Depuis une vingtaine d’années, les perturbateurs endocriniens sont peu à peu devenus un problème sanitaire majeur au niveau mondial, et particulièrement en Europe. La réponse politique tarde cependant à venir, notamment à cause d’une pression industrielle forte sur la Commission européenne.
La Commission européenne est attendue au tournant : cela fait maintenant des années que scientifiques et militants demandent une réglementation enfin claire et ambitieuse sur les perturbateurs endocriniens, des substances dont la nocivité a pourtant été prouvée pour une grande partie. Avec un retard certain, une réglementation majeure pourrait enfin voir le jour en 2017. Il faudrait pour cela dépasser les blocages historiques en termes de volonté politique et de définition complète des substances concernées.
Pourquoi parler de perturbateurs endocriniens ?
Dans un contexte de méfiance toujours plus importante des populations face aux risques sanitaires, les perturbateurs endocriniens sont devenus au fil des ans un véritable problème de santé publique. Aussi appelés xénohormones, ces substances peuvent être à la fois d’origine naturelle et anthropique. Les perturbateurs endocriniens sont avant tout des composés ayant un impact sur le système hormonal pouvant aboutir à des effets néfastes sur les capacités reproductives d’un individu et aller jusqu’à favoriser certains cancers, l’obésité et même l’altération du quotient intellectuel. Ces perturbateurs peuvent ainsi agir sur la fertilité et être transmis entre plusieurs générations.
On les retrouve dans une très grande variété de produits et d’éléments auxquels quiconque se retrouve confronté : l’alimentation et l’eau à travers des résidus de pesticides, mais également des produits cosmétiques, médicaments, textiles, appareils informatiques, plastiques. Si les perturbateurs endocriniens sont presque partout, même dans l’eau du robinet, il faut essayer de ne pas sombrer dans la paranoïa en analysant le problème dans sa globalité.
C’est donc également dans ce contexte que de nombreux professionnels des industries agricole, pharmaceutique, et chimique, sont régulièrement exposés à de hautes doses. Il est aujourd’hui difficile d’évaluer l’impact des perturbateurs endocriniens avec certitude, et surtout dans le cas de la majorité de la population qui est en contact à petite dose mais de manière très régulière. On comprend pourquoi ce problème sanitaire est devenu aujourd’hui un enjeu politique majeur, et qu’il exige une réponse réglementaire protectrice claire.
Une gestion européenne et nationale inefficace
C’est en 1999 que l’Union européenne s’engage dans le combat pour la régulation en lançant l’idée d’une stratégie communautaire concertée. Avec des objectifs d’identification des substances prioritaires et de leurs effets à court terme, d’encouragement de la recherche et des alternatives à moyen terme, ainsi que l’adoption de mesures législatives sur le long terme, il s’agit déjà à l’époque d’arriver à obtenir une définition claire des substances qui pourraient être désignées comme perturbateurs endocriniens.
En 2013, le Parlement européen a voté une résolution à une grande majorité en faveur d’une lutte accrue pour la régulation des perturbateurs endocriniens. La Commission européenne avait notamment pour objectif de publier une liste des substances considérées comme dangereuses ou relevant du principe de précaution, c’est-à-dire d’une forte supposition de dangerosité sans vérification scientifique nécessaire pour légiférer. Mais des sociétés importantes comme Bayer ou BASF se sont opposées à une réglementation plus stricte à travers un intense travail de lobbying. On sait par exemple que c’est Bayer qui aurait demandé une étude d’impact sur la réglementation des perturbateurs, retardant ainsi le processus de législation. Les grandes entreprises disposent également de l’appui du Conseil Européen de l’Industrie Chimique (CEFIC), une association puissante qui représente leurs intérêts avec des moyens conséquents. Les inégalités en termes de moyens entre lobbys industriels et associations de consommateurs sont compensées par la médiatisation de certaines affaires et donc du poids de l’opinion publique.
La Commission a ainsi refusé de publier la liste en expliquant qu’une étude d’impact plus précise devrait être menée avant de publier les résultats, et notamment pour évaluer les pertes pour les sociétés productrices. En 2015, 18 chercheurs du Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism (JCEM) publient une étude pour estimer le coût des perturbateurs endocriniens pour l’Union européenne et arrivent au chiffre de 157 milliards d’euros par an, soit 1,23 % du PIB de l’Union européenne. Il s’agit ainsi du coût que payent l’ensemble des États membres à cause des effets néfastes de ces substances.
Des négociations sont toujours en cours, et on attend encore une définition officielle claire des perturbateurs endocriniens, avec ou sans le principe de précaution. La Commission européenne devrait déjà avoir fourni cela, et c’est pourquoi elle a été condamnée en justice en décembre 2015 par le Tribunal de l’Union européenne pour « retard illégal ». Le Sénat français vient d’adopter une définition en janvier 2017 incluant le principe de précaution en espérant peser sur les négociations au niveau européen. Il s’agit maintenant de voir comment la Commission pourra enfin adopter des politiques claires sur les perturbateurs endocriniens à l’encontre des pressions du lobby industriel.
Ce problème met en lumière les relations complexes entre action publique, santé des citoyens européens et poids des sociétés industrielles. Un rapport de force compliqué existe et empêche dans certains cas, et notamment dans le cadre d’enjeux sanitaires et environnementaux, le pouvoir politique de prendre des décisions qui pourtant s’imposent si la santé des citoyens l’emporte sur les intérêts économiques. Nul doute que des réglementations sur les perturbateurs endocriniens vont arriver. Elles seront cependant le fruit d’un intense combat de la part de nombreux militants et ONG pour faire bouger les lignes.