Comment harmoniser la fiscalité entre les 28 États membres de l’Union européenne ? Le sujet est récurrent, éternelle source de débat entre fédéralistes et souverainistes. La fiscalité européenne est peut-être une utopie, mais depuis peu, l’Europe s’oppose aux multinationales qui profitent des taux d’imposition disparates pour payer le moins d’impôts possible.
La fiscalité européenne est, 60 ans après la naissance du marché commun, un sujet de tension classique à Bruxelles. Certains l’appellent de leurs voeux, persuadés que le marché unique ne s’achèvera que par elle, tandis que d’autres poussent des cris d’orfraies devant cette ingérence communautaire dans la souveraineté nationale. Car quoi de plus régalien que la levée des impôts ? Les États membres fixent le montant des taxes à leur guise, sans aucune obligation de se concerter ou de s’aligner les uns sur les autres. Ce qui a conduit certains pays à instaurer des taux d’imposition sur les sociétés particulièrement bas, pour attirer les investisseurs. Ainsi, les taux pratiqués en Irlande ou dans les pays d’Europe orientale représentent-ils un tiers de ceux de l’Europe de l’ouest. Sans surprise, les multinationales se sont installées dans ces États pour implanter leur activité en Europe, bénéficiant du même coup du marché commun. Dès lors, il devient difficile pour nombre le pays de concurrencer leurs partenaires.
Apple accusé de concurrence déloyale
Certains pays accordent même des rulings, des accords entre l’entreprise et le pays permettant d’abaisser encore plus le taux d’imposition. Ces montages financiers, existant dans 22 pays de l’Union européenne, ne peuvent être contournés que s’il est avéré qu’ils ne respectent pas la loi, ce qui est généralement très difficile à prouver. Ainsi, le scandale Luxleaks a révélé que de nombreuses entreprises bénéficiaient au Luxembourg de taux d’imposition sur leurs bénéfices très faibles, privant d’autres États de rentrées fiscales. En Irlande, un ruling entre l’État et Apple a permis à l’entreprise américaine de ne payer que 2% d’impôts, contre les 12,5% habituels (déjà l’un des taux les plus bas d’Europe). Mais la Commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, a rendu ces pratiques illégales au regard du droit européen : il s’agit « d’aides d’État » contraires au droit européen de la concurrence. Apple doit rembourser 13 milliards d’euros à l’Irlande, au grand dam de Dublin, qui ne veut pas effrayer les investisseurs, comptant sur sa fiscalité attractive pour renflouer ses finances.
Une solution bilatérale ?
Mais la marque à la pomme n’est pas la seule victime de l’intransigeante Margrethe Vestager, qui a également condamné Starbuck aux Pays-Bas, Fiat au Luxembourg, et de nombreuses entreprises en Belgique. Elle a également ouvert de sensibles dossiers sur Amazon, McDonald et Engie. Enfin, certains pays pourraient mettre en place un « impôt sur les bénéfices détournés », avec le soutien de l’Union européenne. Tous les échanges financiers menés sur un territoire seront imposés, et prélevés par le pays où ils ont lieu, et non uniquement par le pays où le siège se trouve. Ainsi, le Royaume-Uni a déjà instauré une taxe de 25% sur les “bénéfices détournés”, la France a voté une loi allant dans le même sens et d’autres pays se penchent sur le projet. À la clef, un ajustement de plusieurs centaines de millions d’euros. Les instances fiscales de chaque État pourraient également communiquer régulièrement entre elles, et ces échanges permettraient de déterminer combien les multinationales doivent payer sur chaque territoire. Une solution non pas communautaire, mais plutôt bilatérale.
Assiette fiscale européenne et transparence
La lutte pour une harmonisation fiscale, faute de fiscalité européenne, va plus loin : en octobre dernier, la Commission européenne a relancé le projet de l’ASSIC. L’Assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés avait été proposée en 2011 mais le projet, trop ambitieux, n’avait pas été retenu. En fiscalité, une assiette fiscale est une base à partir de laquelle les différentes taxes sont calculées. La Commission européenne propose de mettre en place un indice fiscal minimal, commun à tous les pays. Les États qui le souhaitent pourront augmenter cet indice, pour avoir un taux d’imposition national élevé. En outre, la Commission européenne a voté un projet de directive contraignant les multinationales à publier annuellement un rapport détaillé : les entreprises dont le chiffre d’affaire dépasse les 750 millions d’euros devront détailler les bénéfices faits dans chaque État membre, mais aussi leurs investissements, leur nombre d’employés. Ainsi, peut-être que les entreprises qui souhaitent s’installer dans les États aux taxes les plus basses n’y installeront pas que des boîtes aux lettres, mais y embaucheront des gens, et relanceront leur croissance.
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Elena Blum