Depuis que la Russie, l’Iran et la Turquie ont pris en charge les négociations sur la Syrie dans le cadre du processus d’Astana en 2017, la coalition internationale a vu son influence s’amoindrir dans les décisions, au point de ne plus pouvoir peser suffisamment pour amorcer une transition politique prévue par la résolution de Genève de 2015.
Le conflit syrien, qui dure depuis 2011, n’en finit pas. D’une complexité inouïe par la multiplication d’acteurs sur le terrain, la guerre civile s’est internationalisée ces dernières années et a montré les difficultés de l’ONU à y mettre un terme. Malgré la défaite relative de Daech, le régime de Bachar Al-Assad continue ses offensives pour regagner le contrôle de son pays face aux enclaves rebelles, aidé par la Russie et l’Iran. État des lieux avec l’apport du politologue Ziad Majed, lors de la conférence « La Syrie : et demain ? », dans le cadre du festival d’art engagé Syrien n’est fait, le 1er août dernier.
Un retour au statu quo ?
Le régime de Bachar Al-Assad reprend progressivement le contrôle militaire du territoire syrien, grâce au soutien russe et face à une opposition fragilisée. A ce jour, le régime a récupéré 60% du pays, dont la Ghouta orientale en mai 2018 qui était un bastion rebelle historique, assiégé depuis le début du conflit. La reprise de contrôle enchaîne les affrontements violents contre les rebelles mais aussi la population, que ce soit à Alep ou à Homs, les avancées militaires appuyées par l’aviation russe et les troupes iraniennes ne laissent aucune chance à l’Armée syrienne libre, sans soutien de la coalition internationale. Il faut souligner, comme l’indique Ziad Majed, que ces succès militaires ne seraient pas possibles sans le soutien de ces puissances extérieures qui agissent à l’encontre les prérogatives onusiennes.
Dans le cadre de cette phase de reconquête du régime baasiste, le ministre des affaires étrangères syrien Walid Al-Moualem a, lors de l’Assemblée Générale de l’ONU la semaine passée, exhorté les puissances étrangères présentes sur le sol syrien à « se retirer immédiatement et sans conditions », s’adressant à la France, aux Etats-Unis et à la Turquie, vues comme « une coalition illégitime ». Le régime entend éradiquer Daech et reprendre le pouvoir, voulant assurer sa souveraineté en dénonçant l’ingérence d’acteurs extérieurs. Ce faisant, il ignore les requêtes de l’ONU, qui demande une transition politique en Syrie comme condition pour reconstruire le pays et la paix dans la région.
Plusieurs acteurs impliqués dans le conflit trouvent leur intérêt à ce que Bachar Al-Assad reste au pouvoir : tout d’abord la Russie, alliée historique du clan Assad et son premier fournisseur d’armes ; puis l’Iran, puissance chiite et allié stratégique du régime baasiste pour asseoir son influence régionale ; ainsi qu’Israël, qui craint le risque d’instabilité frontalière si une chute du régime advenait.
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L’impuissance du multilatéralisme
Au cours de ces années de guerre, l’ONU a été témoin de nombreuses violations en termes de droits de l’Homme et de droit de la guerre par le régime syrien – l’utilisation d’armes chimiques à de nombreuses reprises contre sa population – mais n’a pas réussi à intervenir de façon efficace. Cette « ligne rouge » érigée par la France et les Etats-Unis notamment, assurant l’intervention de la force en représailles, n’a pas fonctionné au vu des vetos russe et chinois et du manque de volonté américaine. Face à la Russie de Vladimir Poutine, le Conseil de Sécurité n’a plus fonctionné, déplore Ziad Majed. « La Syrie révèle la fin d’un certain ordre dans notre monde », allant même jusqu’à décrire l’action de l’ONU comme un « fiasco ». « On n’est plus dans un monde où l’on évoque le droit international » mais qui fait place au « réalisme » analyse-t-il, et ce faisant, « jamais il n’y a eu autant de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité documentés, avec une arrogance (…) et avec un mépris des opinions publiques ». Ziad Majed décrit l’attitude occidentale de realpolitik comme la volonté d’avoir la stabilité sans implication. La paralysie de l’institution multilatérale face au blocage russe a permis à Moscou de s’imposer par la force. Ce faisant, elle a organisé les pourparlers d’Astana en 2017, aux côtés de Téhéran et Ankara, établissant des « zones de désescalade » militaire et déplaçant de facto le centre de négociations vers l’Est.
Bachar Al-Assad, dans sa logique de reprise du pouvoir, entame déjà une phase de répression contre ses opposants : une législation défavorable au retour des réfugiés syriens sur une base politique et ethnique s’est déjà développée, comme la loi n°10 contraignant les citoyens à prouver la propriété de leurs biens au risque d’être saisis (presqu’aucun Syrien déplacé ne peut fournir ce genre de document). En outre, le politologue Ziad Majed insiste sur la violence du dictateur : dans les geôles du régime, torture et exécutions sont de mise, réalisant une réelle « industrie de la mort » en parallèle des bombardements sur la population civile. « Statistiquement, les crimes de Daech, des oppositions (…) sont moins forts que ceux du régime », de quoi mettre en perspective. Pour rappel, la crise syrienne a fait plus de 360 000 morts et 5 millions de réfugiés, chiffres probablement sous-estimés et difficiles à confirmer.
« L’impunité, malheur du Moyen-Orient »
Ce que de nombreux observateurs dénoncent en Syrie et plus largement au Moyen-Orient, c’est « l’impunité » qui y règne. En effet, le manque de résultat des négociations européennes et internationales sur le conflit témoignerait d’une « normalisation de l’horreur » de la part des Occidentaux. Durant le processus de Genève, aboutissant à la résolution 2254 sur la nécessité d’une transition politique en Syrie, le régime baasiste, présent, n’a jamais reconnu cette clause. La diplomatie multilatérale n’a pas clarifié sa position sur l’avenir de Bachar Al-Assad dans ses discussions, laissant une ambiguïté. Au sein des Etats européens, les leaders n’ont pas eu d’avis tranché. Pour Ziad Majed, « dire que Assad n’est pas l’ennemi de la France mais l’ennemi de son peuple, c’est normaliser (…) ça exclue les Syriens de l’humanité » et cela expliquerait la défaite du multilatéralisme, car en ne prenant pas le dictateur en compte et ne le désignant pas comme problème, l’ONU répète des erreurs passées.
En Europe, notamment en France et en Grande-Bretagne, les dirigeants n’ont pas vraiment eu de position « claire et imposante » selon M. Majed, ce qui a fragilisé la légitimité de leurs décisions et amoindri leur influence dans les négociations de paix. Ne pas avoir sanctionné le recours à l’arme chimique a signifié une certaine victoire pour le régime d’Assad, qui, voyant l’inaction de l’institution internationale par excellence, garante du droit international qu’est l’ONU, a donc continué sa répression dans l’impunité. La mission de médiation onusienne est dans l’impasse, l’OTAN a été ralentie par le désengagement américain, et la question d’une Europe de la défense a refait surface.
Aujourd’hui, la question soulevée en Syrie est celle de la reconstruction. Là encore, les positions russes et occidentales divergent, les uns souhaitant le retour des Syriens, les autres préférant attendre l’improbable transition politique. Le problème de financement est au cœur des interrogations, la Russie et l’Iran ne disposant pas de fonds suffisants, mais les Européens ne voulant pas cautionner le régime. La France a envoyé, en août 2018, des aides humanitaires à Damas qui, paradoxalement, ont été distribuées par les Russes, auteurs des bombardements.
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