contre le projet à cause du caractère autoritaire du régime azerbaïdjanais, mais également à cause de l’incompatibilité entre la construction de nouveaux gazoducs et les engagements pris durant la COP21 de limiter le réchauffement climatique provoqué par les énergies fossiles.
La deuxième piste évoquée est celle du développement du gaz naturel liquéfié (GNL). Le refroidissement de ce gaz le faisant passer à l’état liquide, son transport devient alors possible sur de longues distances. Fin octobre 2014, la Lituanie a accueilli son premier terminal gazier flottant sous la forme du méthanier indépendance, permettant ainsi de briser le monopole de Gazprom et indirectement de l’Etat russe. Les deux objectifs principaux sont d’assurer l’accès au GNL à tous les Etats européens et de créer des capacités de stockage direct ou indirect suffisantes. Le GNL apparaît comme une option prometteuse grâce aux volumes grandissants produits par des pays comme les Etats-Unis et l’Australie dont le marché est accessible par la voie maritime. Bien que les prix du GNL soient encore plus élevés sur le marché asiatique, ils s’alignent petit à petit avec les prix européens.
La dernière piste est celle d’une meilleure coopération euro-méditerranéenne étant donnée la richesse énergétique des pays de cette zone. Cependant, plusieurs problèmes doivent être résolus, que ce soit l’instabilité politique consécutive au Printemps arabe (en Libye particulièrement), l’expansion de Daesh hors de Syrie et d’Irak, les tensions entre Israël et ses voisins ou le conflit latent entre Chypre et la Turquie (bien qu’un accord de réunification semble se profiler à l’horizon grâce au relancement de négociations sous l’égide onusienne depuis mai 2015). La coopération euro-méditerranéenne doit prendre en compte les aspects de sécurité énergétique mais aussi la durabilité économique et environnementale, ainsi que le développement économique par l’investissement de certaines régions au fort potentiel comme l’Afrique du Nord.
- La question d’un droit de regard sur les accords intergouvernementaux
L’harmonisation de la politique énergétique européenne pose enfin la question du respect du droit communautaire dans les accords intergouvernementaux (AIG) et de la nécessité d’un droit de regard pour la Commission. Les échanges entre les pays consommateurs et les pays producteurs sont régulés par des AIG signés pour 20 ou 30 ans mais ceux-ci ne sont pas forcément en adéquation avec le droit communautaire. Les Etats-membre seraient donc obligés de consulter la Commission avant de signer tout AIG. Le projet South Stream avait par exemple été annulé malgré les investissements déjà apportés, car les accords signés entre Gazprom et six pays membres ne respectaient pas les règles européennes en matière d’aides de l’Etat et de concurrence. Une proposition législative pour un droit de regard de la Commission est en débat mais elle pose évidemment la question de la souveraineté des Etats.
Pour en savoir plus :
Priorité « Union de l’énergie et climat »
Par Claire Carson