Le 18 mars 2016, la coopération entre l’Union européenne (UE) et la Turquie en matière de migration avait abouti à un accord ayant trois objectifs principaux : fermer les voies illégales de migration, renvoyer en Turquie toute personne arrivée illégalement en UE et ne satisfaisant pas les critères de protection internationale, et réinstaller dans les États membres des réfugiés syriens actuellement en Turquie. Près de deux ans après sa mise en œuvre, quel est le bilan à dresser ?
L’accord visait à fermer l’axe Turquie-Grèce à la migration : le nombre d’arrivées illégales recensées sur cet itinéraire a en effet drastiquement diminué après mars 2016. Cependant, les arrivées croissent de nouveau depuis juin 2017 , et la pression migratoire ne faiblit pas.
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En Grèce : une pression migratoire incessante, des réinstallations disparates et des structures d’accueil saturées
Même si la route maritime allant de la Turquie vers la Grèce demeure moins empruntée depuis mars 2016, d’autres itinéraires s’y sont substitués : la traversée de la Turquie vers la Roumanie en Mer Noire , l’entrée en Finlande par la Russie ; ou les passages maritimes partant de Turquie, du Maroc, de Libye, vers l’Italie et l’Espagne.
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Également, le retard accumulé des demandes de protection internationale effectuées en Grèce, et le manque de structures de « pré-retour » vers la Turquie rendent problématique la situation sur les îles grecques, où plus de 13 000 personnes attendent l’examen de leur demande.
Relocalisation et réinstallation sont deux choses différentes: la réinstallation est le transfert vers l’UE de ressortissants de pays tiers pour qui a été reconnue une protection internationale. La relocalisation est un transfert d’un Etat membre vers un autre, de personnes déplacées déjà présentes sur le sol européen.
Enfin, parallèlement à cette pression migratoire qui ne faiblit pas, les mesures de réinstallations et de meilleur accueil des populations exilées en UE peinent à se mettre en œuvre. La réinstallation de réfugiés de Turquie vers l’UE est loin des objectifs affichés, et inégalement répartie. L’accord se fondait sur un système « d’un pour un » selon lequel pour chaque personne renvoyée de Grèce vers la Turquie, un réfugié syrien en Turquie serait réinstallé dans un État membre. L’objectif pour 2017 était fixé à 25 000 personnes réinstallées : or, ce ne sont qu’un peu plus de 12 000 personnes qui ont bénéficié de la réinstallation, majoritairement en Allemagne et aux Pays-Bas. Ceci résonne avec les limites du plan européen de relocalisation, démarré en septembre 2015, où, sur les 160 000 personnes qui auraient dû être relocalisées, seulement un peu moins de 28 000 personnes ont bénéficié du plan.
En Turquie : une aide européenne en demi-teinte
L’UE avait promis à la Turquie un premier versement de trois milliards d’euros pour financer des projets humanitaires garantissant aux personnes déplacées en Turquie un accès aux besoins fondamentaux : plus d’1,5 milliard ont à ce jour été alloués .Quant au second versement de trois milliards d’euros réservé aux projets dits « non humanitaires », plus d’un milliard d’euros ont financé l’accès à l’éducation, à la formation professionnelle et à l’emploi pour les personnes déplacées.
Les tensions entre la Turquie et plusieurs États membres demeurent manifestes. Les engagements pris par la Turquie dans cet accord avaient été motivés par la perspective de la circulation facilitée des ressortissants turcs dans l’UE ; toutefois, la France et l’Allemagne ont fait part de leurs réserves à ce sujet, introduisant un mécanisme de suspension du régime de délivrance de visa sous des circonstances exceptionnelles, et ce malgré les menaces du président Erdoğan de suspendre l’accord et de renvoyer les personnes en Grèce .
Somme toute, la déclaration est mise en péril. La présence accrue de Syriens et d’Irakiens kurdes en Turquie attise les tensions internes. La menace du groupe terroriste État islamique influence fortement les relations entre la Turquie et les États membres d’Europe de l’Ouest. Enfin, les nombreuses arrestations en Turquie ont accéléré les départs de ressortissants turcs vers l’Europe, mettant en lumière des violations de droits et libertés. Pour toutes ces raisons, la question plus globale de l’accession de la Turquie à l’UE reste hautement délicate. Extrêmement soumise au contexte géopolitique européen et international, la pérennité de l’accord UE-Turquie est loin d’être garantie. Il sera sans nul doute au programme des discussions du sommet UE-Turquie le 26 mars prochain en Bulgarie, au même titre que la question plus globale – mais tout aussi épineuse – de l’adhésion turque à l’UE.