Peu connues du public, les représentations permanentes font partie des outils de politique extérieure à la disposition des Etats, qu’ils soient membres ou non, dans leurs relations avec l’UE. Agissant comme des ambassades, elles ont pour vocation de mettre en avant et soutenir les intérêts nationaux de leur pays auprès de l’organisation internationale. Rencontre avec celles de la France et des Etats-Unis suite à notre voyage à Bruxelles.
« Mini-Washington »
On fait souvent la comparaison entre Bruxelles et Washington. Washington est la ville du lobbying par excellence, longtemps visionnaire de tout ce qui met en fureur ceux qui militent pour la démocratie transparente. Mais Bruxelles, en tant que capitale politique de l’Union Européenne, est devenue l’autre ruche principale mondiale de groupes d’intérêt, de lobbies, et de tous ceux qui veulent représenter un certain point de vue auprès des pouvoirs décisionnaires de l’UE. Ainsi, il est peu étonnant que Washington ait eu, depuis 1961, une présence permanente à Bruxelles pour assurer la représentation de ses intérêts. La personne représentant la Mission durant notre visite a même appelé Bruxelles un « mini-Washington » (à lire avec un ton condescendant selon vos frustrations géopolitiques).
La Mission permanente soutient les intérêts des Etats-Unis auprès de l’UE. Mais elle est également une source d’information immédiate pour les décisionnaires à Washington. On nous a raconté l’exemple des négociations sur la dette entre l’UE et la Grèce en juin 2015, où une équipe spéciale à Bruxelles a transmis des mises à jour sur les négociations minute par minute au Département de la trésorerie américaine. Elle a également fait pression sur la Grèce pour qu’elle suive les conseils de Washington. L’équipe a même gagné un prix de la part du réseau d’ambassades américaines pour son travail.
Néanmoins, il a été précisé plusieurs fois que la position de la représentation permanente des E.-U. auprès de l’UE est celle d’un simple observateur [« behind the glass looking in »]. On a voulu mettre en valeur le caractère passif de sa mission et passer sous silence le potentiel risque d’ingérence.
La suite résume les réflexions de la part de la Mission permanente des États-Unis sur des sujets identifiés comme les plus pressants pour la relation entre l’UE et les E.-U.
TTIP : « Les négociations sur un accord commercial les plus transparentes de l’histoire »
Le plus évident des développements dans la relation entre l’UE et les E.-U. actuellement serait surement la négociation du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP). Il serait également le plus controversé : en 2015 des milliers de citoyens européens ont manifesté leur opposition au caractère apparemment non-démocratique de l’accord. Sont concernés l’opacité des négociations et surtout le « Mécanisme de règlement de différends entre investisseurs et Etats », qui permettrait aux entreprises étrangères de poursuivre un État européen dans une cour d’arbitrage internationale.La Mission permanente joue un rôle important et a consacré une équipe spécialisée aux négociations. Interrogés sur les aspects identifiés comme non-démocratiques, ses représentants ont souligné que la désapprobation publique éprouvée en Europe ne s’est pas manifestée aux E.-U., et bien qu’il s’agissait de négociations sur un accord commercial majeur le plus transparent de l’histoire. Ils s’attendent à une augmentation des visites d’officiels de Washington durant les prochains six mois pour pousser les négociations à une conclusion.
Terrorisme : « After 9/11 we went crazy »
Sans surprise, le terrorisme a été identifié comme le défi le plus important pour les deux côtés de l’Atlantique, et donc un des sujets de coopération les plus étroites entre les E.-U. et l’UE. Les représentants ont rappelé que John Kerry a souligné l’importance du partage d’information entre services de renseignement. Mais ils ont également appelé à la prudence, prévenant contre une répétition de la réaction « folle » de Washington à la suite des attentats du 11 septembre 2001.
Le Brexit: « C’est à vous de décider, mais nous, nous pensons que… »
Les E.-U. se sont clairement prononcés en faveur du maintien du Royaume-Uni à l’UE. Plusieurs personnalités de l’administration Obama, y compris le Président lui-même, se sont exprimés explicitement contre l’éventuelle sortie du RU de l’UE. Quant aux négociations actuellement en cours à Bruxelles sur les nouveaux termes d’adhésion britanniques à l’UE, la Mission dit parfois jouer un rôle consultatif mais pour la plupart observationnel.
Il y a des points spécifiques sur lesquels les E.-U. font savoir leur opinion auprès de l’UE et bien le discours officiel reste : « C’est à vous de décider, mais nous, nous pensons que… ». La mission fait-elle du lobbying direct auprès de l’UE pour qu’elle accepte les quatre propositions de David Cameron ? Non, la Mission n’est pas si impliquée que ça. « Si ça a lieu, ça se passe bien au-delà de notre niveau. » On nous a quand même précisé que le timing des annonces de Washington était prévu pour avoir un effet maximal sur le déroulement des négociations.