Une vive inquiétude agite les institutions européennes face aux dernières décisions de l’inclassable premier ministre hongrois Victor Orbán. Cette fois-ci, c’est la liberté d’enseignement, au cœur du système de valeurs défendu par l’Union européenne, qui pourrait être mise à mal par sa dernière loi sur l’enseignement et le risque de fermeture de la très reconnue Université d’Europe centrale.
Victor Orbán s’est dit satisfait et fier d’avoir défendu son pays face au système bruxellois, à la sortie de la plénière du Parlement européen mercredi 26 avril dernier. Hormis le soutien de quelques membres du PPE (le groupe parlementaire dont son parti Fidesz est membre), il a surtout essuyé nombre de critiques, pour certaines fort virulentes. Il y participait pour défendre la nouvelle loi sur l’enseignement hongroise, au centre de tous les débats depuis début avril. A peine une heure avant ce rendez-vous attendu, la Commission a lancé une procédure d’infraction, première étape d’un processus légal pouvant mener le gouvernement hongrois devant la Cour de Justice de l’Union Européenne.
La nouvelle loi sur l’enseignement au cœur de la polémique
Adoptée avec 123 voix pour contre seulement 38 voix contre par le Parlement hongrois, puis promulguée le 10 avril dernier, la réforme de l’enseignement passe mal auprès de la société civile et des observateurs étrangers. Dans les faits, elle vise à restreindre l’implantation d’universités étrangères sur le sol hongrois à compter du 1er janvier 2018, en privant des institutions de licence si celles-ci n’ont pas de campus dans leur pays d’origine. L’objectif ici est donc de mieux contrôler l’offre d’enseignement et de recherche en Hongrie financée depuis l’étranger. 18 établissements seraient concernés, mais l’un retient tout particulièrement l’attention.
Il s’agit de la très reconnue université d’Europe centrale (CEU), fondée par le milliardaire George Soros au lendemain de la chute du communisme. Emigré hongrois ayant fait fortune aux Etats-Unis dans la finance, son fondateur souhaite y promouvoir « la bonne gouvernance, le développement durable et la transformation sociale ». L’établissement anglophone et son fondateur ont rapidement gagné en visibilité et en reconnaissance au cours des années, et recrutent désormais bien au-delà des frontières nationales, s’attirant parallèlement progressivement les foudres de Victor Orbán ainsi que de son président János Áder.
Il n’est jamais fait mention nommément de la CEU, mais Orbán n’a pas hésité dans sa défense à accuser Georges Soros d’avoir détruit la vie de millions d’Européens par le biais de ses opérations financières. Il le dépeint comme un ennemi de la monnaie commune européenne, et considère donc que Bruxelles ne peut pas prendre son parti, que la Commission ne réagit pas de manière équitable.
Levée de boucliers des acteurs internationaux et de la société civile
La nouvelle loi est perçue par ses détracteurs comme une énième atteinte aux valeurs et aux libertés reconnues par l’Union européenne, et intervient dans un contexte hongrois déjà très tendu. La politique « illibérale », du nom qu’ Orbán lui attribue, menée depuis quelques années maintenant inquiète régulièrement les observateurs, on ne compte plus le nombre de dossiers sur lesquels Budapest s’est éloigné de la ligne bruxelloise. Actuellement, une vaste campagne d’information « Stop Bruxelles », financée à hauteur de plusieurs millions d’euros par le gouvernement hongrois invite les citoyens à indiquer les mesures bruxelloises avec lesquelles ils sont en désaccord. Cette initiative, basée sur des arguments délibérément biaisés, a déjà passé la barre des 330 000 réponses, et deviendra probablement un argument de poids dans la défense du gouvernement hongrois.
Les manifestations répétées ont rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes, et la pétition lancée sur change.org a récolté plus de 55 000 signatures. De la même manière, 900 universitaires à travers le monde – dont 18 prix Nobel – ont corédigé un appel au retrait de la loi. Du côté institutionnel, le département d’Etat américain et la Commission européenne ont pris position.
La procédure en cours ouverte par la Commission européenne en réaction
Victor Orbán considère que la vive inquiétude de la Commission est la suite logique du désaccord migratoire antécédent, mais n’est nullement justifiée dans les faits. Il s’agirait d’un simple ajustement technique et légal à préciser. La procédure d’infraction lancée par le collège des commissaires laisse un mois au gouvernement hongrois pour éclaircir ses intentions et se conformer aux règles européennes. A l’issue de ce délai, et sans résultat satisfaisant, une procédure pénale pourrait être lancée et mener le gouvernement hongrois à la CJUE par une procédure accélérée. Etant donné la nature inédite du contentieux, difficile de déterminer pour l’instant quelles pourraient être les sanctions appliquées en cas de condamnation.