Présent à Paris le 5 avril dernier à l’occasion d’une conférence consacrée au journalisme européen à la Sorbonne Nouvelle, Jean-Sébastien Lefebvre, rédacteur en chef du bureau bruxellois du site Contexte, basé à Bruxelles et Paris, a répondu à nos questions entre deux Thalys.
Pouvez-vous vous présenter et nous dire ce qui vous a amené chez Contexte ?
Je suis présent depuis le début chez Contexte, et je suis encore aujourd’hui l’un des tout petits actionnaires. En 2013, avec ma rédactrice en chef actuelle, Clémentine Forissier, mon patron, et quelques autres, on a quitté Euractiv France pour créer un autre journal qui correspondait plus à notre vision, à la fois sur le modèle économique, et sur le travail de la presse. Pour le côté plus personnel, j’ai commencé en presse régionale, à Saumur pour le Courrier de l’Ouest, en parallèle de mes études. J’y ai appris le métier. Par la suite, durant mon stage de fin d’études en Master 2, Euractiv France était en train de se lancer, et j’étais l’un des premiers stagiaires. Puis, j’ai travaillé pour Café Babel à Paris, ensuite je suis parti au Collège d’Europe à Natolin, et je suis allé à Bruxelles où j’ai travaillé deux ans en free-lance. Je suis revenu à Paris, à nouveau pour Euractiv, et puis Contexte.
Vous êtes totalement indépendant financièrement chez Contexte ? Vous n’avez par exemple pas de publicité.
Il doit rester une ou deux publicités dans les newsletters, mais elle a vocation à disparaître, elle n’a jamais représentée plus de 2% du chiffre d’affaire. Le reste ce sont les abonnements, et l’objectif est d’atteindre environ 90% de financement via cela. Et dès le début, nous avons réussi à récupérer des financements via le fonds pour l’innovation dans la presse, ce qui nous a évité de devoir emprunter trop tôt à la banque ou de prendre de l’argent d’investisseur divers et variés. Avec cela, on a financé des projets internes au journal, ce qui nous a permis très rapidement d’arriver à l’équilibre financier. La part des abonnements augmente d’années en années et la part de financements types subventions ou autres se réduit.
Qu’est-ce que vous souhaitiez apporter en plus dans le journalisme européen en créant Contexte ?
Ce n’était pas uniquement dans le journalisme européen, mais dans le journalisme de manière générale. Il y a plusieurs choses, sur le type de journalisme d’abord. On voulait faire du journalisme dit « expert », mais plus politique, en se disant qu’on allait traiter des sujets politiques qui font débat avec un point de vue expert, en se collant au texte, et en prenant les choses très en amont, avant même la proposition du gouvernement ou de la Commission. Ce qui nous paraissait important et qui était sous-estimé en France, était de se dire qu’il est possible de suivre un sujet uniquement si on se trouve là où se situe le pouvoir. Et le pouvoir n’est pas qu’à Paris, il est aussi en grande partie à Bruxelles. Il faut suivre le sujet sur toute la durée. Parfois c’est Paris puis Bruxelles, ou l’inverse, Bruxelles puis Paris. Le règlement sur les données personnelles est l’exemple typique et parfait, il a été construit pendant cinq ans à Bruxelles, et maintenant il y a des transpositions ici à Paris.
Et donc, dès 2013 nous avons ouvert un bureau à Bruxelles. Il n’y avait que moi au début, et maintenant nous sommes quatre. On appelle cela la rédaction sur deux piliers : le parisien et le bruxellois. Dans l’organisation, nous avons trois journalistes par rubrique, avec souvent deux à Paris et un à Bruxelles. Mais on ne s’interdit pas, par exemple, si on ouvre une rubrique politique commerciale, d’en mettre deux à Bruxelles et un à Paris, car la majorité des compétences commerciales sont à Bruxelles. Pour la rubrique numérique aujourd’hui, on a deux journalistes à Paris et un à Bruxelles, mais on se dit également qu’un journaliste en plus à Bruxelles permettrait de mieux équilibrer la couverture de la rubrique car beaucoup de choses s’y passent. L’idée était que l’information politique du 21e siècle en France ne peut pas vivre sans un bureau bruxellois.
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De manière générale, peu de médias ont des correspondants permanents à Bruxelles ?
Oui, cela se fait de Paris. Mais globalement il y a assez peu de correspondants. Et on peut même se demander si les journalistes à Bruxelles sont des correspondants. Car un correspondant est dans un pays étranger. Là effectivement on est en Belgique, mais on ne couvre pas d’affaires extérieures. On couvre des législateurs qui font faire une loi qui aura quasiment la même valeur que celle qui sera votée au palais Bourbon. Donc c’est plus une sorte de refus de certains médias ou milieux journalistiques de se rendre compte une bonne fois pour toute qu’on ne peut pas suivre les choses sérieusement si on n’est pas à Bruxelles. Et ce n’est pas avec 35 journalistes français de presse écrite à Bruxelles que l’on peut tout faire.
On peut être spécialiste sur un ou deux sujets bien sûr. Mais par exemple moi, même après six ans à Bruxelles, il y a encore des choses que je ne connais pas, comme la politique énergétique ou la politique de transport. Donc il faut des spécialistes et des gens sur le terrain. Un grand média ne peut pas avoir un spécialiste par sujet, mais au moins avoir des gens qui connaissant assez bien la structure du pouvoir à Bruxelles pour pouvoir comprendre les choses. De plus, on est très vite débordés à Bruxelles. Il y a énormément de sujets à traiter, avec beaucoup de choses ces dernières années. Dans la salle de presse, avec un journaliste par média, dès qu’il y a plus d’un sujet on se retrouve débordés.
On dit souvent que la presse, les médias, ont du mal à rendre l’Europe accessible et simple à comprendre, et chez Contexte vous êtes très spécialisés et réputés peu accessibles : un choix assumé ?
Oui, notre public est en très grande partie spécialisé : les ministères, des députés, les entreprises, les universités, un peu d’ONG, tous les corps intermédiaires disons. Nous n’avons pas encore les reins assez solides pour se lancer sur une version grand public.
Et c’est une ambition que vous avez ?
Oui, un jour j’espère qu’on arrivera à lancer une version autre. Une sorte de Contexte light, ou vendu comme tel. Mais pour cela il faut des financements solides que nous n’avons pas aujourd’hui. Et en même temps ce n’est pas totalement perdu, car si on veut pouvoir faire de l’information de qualité, grand public sur l’Europe, nous avons besoin de gens qui ont l’expertise, qui comprennent comment cela fonctionne, et qui peuvent décider ensuite le technique, le politique. Car on dit toujours que l’Europe est compliquée, etc., mais, par exemple, si je vais à l’Assemblée nationale je n’y comprends rien, et c’est aussi compliqué. Donc il faut les gens pour arriver à le décrypter, et je me dis que le jour où on voudra faire du grand public, au moins on aura les gens avec les expertises nécessaires. Il faudra sans doute apprendre à écrire différemment, mais on ne peut pas juste dire « je vais faire un peu d’Europe trois semaines avant les élections européennes pour l’expliquer aux gens », car on ne peut pas l’expliquer en trois semaines. Il faut investir sur le long terme pour y arriver. Seuls les journalistes connaissant très bien leur sujet arrivent à le vulgariser. On explique bien que ce qu’on connaît très bien
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