Un article rédigé par Constance Maillard.
Après de nombreux débats houleux entre les chefs d’État et de gouvernements européens et des tentatives de blocage des pays dits « frugaux », un plan de sauvetage de l’économie européenne a enfin été conclu in extremis ce 21 juillet 2020. Les négociations au sein du Conseil européen ont porté à la fois sur un plan de relance post-covid19 et sur le budget de l’UE pour la période 2021-2027. Ce plan, dont l’objectif sera de parer les économies européennes à faire face aux retombés de la crise, a été qualifié d’ « historique » par les membres du Conseil européen en raison des montants exceptionnelles que la Commission européenne est parvenue à rassembler. Si de nombreuses voix se sont élevées pour rappeler l’urgence de ne pas reproduire le même schéma économique qu’auparavant, hautement émetteur en gaz à effet de serre (GES) et destructeur pour l’environnement, quelle est concrètement la place accordée aux enjeux environnementaux dans ce plan de relance post-covid19 ? Les États membres sont-ils prêts à se fixer des objectifs environnementaux réellement ambitieux dans un moment de crise de telle ampleur, ou bien, le schéma du business-as-usual dominera une fois de plus, au risque d’aboutir sur une rapide reprise de la hausse des GES ? Ce scénario pourrait alors rappeler la relance économique de 2008 qui avait conduit à une hausse dramatique des émissions des GES mondiales.
Comment sera financé la relance des économies européennes ?
Pour financer la relance, la Commission d’Ursula Von Der Leyen a élaboré un nouvel instrument validé par le Conseil européen appelé « Next Generation EU ». Son budget s’élèvera à 750 milliards d’euros et bénéficiera de nouveaux financements inédits puisque, pour la première fois, la Commission lèvera directement l’argent visant à réparer les dommages liés à la pandémies sur les marché financiers via l’émission d’obligations au nom de l’UE. La Commission aura jusqu’au plus le 31 décembre 2058 pour rembourser ses emprunts. Parmi ce budget, 312,5 milliards d’euros seront accordés sous la forme de subventions non remboursables aux États membres les plus impactés par la crise du covid. 70% des subventions seront injectés dans les économies européennes entre 2021 et 2022 tandis que les 30% restant le seront d’ici à la fin de 2023. Afin d’accorder ces prêts et subventions, la Commission se dote d’un nouvel outil appelé RRF (Facilité de relance et de résilience) dont la mission sera « d’apporter aux États membres un soutien financier en vue d’intensifier les investissements publics et les réformes au lendemain de la crise de la covid-19 » comme le souligne le Conseil de l’UE dans un communiqué de presse. Selon ce même communiqué, l’enveloppe de 672,5 milliards d’euros allouée à ce fond devra également contribuer à financer « les transitions écologique et numérique » afin de rendre les économies européennes « plus durables et plus résilientes ». Les dirigeants de l’UE ont enfin trouvé un terrain d’entente sur la définition des orientations principales de ce fond qui doit maintenant être débattu au Parlement européen ainsi qu’au Conseil selon la procédure législative ordinaire.
Afin d’obtenir l’aval de la Commission, les plans nationaux de reprise et de résilience des États membres (détaillant les programmes de réformes et d’investissement que l’argent européen contribuera à financer) doivent répondre aux objectifs fixés par la Commission mais aussi aux recommandations formulées pays par pays dans le cadre du semestre européen. Parmi les critères fixées figurent notamment le renforcement du potentiel économique de la zone euro, la création d’emploi ainsi que la résilience économique et sociale.
Le question environnementale vraiment au coeur du plan de relance post-covid19 ?
Le Commission européenne a insisté lors de sa communication sur le fait qu’« au moins 37% de l’enveloppe du plan devra soutenir la transition écologique ». Elle analysera les plans de relance nationaux et les comparera aux plans nationaux énergies afin de valider ou non les programmes établis par les gouvernements. Toutefois, cette méthodologie demeure insuffisante pour certaines associations environnementales. Le Réseau Action Climat (RAC) déplore ainsi que les plans nationaux énergie-climat soient « trop peu ambitieux et ne respectent pas les objectifs du Green Deal ». L’association préconise d’imposer certaines conditionnalités environnementales au plan de relance afin d’arriver à des résultats réellement ambitieux. Il s’agirait notamment d’intégrer une modélisation des investissements d’après un objectif de réduction des émissions de GES d’au moins 65% d’ici à 2030, de relever les taux d’investissement devant répondre aux objectifs environnementaux de 37 à 50% ou encore, d’exclure tout investissement néfaste pour l’environnement (le nucléaire étant ainsi rejeté des projets susceptibles d’obtenir des financements).
