À l’origine de nombreuses révélations aux conséquences parfois considérables, les lanceurs d’alerte souffrent encore aujourd’hui d’un manque de protection à l’échelle européenne. Entre tentative d’harmonisation et respect du principe de subsidiarité, les lignes bougent lentement.
« LuxLeaks » ou « Panama Papers » pour les plus médiatisés, ou encore l’affaire “Cash for ash » en Irlande du Nord qui a révélé l’existence d’un gigantesque scandale de subventions d’énergies renouvelables et a joué un rôle majeur dans la crise politique que traverse en ce moment la nation britannique, tous partagent un point commun : les lanceurs d’alerte. Personne ne peut dire si ces scandales seraient aujourd’hui connus de tous si des citoyens, employés des entreprises concernées ou non, n’avaient pris l’initiative de se mettre en danger et de faire ces révélations. Devant l’accumulation de ces révélations, une prise de conscience européenne sur la nécessité d’un statut accordé aux lanceurs d’alerte se manifeste aujourd’hui mais le chemin reste encore long.
Des disparités européennes importantes
En matière de protection des lanceurs d’alerte, les législations européennes sont extrêmement disparates, et si bon nombre d’Etats membres admettent qu’il faille à présent faire avancer le dossier, assez peu s’engagent à prendre officiellement des initiatives au niveau national. Seuls cinq Etats, dont la France et la Suède très récemment, ont aujourd’hui légiféré pour offrir une protection aux lanceurs d’alerte. Ailleurs, ces derniers doivent bien souvent se référer à des législations portant sur la lutte contre la corruption afin de prouver l’intérêt de leurs actions.
En France, la loi Sapin 2 offre pour la première fois un véritable statut aux lanceurs d’alerte après des débats parfois houleux et une multitude d’amendements discutés au cours des trois lectures nécessaires à son adoption par les députés et sa promulgation officielle le 9 décembre 2016. Le texte stipule qu’est considérée comme lanceurs d’alerte toute « personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, (…) une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ». Cette loi permet aux individus à l’initiative de ces fuites de bénéficier de protections dans le cas de sanctions, à l’image d’un licenciement ou d’une baisse de salaire, mais reste tout de même contraignante pour les lanceurs d’alerte, selon leurs défenseurs. Ils doivent notamment respecter une procédure bien particulière dans le cadre de leurs dénonciations. Car avant de rendre publiques ses informations, en particulier par voie médiatique, le lanceur d’alerte doit premièrement effectuer un signalement en interne, se tourner vers la justice ou des ONG en cas d’échec de la première étape, avant de pouvoir s’adresser à la presse en ultime recours. La loi entrée en vigueur en Suède le 1er janvier dernier repose sur ce même schéma, tout comme en Norvège où la législation existe depuis 2007.
Dans certains pays, une législation seulement partielle existe et demeure relativement floue. En Allemagne par exemple, seules les personnes évoluant dans le secteur financier peuvent bénéficier de l’anonymat en dénonçant des faits d’intérêt public. Alors que dans le même temps des sanctions existent toujours en cas d’infraction au droit du travail et droit pénal. Un paradoxe qui ne ravit pas les défenseurs des lanceurs d’alerte.
Quelles évolutions et à quelles échéances ?
Récemment, l’Europe semble avoir pris la mesure du problème et des premiers jalons sont posés, en particulier au niveau du Parlement. Le 24 novembre 2014, la députée européenne Virginie Rozière a été nommée rapporteuse sur la protection des lanceurs d’alerte. Dans un entretien à Toute l’Europe, elle reconnaît que l’Union a besoin d’un cadre d’harmonisation sur ce sujet. D’autant plus que les scandales révélés concernant principalement des grandes firmes, les répercussions sont européennes ou mondiales. Cependant, le groupe de travail dirigé par Mme Rozière ne produira qu’un rapport d’initiative, c’est-à-dire qu’il permettra d’établir la position du Parlement sur le sujet mais qu’aucun vote à vocation législative n’aura lieu. Le Parlement n’ayant pas d’initiative législative, il reviendra ensuite à la Commission de suivre ou non la position des députés puis de proposer par la suite un texte destiné à être adopté. Si les députés espèrent obtenir un vote sur ce texte au printemps prochain, l’adoption définitive devrait prendre plus de temps, au prix notamment de nombreux débats entre les groupes politiques.
D’autant plus que même au sein des Etats possédant déjà une législation de protection des lanceurs d’alerte le sujet reste sensible et suscite encore des controverses. Dernier exemple en date avec Edward Snowden qui avait demandé l’an dernier à pouvoir se rendre en Norvège en toute sécurité et qui s’était vu refuser l’autorisation d’entrée sur le territoire malgré la loi de 2007.
La perspective d’une harmonisation européenne s’avère donc longue et semée d’embuches mais elle sonne l’espoir de voir aboutir une protection à l’échelle de l’Union pour les futurs Antoine Deltour ou Edouard Perrin.