Du 14 au 16 novembre derniers s’est tenue la IVe Conférence mondiale sur l’élimination durable du travail des enfants, du travail forcé et de la traite d’êtres humains, à Buenos Aires en Argentine. Présente en tant que jeune ambassadrice pour l’Europe, Louise Mottier, étudiante en Master 2 au sein de l’Institut d’Études européennes de la Sorbonne-Nouvelle, nous raconte son expérience.
Organisée sous le label de l’Organisation internationale du Travail (OIT), cette conférence était unique par son aspect tripartite : étaient réunis simultanément les représentants des gouvernements, des employeurs, des travailleurs. Plus de 100 pays étaient représentés par leurs délégués, dont 45 ministres d’État.
Cette conférence s’inscrit dans le cadre de la Cible 8.7 des Objectifs de développement durable, adoptés en 2015, par les Nations Unies pour 2030. Cette cible postule que les États s’engagent à « Prendre des mesures immédiates et efficaces pour supprimer le travail forcé, mettre fin à l’esclavage moderne et à la traite des êtres humains, interdire et éliminer le travail des enfants sous toutes ses formes, y compris le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats. »
Trois thèmes principaux : le travail des enfants, le travail forcé et la traite d’êtres humains, et l’emploi des jeunes
Selon les chiffres de l’OIT en 2016, 152 millions d’enfants travaillent dans le monde. Parmi eux, près de la moitié ont entre 5 et 11 ans, et 42% sont des filles. Le travail des enfants se concentre majoritairement dans l’agriculture (70,9%), et se situe principalement en Asie, dans le Pacifique et en Afrique, où un enfant sur cinq travaille.
Le travail des enfants sous ses pires formes, appelé globalement « hazardous work », comprend les enfants-soldats, la servitude et l’esclavage moderne, l’exploitation sexuelle et la prostitution, la mendicité forcée.
Les jeunes générations étaient donc au centre des considérations. Aujourd’hui dans le monde, 71 millions de jeunes, âgés de 15 à 24 ans, sont au chômage, et 156 millions de travailleurs jeunes vivent sous le seuil de pauvreté. Le chômage des jeunes occupe dans de très nombreux pays une proportion très élevée, dans les pays émergents comme dans les pays en développement.
La présence inédite de « jeunes ambassadeurs »
Trois conférences ont précédé celle-ci : Oslo en 1997, La Haye en 2010, et Brasilia en 2013. Mais pour la première fois à Buenos Aires ont été appelés dix-huit jeunes venus de onze pays et quatre continents. J’ai eu la chance d’y être, représentant la France et l’Europe.
A côté des délégations nationales, nous « jeunes ambassadeurs » étions là pour présenter un état des lieux de la situation du travail des enfants, du travail forcé et de l’emploi des jeunes dans nos pays respectifs, ainsi que les politiques publiques mises en place – ou non – pour pallier ces problèmes. J’appartenais à la délégation des « jeunes ambassadeurs pour l’Europe », avec une allemande et un portugais. Mes collègues sont venus de onze pays différents : trois venaient du Népal, du Myanmar et d’Indonésie pour représenter l’Asie ; deux arrivaient de Madagascar et de Zambie pour représenter l’Afrique ; sept autres venaient du Venezuela, du Mexique et d’Argentine pour représenter l’Amérique du Sud.
Durant ces trois jours de débats, nous avons discuté des différentes thématiques et de leur état des lieux dans nos pays et continents respectifs, en présentant chacun un exposé. Aidé des travailleurs de l’OIT, de membres du ministère argentin du travail, et de la présence inédite de Kailash Satyarthi, Prix Nobel de la Paix 2014 et figure emblématique de la défense du droit des enfants, nous avons partagé nos idées, solutions et initiatives. Nous avons mis en forme ces propositions dans une déclaration, lue lors de la cérémonie de fermeture par deux d’entre nous.
Document annexe à la déclaration officielle, notre déclaration s’inscrit dans sa continuité en mettant toutefois l’accent sur la nécessité de prendre en compte les différents facteurs corrélés au travail des enfants et au travail forcé, et dans une moindre mesure à l’emploi précaire des jeunes générations : la pauvreté, le manque d’accès aux soins et à l’éducation, la migration, les crises et conflits, les inégalités de genre, et le réchauffement climatique.
Et l’Europe dans tout ça ?
En ce qui concerne les trois thématiques discutées à Buenos Aires, l’Europe ne fait pas exception. Plus de 5 millions d’enfants travaillent aujourd’hui en Europe ; la crise migratoire a généré le développement de réseaux de passeurs et de trafiquants dont les enfants sont les victimes les plus vulnérables ; et le chômage des jeunes atteint les 19% en 2016 pour l’ensemble de l’Union européenne (UE). Les pays de l’UE étaient donc tout autant concernés par les questions que posaient les débats à Buenos Aires. L’initiative « 50 for freedom » a lancé une campagne de signature et de ratification du Protocole pour l’éradication de l’esclavage moderne, avec pour objectif sa ratification par au moins 50 pays. Jusqu’à maintenant, seuls 21 pays se sont engagés, dont seulement 11 États membres de l’UE sur les 28 – Chypre, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, les Pays-Bas, la Pologne, la République Tchèque, le Royaume-Uni et la Suède.
L’aboutissement de cette conférence s’articule autour de la Déclaration de Buenos Aires, texte d’envergure internationale, qui énonce les mesures à prendre afin d’aboutir à l’éradication de toute forme du travail d’enfants d’ici à 2025. Elle prévoit notamment :
La mise en place de politiques et de services publics intégrés, cohérents et efficaces dans les domaines du travail, de la justice, de l’éducation, de l’agriculture, de la santé, de la formation professionnelle et de la protection sociale ;
Le renforcement des prérogatives des services de l’inspection du travail et des autres services d’application des lois, afin de mieux détecter et éliminer le travail des enfants et le travail forcé, d’aider les victimes, de favoriser l’application et le respect de la législation ;
La prise en charge des victimes et de leur protection, en assurant leur accès à des mécanismes administratifs et judiciaires, à des moyens efficaces de réparation, tels que la (ré)intégration scolaire, la réadaptation, et en prévoyant des sanctions appropriées pour les auteurs ;
La promotion du développement rural inclusif ;
La prise en compte de la vulnérabilité, notamment des enfants en situation de migration ou de déplacement, prévoyant la coopération entre les pays d’origine, de transit et de destination ;
La promotion des initiatives sous-régionales et régionales visant à éliminer durablement le travail des enfants, telles que l’initiative régionale Amérique latine et Caraïbes sans travail des enfants, résultant des engagements pris lors de la IIIe Conférence mondiale sur le travail des enfants (Brasilia, 2013).
La prochaine conférence sur l’éradication du travail des enfants aura lieu en Afrique.