Par ailleurs, les États membres auront toujours la possibilité de financer des projets liés à l’industrie fossile et nucléaire puisque seuls deux instruments financiers excluent à l’heure actuelle les investissements dans les énergies fossiles (le fonds de transition juste et la politique de cohésion) comme le souligne le RAC. Ce dernier préconise d’imposer aux États que les mesures adoptées respectent la taxinomie verte européenne (un outil de classification européen indiquant les activités considérées comme durables et pouvant donc bénéficier d’aides européennes) afin que les investissements dans les énergies fossiles et les projets susceptibles de porter atteinte à l’environnement ne soient financés par le plan de relance européen. Dans le cas contraire, le risque serait alors de renforcer la dépendance européenne dans les énergies fossiles. À cet égard, le plan de relance du gouvernement français a fait l’objet de vives critiques de la part d’associations environnementales en raison d’une enveloppe de 470 millions d’euros dédiée au nucléaire comme le souligne un article de L’Usine Nouvelle. Le journal rappelle que « la Commission européenne qui doit étudier le plan français, pourrait ne pas apprécier le fait que le gouvernement persiste à considérer le nucléaire comme un vecteur de la transition écologique », d’autant plus que celle-ci a récemment exclu le nucléaire de sa taxonomie verte. Enfin, les politiques publiques prisent dans le cadre du plan de relance devront également respecter les objectifs de réduction de GES dans le cadre de l’Accord de Paris et de neutralité carbone pour 2050. Ces objectifs environnementaux ne semblent toutefois pas faire l’unanimité entre les États membres comme en témoigne l’hostilité exprimée par les membres du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, Slovaquie et la République Tchèque) quant à l’idée d’inclure des conditionnalités environnementales dans le plan de relance post-covid au cours des négociations au sein du Conseil européen.
Renforcement de l’aide envers les régions dépendantes de l’industrie fossile
Le RAC a salué l’effort de la Commission pour renforcer la solidarité envers les régions les plus dépendantes aux énergies fossiles via notamment l’augmentation du budget du Fonds de transition juste (visant à aider les régions « à forte intensité carbone » à entamer leur transition énergétique notamment en Europe de l’Est) de 7,5 à 40 milliards d’euro. Le choix d’exclure les investissements dans l’industrie fossile et nucléaire des projet pouvant bénéficier de ce fond est également à mentionner. Ce soutien financier devra ainsi permettre de limiter l’impact social de la transition énergétique dans les régions où les emplois dans l’industrie fossile représentent une part importante de l’activité économique. Le RAC insiste sur la nécessité pour les régions de mettre en oeuvre des plans de transition juste visant à accompagner les travailleurs dans la transition énergétique et préconise également que la France et l’Allemagne se résilient à “abandonner leurs parts au profit des régions qui en ont le plus besoin »
Une solution innovante pour rallier les eurosceptiques à la cause environnementale ?
Face aux critiques alarmant sur le fait que ce plan aller conduire à alourdir les contributions nationales, une solution “verte” a été avancée pour apporter de nouvelles ressources propres de l’UE. Ainsi, la nécessité de trouver de nouvelles ressources pour financer la relance post-covid pourrait paradoxalement bien jouer en la faveur du climat. L’idée serait d’introduire de nouvelles taxes européennes selon le principe du « pollueur-payeur » répondant essentiellement à des objectifs environnementaux afin d’apporter des contributions supplémentaires au budget européen. Le projet de taxe sur les déchets plastiques non-recyclés en cours d’élaboration depuis plusieurs années a ainsi connu un coup d’accélérateur précipité dans sa mise en oeuvre (qui semble désormais justifiée par des raisons – économiques – suffisantes). L’introduction de cette taxe qui apportera de nouvelles ressources propres à l’UE a été actée lors du Conseil européen du 17 juillet et s’appliquera à partir du 1er janvier 2021. Celle-ci se composera des recettes issus de contributions nationales calculée en fonction du poids des déchets d’emballages en plastiques non recyclés avec un taux d’appel de 0,80 euros par kilogramme. Les modalités de son financement ne sont pas encore clairement définies et pourraient bien concerner tant les industriels de l’agro-alimentaire, les producteurs de plastiques que la grande distribution.
Une taxe carbone aux frontières pourraient également permettre de financer la relance euro. Il s’agirait de faire payer aux pollueurs les plus importants les externalités négatives engendrées par leur activité économique sans toutefois nuire à la compétitivité économique européenne. L’enjeu serait ici d’éviter des « fuites de carbone » soit, que des entreprises polluantes produisant en dehors de l’espace européen échappent aux taxes environnementales et bénéficient ainsi d’un avantage économique face à leur producteur européen (quant à eux soumis à la législation européenne). Par ailleurs, il s’agirait aussi d’éviter que des entreprises produisent à l’étranger dans des pays où la législation sociale et environnementale en vigueur serait plus faible que dans l’UE, puis, rapatrient leur production sur le marché communautaire au détriment des autres producteurs européens. Cette taxe carbone aux frontières pourrait ainsi permettre de rapporter jusqu’à 14 milliards d’euros au budget de l’UE. d’après les chiffres de l’exécutif européen. Toutefois, les contours de cette taxe carbone aux frontières demeurent flous et les conditions de son application reste encore à définir. Dans ce sens, la Commission européenne a lancé une consultation publique ouverte jusqu’au 28 octobre afin d’inviter les européens à se prononcer sur modalités de cette taxe. Cette solution innovante a déjà fait l’objet de vives critiques de la part de la Chine, des Etats-Unis ou de la Russie ; sceptiques quant au discours de la présidente de la Commission sur la nécessité de mettre en place des conditions de concurrence justes au sein de l’espace européen. Selon les mots d’Ursula von der Leyen, il s’agirait également d’inciter les partenaires économiques de l’UE à mettre en oeuvre de bonnes pratiques environnementales en revoyant à la baisse l’impact carbone de leur production. Le Parlement européen a quant à lui déjà approuvé l’idée en entérinant cette proposition ; certains députés ayant même plaidé pour la mise en place d’un calendrier « juridiquement contraignant » pour que celle-ci soit effective le plus rapidement possible.
