Mise en place en 2014, la désignation de la tête de liste du parti politique arrivé en tête aux élections européennes comme Président de la Commission pourrait être renouvelée en 2019. Mais ce « coup de force » institutionnel cache aussi de multiples intérêts politiques et devra dépasser bien des obstacles pour sortir de l’anonymat.
La dernière conférence de presse de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, n’y a pas fait exception, « Bruxelles » ne parle que de cela. Quinze mois avant les prochaines élections européennes (du 23 au 26 mai 2019), le cœur de l’Union bat au rythme de la possible reconduction du système des « Spitzenkandidaten » (« Spitzenkandidat » au singulier). Très peu connu des électeurs, ce terme emprunté à l’allemand désigne les « têtes de listes » à la présidence de la Commission européenne.
Car depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009, les 28 leaders nationaux réunis au sein du Conseil européen doivent désormais « tenir compte du résultat des élections européennes » pour désigner le nouveau Président de la Commission européenne, l’exécutif communautaire. Le Parlement européen, et notamment celui qui était alors son président – Martin Schultz –, avait alors sauté sur l’occasion pour faire pression sur les 28. Si le Conseil européen ne désignait pas un candidat préalablement choisi par les partis politiques au niveau européen et ayant obtenu le plus de sièges aux élections européennes, le Parlement européen – qui doit approuver cette nomination – aurait apposé son veto.
Pressions du Parlement européen
C’est donc lors des élections européennes de 2014 que le système du Spitzenkandidat a été pour la première fois appliqué. Toutes les familles politiques européennes (à l’exception notable de l’extrême-droite) avaient désigné leur candidat. Et c’est finalement celui du Parti populaire européen (PPE, la droite), le luxembourgeois Jean-Claude Juncker qui, ayant obtenu le plus de sièges, avait pu rassembler derrière lui une large majorité des voix au Parlement européen, en s’appuyant notamment sur le soutien des libéraux et des sociaux-démocrates.
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Sauf que pour 2019, bien des leaders européens aimeraient revenir à la formule d’antan, eux qui avaient pour beaucoup accepter ce système du bout des lèvres à la dernière minute. Même Emmanuel Macron semble tenté par un retour à un choix « libre » du Conseil européen, lui qui n’a pas encore choisi la famille politique européenne à laquelle La République En Marche s’affilierait, se situant donc pour l’instant en marge de la désignation des Spitzenkandidaten.
Les partis politiques au niveau européen à la manœuvre
Car ces têtes de liste sont d’abord l’affaire des partis politiques au niveau européen. Il s’agit de rassemblements de partis nationaux appartenant à la même famille politique et partageant des idées (plus ou moins) communes. Les Spitzenkandidaten sont aujourd’hui défendus par une large majorité d’entre eux et notamment le PPE.
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Ce dernier, originellement une coalition de partis démocrates-chrétiens et fédéralistes européens progressivement élargi à des partis bien plus nationalistes et moins europhiles, a, dès lors, remporté toutes les élections européennes depuis 1999. Avec l’actuel affaiblissement de la social-démocratie en Europe et en s’appuyant sur le Spitzenkandidat, le PPE a ainsi de très grandes chances de conserver la tête de la Commission européen pour longtemps.
Européaniser les élections européennes
Mais le Spitzenkandidat n’est pas seulement une affaire de parti. Pour les tenants d’une intégration européenne plus poussée, il représentait l’espoir de faire des élections européennes un moment de débat sur l’Europe, et pas seulement sur des questions nationales. Presque calqué sur un modèle parlementaire classique, ce système offrait également la possibilité de donner une légitimité démocratique à la Commission européenne ainsi qu’une certaine orientation politique à celle-ci. Enfin, en créant un nouvel enjeu autour du scrutin européen, il s’agissait également de tenter de faire remonter des taux de participation jusque-là de plus en plus bas.
Force est de constater qu’en 2014, les Spitzenkandidaten sont restés inconnus de très nombreux électeurs. Les nombreux débats entre têtes de liste n’ont pas toujours été retransmis sur des chaînes d’envergure (en France, seulement France 24, LCP ou Euronews avaient jouées le jeu). Bien des partis nationaux n’ont pas mentionné l’existence de ces têtes de liste qui avaient d’ailleurs souvent été désignées quelques semaines seulement avant le scrutin. Et victoire à la Pyrrhus, la participation s’est stabilisé.
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Malgré les réticences du Conseil européen, les menaces du Parlement européen devraient permettre de renouveler le principe du Spitzenkandidat en 2019. La campagne en faveur des listes transnationales a d’ailleurs bien failli lui donner une place plus importante. Cette idée, à laquelle s’est finalement opposée une majorité d’eurodéputés ainsi que plusieurs États membres, ne verra probablement pas le jour en 2019.
Spitzenkandidat + listes transnationales ?
Elle visait à faire élire une trentaine de députés européens dans le cadre d’une circonscription européenne. Chaque électeur européen aurait ainsi pu disposer d’un premier bulletin de vote pour élire les eurodéputés originaires de son État membre et d’un second pour choisir entre ces différentes listes regroupant des candidats issus de différents pays. Et chacune d’entre elles auraient dû être menées par le Spitzenkandidat de chaque parti politique au niveau européen.
Pour 2019, les Spitzenkandidaten ne bénéficieront probablement pas de la tribune inédite qu’offraient potentiellement ces listes transnationales. Néanmoins, d’autres idées ont été formulées pour sortir ce terme de l’anonymat (désignation dès 2018, par exemple via des primaires ouvertes, mention sur les bulletins de vote, réelle implication de tous les acteurs, etc). Peut-être qu’un jour, les face-à-face d’entre-deux-tours des présidentielles françaises paraîtront bien fades par rapport aux joutes entre Spitzenkandidaten devant des dizaines de millions de téléspectateurs européens. On en est encore loin.