Alors que l’Union européenne rencontre toujours une crise sans précédent, le débat sur les eurobonds refait surface, aussi bien auprès des politiques que des chercheurs. Cette mutualisation des dettes publiques serait-elle un bon processus de sortie de crise?
La rentrée universitaire démontre que la question de la mutualisation de la dette européenne est toujours d’actualité. C’est d’abord la sortie du livre The Euro and the battle of ideas de M.K. Brunnermeier, H. James et J.P. Landau, en août dernier, puis la prise de position en septembre du directeur de la Banque de France pour la création d’euro-obligations qui a relancé le débat. Mais c’est aussi à l’approche des élections françaises, Les Verts et le PS, ayant clairement pris position en faveur de ceux-ci comme échappatoire à la crise. L’occasion de revenir sur cette question fondamentale.
Une crise toujours présente
Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, deux dynamiques s’opèrent dans le capitalisme occidental. D’une part, les accords de Bretton Woods, en 1945, tentent de réguler le commerce international pour éviter les grandes crises du type de celle de 1929 ; d’autre part, les Etats se muent en Etat-providences et obligent les capitalistes nationaux à redistribuer plus et mieux (par les salaires et par les taxes). C’est le temps des « Trente Glorieuses ». Mais durant les années 1970, une crise multiforme déstabilise les économies de l’ouest (double chocs pétroliers), leurs sociétés (Mai 68) et le modèle économique international (désindexation du dollar sur l’or). Il s’agit pour les pays occidentaux de réinventer leur façon de faire du commerce, qu’ils trouvent dans le néo-libéralisme (théorisé par Friedrich Hayek dès 1944). Au niveau international, cela se traduit par la dérégulation des mouvements de capitaux, et des flux financiers. Parallèlement, l’Europe des Commissions Delors (1985 – 1995) finalise le grand marché et crée l’euro.
C’est la fin d’une certaine prise des Etats-providences à la fois sur le capitalisme national et sur les mécanismes de la monnaie. Ce qui provoque l’accroissement du déficit des pays européens, puisque l’Etat-providence tente de se substituer aux capitalistes nationaux (anciennement redistributeurs), et empêche toute manipulation des monnaies pour amortir les chocs internationaux. Ce sont ainsi, rapidement présentés, une partie des fondements structurels sur lesquels se fonde la crise conjoncturelle qui s’empare de l’Europe dans les années 2008-2010. Parmi les solutions proposées, la question des eurobonds offre des perspectives financières certes, mais aussi politiques et économiques, voire sociales, ce qui en fait toute son ambiguïté.
Les eurobonds, une solution à la crise
Le débat est officiellement lancé en décembre 2010 dans un article du Financial Time écrit par Jean-Claude Juncker (alors président de l’Eurogroupe) et Giulio Tremonti (ministre italien de l’économie). Suivi en 2011 par un appel européen de quatre personnalités (dont Jacques Delors) en faveur des eurobonds. Le deuxième texte distingue deux variantes des bonds au niveau européen. D’une part les eurobonds, servant à combattre la spéculation contre les Etats-membres de la zone euro via une levée de fonds grâce au Mécanisme Européen de Stabilité. D’autre part, les Union bonds, ou project bonds, visent l’ensemble de l’UE via la Banque Européenne d’Investissement pour la R&D et le financement de grands projets européens.
Les eurobonds seraient donc un moyen pour les Etats de mutualiser leurs dettes afin d’offrir aux marchés une sécurité des emprunts, empêchant par là même une trop grosse spéculation à court et moyen terme ; notamment parce que le bon comportement de certains bénéficient à ceux qui ont le plus de problèmes. Ce serait donc la mise en application du principe de coopération et de solidarité de la construction européenne. Cependant, les propositions sont loin de faire l’unanimité, et soulèvent notamment la question des bons et des mauvais élèves. Déjà dans les années 1980, la proposition de grands emprunts européens du paquet Delors I avait créé des dissensions dans la Communauté, et finalement échoué, en partie à cause de l’Allemagne. La principale opposition étant la perspective fédéralisante des eurobonds, qui pousserait à terme à une union des politiques économiques et financières. Les Etats sembleraient alors perdre à nouveau une partie de leurs droits régaliens.
>> Pour aller plus loin : Fiscalité européenne, David cotre Goliath
En octobre 2014, lors de son grand oral devant le Parlement européen, le Commissaire aux Affaires Economiques et Monétaires, Pierre Moscovici, a assuré que les eurobonds n’étaient pas d’actualité, bloquant ainsi, potentiellement pour cinq ans, les initiatives. Toutefois, la Commission n’a pas fermé ses portes aux fameux project bonds pour tenter de relancer la croissance et l’intégration. Ainsi, malgré les tentatives des instances communautaires pour relancer la croissance, notamment à travers des taux d’intérêt bas, le prolongement de la crise, la croissance atone et les politiques de rigueur ont dès 2011-2012 étouffé les débuts de reprise.
Ainsi les eurobonds, outre la perspective économique, soulèvent la nécessité d’une nouvelle approche de l’Union européenne, de ses objectifs à long terme et de son avenir. Les eurobonds sont la personnalisation des tensions qui secouent l’Europe, puisqu’ils représentent, parmi d’autres, un des points de rupture entre plus d’intégration des politiques européennes et démembrement des acquis communautaires préexistants, la crise ayant démontré que le statut-quo n’était plus possible. Les différentes perspectives d’évolution restent en suspens face à la renationalisation du débat européen due à une crise multi-niveaux qui persiste, comme le prouve le Brexit.
Crédit photo : A. Hangna 2010
Quentin Rochat