Si l’Union européenne est le premier partenaire commercial de l’État d’Israël ainsi que le premier donateur en faveur de la Palestine, ce poids économique prépondérant est en total décalage avec l’incapacité des Européens à relancer un processus de paix au point mort. État des lieux de la présence européenne dans cet espace en tensions.
A l’heure où l’Union européenne s’apprête à célébrer le soixantième anniversaire du traité de Rome (25 mars 1957), une autre date pourrait être mise en avant au chapitre des commémorations. Il y a maintenant près de cinquante ans se déroulait du 5 au 10 mai 1967 la guerre dite des « Six Jours », un conflit aussi éclair que décisif dont les conséquences résonnent encore aujourd’hui. C’est en effet à la suite de cette cuisante défaite des forces égyptiennes, jordaniennes et syriennes que l’armée israélienne a débuté l’occupation du plateau du Golan, de la bande de Gaza, de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie. Très vite, les premières colonies ou « implantations » israéliennes s’y sont développées, constituant rapidement le principal obstacle à la paix autant qu’à la constitution d’un État palestinien viable.
Revenir à la « ligne verte »
Le retour à ces frontières de 1967, la fin de la colonisation et le soutien à la construction d’un Etat palestinien démocratique vivant en paix aux côtés de l’État d’Israël constitue le cœur de la position diplomatique de l’Union européenne. Répétée à de multiples reprises ces dernières décennies, cette position plutôt tranchée n’a pour autant pas empêché l’Union de développer des relations très étroites avec l’État hébreu.
L’Union européenne est en effet le premier partenaire commercial d’Israël. En 2013, 33% des exportations israéliennes se dirigeaient vers le marché européen, tandis que 40% des importations israéliennes en étaient originaires. Cette même année, le total des échanges entre les deux entités était estimé à près de 27 milliards d’euros. Depuis 1970, la CEE puis l’UE, et Israël ont signé de nombreux accords de coopération économique ayant abouti à une baisse des droits de douane dans de nombreux secteurs. La coopération est également d’ordre scientifique puisque l’État hébreu a été le premier pays non-européen à être associé au programme-cadre de recherche de l’Union.
1 milliard par an pour la Palestine
Côté palestinien, la coopération avec l’Europe est également un processus ancien. Dès 1971, une première contribution a été versée à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), le programme de l’ONU présent dans les Territoires mais aussi en Jordanie, en Syrie et au Liban. Aujourd’hui, l’UNRWA reçoit chaque année près de 83 millions d’euros de la part de l’Union européenne pour gérer une population désormais supérieure à 5 millions de personnes. En additionnant l’aide communautaire et celle de chacun des 28 États membres de l’UE, les Territoires palestiniens reçoivent chaque année près d’un milliard d’euros de fonds européens. Ces dernières s’inscrivent dans le cadre de multiples programmes dont le partenariat euro-méditerranéen et la politique de voisinage. L’Union finance ainsi une large partie des salaires des fonctionnaires de l’Autorité palestinienne mais aussi de multiples projets comme l’usine de dessalement de Deir Bala dans la bande de Gaza (pour un montant de 30 millions d’euros).
Cependant, de nombreux acteurs politiques s’interrogent sur l’utilisation qui est faite de ces fonds. En juillet 2016, Jean Arthuis, premier eurodéputé en visite dans la bande de Gaza depuis cinq ans, constatait dans le compte-rendu de sa mission « une absence de gouvernance et de coordination des actions mises en œuvre par les différents partenaires » et appelait à « privilégier les aides aux créateurs d’entreprises » plutôt que les grands projets spectaculaires. En effet, les fonctionnaires européens présents dans les Territoires sont confrontés à de multiples difficultés. Les tensions politiques entre les différentes factions (le Hamas contrôle Gaza et le Fatah, la Cisjordanie) et l’absence d’élections communes à l’ensemble des Territoires depuis 2006 viennent s’ajouter à une corruption très élevée. En Cisjordanie, les destructions de bâtiments et d’infrastructures financés par l’UE se multiplient, en particulier dans la zone C. Couvrant près de 60% de la Cisjordanie, cet espace est géré sur le plan civil et sécuritaire par Israël comme cela a été défini à titre transitoire par les Accords d’Oslo de 1993. C’est là que se concentrent les nouvelles colonies et par là même, la destruction des habitats palestiniens, souvent construits sans l’aval israélien, tant les obstacles administratifs sont nombreux. Sans un règlement politique de ce conflit, ces aides semblent bien inutiles, non seulement à construire un État palestinien viable, mais aussi à créer les conditions de la paix.
La diplomatie dans l’impasse
L’Union, au travers de Federica Mogherini, Haute représentante aux affaires étrangères et à la politique de sécurité, est de toutes les conférences internationales, dont celle de Paris en janvier. L’UE est également l’un des quatre membres du Quartet pour le Moyen-Orient aux côtés de la Russie, des États-Unis et des Nations Unies. Mais ce cadre de négociation, comme le processus de paix dans son ensemble ou la résolution du Conseil de sécurité du 23 décembre 2016 qui condamnait la politique de colonisation, n’a apporté aucun résultat tangible. Alors que le gouvernement de Benyamin Netanyahou, allié aux partis pro-colons, continue à lancer de nouvelles constructions, l’UE a progressivement mis en place des actions afin d’infléchir cette tendance. Depuis 2014, une directive a précisé que les accords de coopération entre l’État hébreu et l’UE ne s’appliquaient pas aux territoires.
L’année suivante, la Commission a rendu obligatoire l’étiquetage des biens provenant des colonies (un marché estimé à 150-200 millions d’euros par an en Europe). Entrées en vigueur en France en novembre 2016, les mentions « Produit de Cisjordanie (colonie israélienne) » et à l’inverse « Produit de Cisjordanie (produit palestinien) » doivent désormais être inscrites. Alors que certains comme le mouvement international BDS pour « Boycott, désinvestissement, sanctions » prônent des mesures plus radicales, d’autres observateurs mettent en avant les effets pervers d’une telle mesure. En effet, près de 25 000 Palestiniens travaillent dans des entreprises israéliennes implantées dans les Territoires, avec des salaires souvent bien supérieurs à ceux pratiqués dans les entreprises palestiniennes.
L’Europe divisée
Dotée d’outils limités en termes de politique étrangère commune, l’UE est également divisée entre ces différents États membres. Si des pays comme la France ou la plupart des pays nordiques et d’Europe de l’Ouest se sont progressivement érigés en défenseur de la solution à deux États, d’autres pays, notamment à l’Est, ont développé des liens privilégiés avec Israël. La République tchèque en est la figure de proue, le pays a même été le seul État membre de l’UE à voter contre la résolution de l’ONU du 29 novembre 2012 qui a accordé à la Palestine le statut de pays observateur non-membre.
A l’heure où l’administration Trump prend ses marques et semble moins attachée que jamais à soutenir une solution à deux États, l’Union européenne paraît être un acteur politique bien seul et sans solutions pour relancer le processus de paix. A moins que ce ne soit à la Russie de devenir un acteur diplomatique important. Un nouvel accord pour la mise en place d’un gouvernement d’union nationale palestinien a été signé en janvier. Réunissant l’ensemble des factions palestiniennes, il est le premier à avoir été conclu sous l’égide de Moscou.