Vendredi 15 février, le Groupe d’Etudes Géopolitique (GEG) recevait l’Ambassadeur de France aux Etats-Unis Gérard Araud à l’ENS. Entouré de chercheurs de l’Institut français des relations internationales (IFRI), de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et de la Sorbonne Nouvelle, la rencontre s’est concentrée sur la politique étrangère de l’administration Trump, ou plutôt de M. Trump seul. Le retour du protectionnisme et le repli militaire relatif du président américain signent le renouveau d’un conservatisme nationaliste bien ancré dans l’Histoire des Etats-Unis.
Changement de paradigme aux Etats-Unis
« L’élection de Trump marque la fin de l’ère néolibérale » énonce dès le début M. l’Ambassadeur, après un bref récapitulatif de la politique étrangère américaine depuis 1776. Loin d’être une position inédite, le désengagement apparent de Washington dans le monde est inscrit dans une continuité historique, proche de la doctrine Monroe. Les questions qui se posent face à la diplomatie de Donald Trump tournent autour du retrait des Etats-Unis de la scène internationale, face à sa décision surprise de retirer ses troupes de Syrie en décembre dernier. La série d’échecs de l’interventionnisme américain, notamment en Irak et en Afghanistan, a fatigué l’empire selon lui. Gérard Araud parle donc d’un changement d’époque, où un nouveau paradigme de repli et de pivot vers l’Asie, initié par Barack Obama, délaisse l’Europe dans la politique extérieure américaine. « Nous, Européens, nous devons envisager un avenir avec moins de garantie de présence américaine (…) [nous devrons] reprendre en main [notre] sécurité ».
Lire aussi >>> L’élection de Trump et les relations transatlantiques : quelle fracture ?
Il faut cependant nuancer cette impression de retrait des Etats-Unis. A l’ère d’un rééquilibrage des puissances mondiales, où la multipolarité ébranle l’hégémonie occidentale sur la scène internationale, Donald Trump incarne une attitude de fermeture qui s’étend à l’échelle globale. Le libre-échange et l’immigration sont les figures de proue de la rhétorique de repli du promoteur d’America First, remettant en cause les effets de la mondialisation et montrant son visage populiste. Car, malgré le retrait des troupes américaines, pour des raisons économiques et politiques, l’administration Trump reste bien présente sur la scène internationale. Durant son séjour en Europe pour les conférences sur la sécurité à Varsovie et à Munich, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo a prononcé des discours musclés contre l’Europe, l’exhortant à suivre la ligne de Washington et réaffirmant sa volonté de leadership.
Lire aussi >>> OTAN-UE : Une relation sur la défensive
Protectionnisme et leadership, une alliance typiquement américaine
M. Araud affirme que les Etats-Unis ne sont pas en train de devenir isolationnistes, mais utilisent d’autres moyens pour imposer leur puissance. Les replis militaires au Moyen-Orient sont contrecarrés par une hausse du budget de la défense leur assurant une supériorité incontestable sur le plan militaire. Le terrain où Washington impose sa politique étrangère est largement économique : la prédominance du dollar dans le marché mondial est incontestablement l’arme la plus efficace pour influencer – voire affronter frontalement – n’importe quel Etat. Les sanctions sur l’Iran en sont un exemple représentatif, « c’est la guerre » pour « conserver son leadership au moindre coût ». L’agressivité de Donald Trump affecte les Européens, lorsqu’il les menace d’une guerre commerciale et lorsqu’il met des sanctions à l’Iran et la Russie, il y a des répercussions sur les entreprises européennes. Cela peut paraître étonnant, mais malgré l’erratisme de Trump, MM. Araud et Branaa (chercheur à l’IRIS) on trouvé une cohérence dans sa politique, qui manque cependant de stratégie. En découlent deux « obsessions » : la Chine et le protectionnisme. L’action de Trump est finalement concentrée autour de Pékin, que ce soit dans les accords commerciaux revus de l’ALENA ou dans son arrêt des aides à l’Afrique, la Chine est au cœur de ses objectifs. En tant que nationaliste, le président américain cherche à Make America Great Again, et ce en concurrençant la 2ème plus grande économie mondiale. En montrant les muscles dans la «concurrence de tous contre tous », les Etats-Unis de Trump ravivent leur fibre sécuritaire en recensant les étudiants et entreprises chinoises sur le sol américain.
Un président « anti-système » au sein du « système »
Pendant les questions du public, l’interrogation sur la nature des prises de décision et la manière de diriger de Donald Trump a permis de développer l’analyse de l’Ambassadeur, bien placé pour connaître le fonctionnement interne de Washington. Rappelant que M. Trump n’avait jamais dirigé de structure bureaucratique, dont l’administration américaine est l’archétype, sa prise de fonction a été des plus excentrique pour les fonctionnaires américains. Gérard Araud observe que « le fonctionnement bureaucratique s’est quasiment arrêté » et que « le Conseil national de Sécurité ne sait pas ce que le président va dire le lendemain ». La particularité du président est de ne pas informer ses conseillers, outrepassant un protocole très réglementé dans l’administration étatique. D’où les surprises à l’annonce du retrait de l’accord iranien et du retrait de Syrie. Cette individualisation de la prise de décision impose aux autres chefs d’Etat d’avoir une relation directe avec Trump, à défaut de ne pas être au courant de ses intentions. M. Araud parle d’une « atmosphère de confrontation » au sein du pouvoir, entre un président populiste et une administration bureaucratique. Washington serait en dysphorie par rapport à Donald Trump, d’où son incapacité à prédire son élection, résultat du mécontentement du peuple américain face à l’augmentation des inégalités se creusant continument (environ 50% d’Américains ont vu leur niveau de vie baisser ou stagner ces trente dernières années).