Par ailleurs, le projet d’introduction d’une taxe sur le numérique discuté depuis un certain temps pourrait être accéléré. La taxe dite « Gafa » (Google, Apple, Facebook, Amazon) consisterait à imposer les géants du numériques qui sont “en moyenne deux fois moins imposés que les entreprises traditionnelles en Europe”. Alors que la concurrence fiscale entre les pays membres conduit certains d’entre-eux à pratiquer le dumping fiscal pour attirer les multinationales sur leur territoire, les Gafa profitent de cette faille pour implanter leurs filiales européennes dans les pays proposant les taux d’imposition les plus faibles. L’objectif serait donc de parvenir à une harmonisation fiscale entre les Etats membres en taxant à hauteur de 3% le chiffre d’affaire de grandes entreprises de l’industrie numérique résulterant de services numériques vendus dans l’espace européen.
Enfin, le système d’échange et de quotas d’émission carbone de l’UE (SEQE) qui constitue à l’heure actuelle l’instrument phare de la politique de l’UE en matière de lutte contre le changement climatique, pourrait être étendu aux secteurs maritimes et aériens. L’inclusion de ces deux secteurs dans le SEQE permettrait, selon l’exécutif européen, d’apporter plus de 10 milliards d’euros additionnels au budget européen. Le Parlement avait déjà voté en septembre 2020 pour inclure le transport maritime dans le marché du carbone européen afin d’inciter le secteur à réduire ses émission de GES. Cela serait une avancée considérable pour la décarbonisation de l’UE lorsque l’on sait que le secteur maritime mondiale est responsable de « 2 à 3% des émissions totales de GES dans le monde ».
Le secteur aérien est quant à lui soumis au régime CORSIA mis en place par les Nations-Unis qui impose des obligations de compensation d’une éventuelle hausse des émissions de CO2 par des « investissements dans des projets écologiques telles que les énergies renouvelables ou la reforestation ». Mais l’industrie aérienne repousse son entrée en vigueur en affirmant qu’il serait injuste de prendre comme année de référence 2020 alors que le trafic aérien n’a jamais été aussi bas en raison de la pandémie mondiale. Elle plaide pour une révision du régime CORSIA, ce qui contribuerait à rendre cette taxe effective qu’à partir de 2022. Le projet d’étendre le SEQE aux secteurs aériens pourrait donc non seulement apporter de nouvelles ressources propres à l’UE mais aussi accélérer la décarbonisation du secteur aérien ; parvenu jusqu’alors avec succès à échapper à toute taxation réellement dissuasive sur son industrie. En effet, l’industrie aérienne ne payait jusqu’à ce jour aucune compensation pour les externalités négatives engendrées par son activité puisque le kérosène bénéficie d’une dérogation fiscale en vertu d’un accord international conclu il y a des dizaines d’années. Seule une taxe dérisoire inclue dans le prix des billets est supposée faire payer l’aviation pour les externalités négatives engendrées. Si l’inclusion du transport maritime et de l’aviation constituerait une réelle avancée dans la lutte européenne contre le changement climatique, ce projet doit encore obtenir la validation du Conseil européen, ce qui risque de compromettre le projet en raison de l’unanimité requise.
Une relance réellement verte ?
La Commission européenne cherche à faire de la lutte contre le changement climatique un élément essentiel de son plan de relance post covid-19 comme en témoigne l’analyse des lignes directrices imposées aux Etats dans l’élaboration de leurs plans de relance nationaux. Les projets de nouvelles taxes environnementales visant à faire payer aux plus gros pollueurs les conséquences de leur modèle productif tout en apportant de nouveaux fonds propres pour financer la reprise des économies européennes apparaît comme une avancée prometteuse dans le lutte européenne contre le changement climatique.
Toutefois, bien que la Commission soit en mesure de refuser un plan de relance, la charge de définir des politiques publiques réellement ambitieuses en matière climatique en incombe toujours aux pays. Dans ce sens, le RAC déplore que des « garanties pour la transition écologique » ne soit encore pleinement définies, en rappelant au passage le rôle majeur que jouera l’investissement public dans les temps à venir. Si ces investissements en venaient à financer une fois de plus les industries polluantes, les objectifs environnementaux fixées par la Commission pourraient alors s’avérer être caduques.