Depuis juillet, la Pologne est en proie à une crise profonde. En cause, trois lois émanant du parti Droit et Justice (PiS) et menaçant l’État de droit.
Ils sont des milliers à battre le pavé pour protester contre les réformes juridiques du parti conservateur au pouvoir. Depuis le mois de juillet, de Varsovie à Cracovie, en passant par Poznan ou Wroclaw, les Polonais manifestent pour défendre la justice et l’État de droit. L’opposition est en ordre de bataille, les ONG déplorent la situation et les institutions européennes viennent de déclencher des sanctions inédites contre la Pologne. Comment le pays en est-il arrivé là ?
Comment en est-on arrivé là ?
Pour comprendre les raisons de la crise, il faut remonter à la victoire du PiS aux législatives, en 2015. Le parti tente de limiter les contre-pouvoirs en restreignant le pouvoir du Tribunal constitutionnel et en augmentant le nombre de juges, pour placer des proches et sympathisants du PiS.
Puis les médias sont ciblés : les journalistes du service public les plus critiques sont limogés, les médias privés sont en passe d’être nationalisés et les abonnements publics aux titres les plus contestataires sont résiliés. Enfin c’est l’armée qui est attaquée, avec un remplacement quasi total des États-Majors et des généraux.
Le PiS, qui gouvernait de 2005 à 2007, mais a perdu le pouvoir face au centre-droit, ne compte plus se faire battre et installe un régime inébranlable, inattaquable, ni par l’armée ni par la justice, et dont la propagande est assurée par les médias. Ces deux dernières semaines, le Parlement (où le PiS est majoritaire, à 242 sièges sur 460) a voté en faveur de trois lois qui visent à renforcer la mainmise de l’exécutif sur le judiciaire.
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Que prévoient ces lois ?
La première loi prévoit que le Parlement désigne les membres du Conseil national de la Magistrature, l’instance qui garantit l’indépendance des magistrats. Cela signifierait que l’organe qui est garant de la probité du système juridique serait en fait directement dépendant du parti au pouvoir. Les membres du Conseil national de la Magistrature pourraient ainsi fermer les yeux sur l’affiliation de certains magistrats au régime, et être intransigeants avec des magistrats de l’opposition.
La deuxième loi prévoit une réforme de la Cour suprême (la plus haute instance juridique du pays). Cette institution contrôle que les lois sont en adéquation avec la constitution, et peut valider ou invalider une élection. Le PiS prévoit de mettre fin au mandat des juges actuels de la Cour suprême, de réduire le nombre de sièges de moitié, et de confier la nomination des futurs juges de la Cour suprême à l’exécutif. Borys Budka, député de l’opposition, a déclaré au PiS : “Vous voulez vous assurer que vous ne céderez jamais le pouvoir, que vous pourrez invalider une élection si le résultat ne vous est pas favorable”.
Enfin, la troisième loi prévoit que le ministre de la Justice désigne les présidents des tribunaux de droit commun (qui ont les compétences pour juger toute sorte de litiges ne dépendant pas d’une juridiction particulière, comme par exemple le droit commercial). Cela signifierait que les présidents des tribunaux de grande instance, des tribunaux de police, des tribunaux correctionnels, des cours d’assises et des cours d’appel seraient soigneusement choisis par le ministre de la Justice, pour rendre la justice selon les valeurs du régime.
Le processus d’adoption des lois, entravé par deux veto du Président
Ces trois lois ont facilement été adoptées par les deux chambres du Parlement polonais. Mais lundi 24 juillet, le Président de la République, Andrzej Duda, a opposé son veto aux deux premières lois, affirmant qu’elles allaient à l’encontre de la séparation des pouvoirs.
Ces lois devront passer à nouveau devant le Parlement, et être votées aux 3/5ème des députés (majorité qualifiée que le PiS ne possède pas). Duda a cependant signé la troisième loi visant à faire nommer les présidents des tribunaux de droit commun par le ministre de la Justice, et a émis le souhait de proposer des réformes du système juridique allant dans le sens du PiS, mais plus nuancées. Duda a-t-il voulu s’émanciper du Pis et proposer une alternative moins radicale que la politique mise en oeuvre depuis 2015 ? Jusque là, il s’était montré particulièrement docile envers l’homme fort, Jarosław Kaczyński, Président du parti Droit et Justice.
Les veto du Président, pourtant membre du PiS, ont créé la surprise, mais aussi la méfiance. Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer une supercherie : les lois sur la Cour suprême et sur le Conseil national de la Magistrature n’auraient été que des diversions permettant de faire passer celle sur les tribunaux de droit commun, tout en apportant au Président de la République un regain de popularité.
La réaction internationale
De nombreuses voix se sont élevées à l’international pour exhorter le gouvernement à renoncer à ses réformes. La plus virulente est sans conteste celle de la Commission européenne. Les institutions ont menacé la Pologne de sanctions exemplaires, et ont proposé d’engager un dialogue, avec notamment Donald Tusk, président du Conseil européen et ancien Premier ministre polonais, comme interlocuteur. En vain : Duda ignore les menaces et les mains tendues.
Selon la commissaire européenne polonaise Elzbieta Bienkowska, le non-respect de l’État de droit, l’une des valeurs principales de l’Union européenne, pourrait entraîner une baisse des fonds européens alloués à Varsovie. En effet, le “fond de cohésion”, c’est à dire l’aide régionale de l’Union européenne, pourrait être conditionnée aux respect des valeurs de l’UE, et la Pologne est à ce jour le pays qui bénéficie le plus de ces aides.
La Commission européenne a annoncé le 20 décembre le déclenchement de l’article 7 à l’encontre de la Pologne. Cette procédure de sanction encore jamais utilisée, surnommée “arme nucléaire”, peut conduire à la suspension du droit de vote de l’État membre lors du Conseil européen. La procédure avait déjà été ouverte contre la Hongrie en 2016 , mais n’avait pas eu de suite.
Concrètement, sur proposition du Conseil européen, de la Commission européenne, du Parlement européen ou d’un tiers des États-Membres, le Conseil européen constate un risque de violation des valeurs européennes par un État membre. A l’unanimité moins l’État inculpé, le Conseil européen peut décider de suspendre les droits de cet État, y compris le droit de vote. Le pays se retrouve alors sans marge de manœuvre, n’ayant pas le droit de prendre part à la vie politique européenne tant qu’il n’a pas régularisé sa situation.
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Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, très proche du PiS, a fait savoir qu’il prendra parti pour la Pologne, dénonçant “l’inquisition” de Bruxelles. Si 22 Etats sur 28 reconnaissent le manquement à la démocratie et à l’Etat de droit, ce véto signifie cependant que la Pologne ne verra pas ses aides et ses droits suspendus. La Commission aurait pu inclure la Hongrie dans la sanction, mais les réactions risquaient d’être virulentes, étant donné la montée de l’extrême droite en Europe. En effet, le FPÖ, parti longtemps assimilé aux néo-nazis, vient de faire son entrée dans le gouvernement autrichien, avec six ministères, dont trois régaliens (Défense, Intérieur et Affaires étrangères). L’extrême-droite européenne a de beaux jours devant elle.