Dans le Calaisis, à la frontière franco-britannique, la France et le Royaume-Uni peinent à prendre des mesures communes pour pallier l’afflux de personnes déplacées, souhaitant se rendre au Royaume-Uni. Face à une urgence d’accueillir toujours plus pressante, les deux Etats se trouvent dans l’impasse.
En 2015, 1 015 078 personnes ont rejoint l’Europe en traversant la mer Méditerranée. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, elles sont près de 44 000 depuis janvier 2017. L’UE a été fondée sur trois principes communs : la paix, la prospérité, et la sécurité. L’application de ces principes par les Etats membres en une réponse commune, efficace et concrète à l’accueil de populations déplacées est nécessaire.
La frontière franco-britannique : dernier rempart de la « Terre promise »
La frontière franco-britannique pose problème dès les années 1990, lorsque s’y rassemblent plusieurs milliers de personnes espérant trouver refuge au Royaume-Uni. Depuis, l’émergence de nombreux conflits depuis les années 2000, principalement en Afrique et au Moyen-Orient, a généré des flux sans précédent de populations déplacées vers l’Europe.
Aussi, depuis plus d’une décennie, un monde parallèle existe non loin de Calais, au pays des Droits de l’Homme et au cœur de l’Europe. Près de 9100 hommes, femmes et enfants stationnaient dans la « Jungle » en août 2016, démantelée une énième fois par les autorités françaises deux mois plus tard. Cependant, la disparition physique du bidonville n’a pas impliqué celle des populations déplacées, et le problème de Calais interroge la gouvernance des frontières de l’UE.
Au commencement du problème : la coordination impossible de la gestion de l’asile
Bien qu’en 1999, la Croix-Rouge française ouvre un centre d’accueil à Sangatte, prenant ainsi acte de la permanence de la présence des exilés, le centre ferme en décembre 2002. La fermeture du centre est le premier symbole de l’impossible coordination des politiques d’immigration et d’asile entre deux Etats membres frontaliers. Sangatte, puis Calais, deviennent des illustrations vivantes du dysfonctionnement européen en matière d’immigration et d’asile.
Les premières tentatives : le Protocole de Sangatte
Afin d’apporter une solution au problème de Calais, plusieurs accords sont signés entre la France et le Royaume-Uni, qui s’articulent autour d’une externalisation des frontières.
Le Protocole de Sangatte du 25 novembre 1991 est le premier jalon du partage des compétences entre autorités britanniques et françaises. Il propose que « les autorités des deux Etats coopèrent, se prêtent mutuellement assistance et agissent de manière concertée ». Néanmoins, il s’avère rapidement inadapté à la réalité des flux migratoires perpétrés par l’instabilité géopolitique mondiale. Déjà en 2002, Pierre Kremer, de la Croix-Rouge française, qualifiait ces accords de « temporaires pour toujours », déplorant que l’harmonisation des politiques d’immigration et d’asile ne soit pas « en tête de liste des priorités politiques des quinze Etats membres ».
Le Traité du Touquet : l’achèvement de la déterritorialisation de la frontière britannique
Signé le 4 février 2003 et toujours en vigueur aujourd’hui, le Traité du Touquet est le socle de la délégation des compétences en matière de gestion de l’immigration. Il prévoit « l’exercice des contrôles frontaliers dans les ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord situés sur le territoire de l’autre partie », ce qui signifie que chaque Etat peut effectuer des contrôles sur le territoire de l’autre. La situation étant déséquilibrée, avec bien plus de flux France-Royaume-Uni que l’inverse, les déboutés se retrouvent bloqués à Calais, et cet accord est remis en question aujourd’hui, notamment par la sortie du Royaume-Uni de l’UE.
Depuis, d’autres accords ont été établis : en juillet 2009 est prévu le financement par le Royaume-Uni de nouvelles mesures de sécurité aux contrôles des frontières. Début 2015, la construction du centre d’accueil de jour Jules Ferry à Calais était censée dénouer la crise : le Royaume-Uni avait alors reconnu qu’il était responsable avec la France de la mise en place de mesures de long terme. Enfin, en août 2015, un dernier accord « pour le développement d’une coopération bilatérale renforcée (…) dans le contexte de la crise migratoire » est adopté.
Toutefois, l’inefficacité des compromis est aussi vraie aujourd’hui qu’en 2002, et la situation à Calais a l’allure d’un cercle vicieux : les migrants tentant de franchir la frontière sont interceptés par la Border Force britannique, dirigés vers les forces de police françaises, libérés après une détention plus ou moins longue, et la dynamique se poursuit.
L’incapacité de la France et du Royaume-Uni à répondre aux enjeux présents à leur frontière commune marque la limite de la communautarisation des politiques d’immigration et d’asile et la résurgence des attentions nationales sur les défis européens communs. L’urgence à Calais dépasse de toute évidence le Calaisis. Le problème tient en ce que l’immigration et l’asile sont appréhendés tels des attributs fondamentaux de la souveraineté territoriale des États-nations. La première crise de Sangatte et la destruction du camp de Calais sont toutes deux révélatrices des limites des systèmes d’asile nationaux, et posent la question de la mise en place d’une politique européenne d’asile, dont l’absence se fait cruellement sentir.