La résistance d’une partie de la société géorgienne dans un pays qui bascule dans l’autoritarisme
Par Thiennot Foucher
Depuis la fin du mois d’octobre et l’annonce de la victoire du parti Rêve géorgien aux élections législatives, la Géorgie est plus divisée que jamais. Le parti, au pouvoir depuis 2012, a déployé un système de fraude massive pour conserver le pouvoir et poursuivre son tournant autoritaire. Une grande partie de la population voit s’évanouir son rêve européen. Une autre assiste au retour de son pays dans le giron russe avec fatalité, après avoir participé à une fraude électorale qui s’inscrit dans un contexte socio-politique géorgien difficile.
Une fraude électorale dont les contours se dessinent peu à peu
Le 11 novembre dernier, les résultats des législatives ont confirmé la victoire du parti au pouvoir avec 53.93% des suffrages exprimés, contre 37.79 % pour la coalition des partis d’oppositions. Très vite, de nombreux acteurs politiques et de la société civile ont dénoncé de larges fraudes électorales. Peu à peu, se dessine l’ampleur du système mis en place par le gouvernement pour obtenir les voix des Géorgiens. Les partisans de Rêve géorgien n’ont pas hésité à se servir de leur contrôle des administrations publiques pour proposer des offres personnalisées aux citoyens. Ainsi, il a pu être proposé à des familles une remise de peine de prison pour leurs proches incarcérés. De même, des sommes d’argent, établies en fonction des revenus des foyers géorgiens, ont été échangées contre des suffrages. Dernier exemple, des employeurs ont envoyé des SMS à leurs salariés en leur faisant comprendre que la pérennité de leur emploi serait conditionnée par l’orientation de leur vote.. Cette stratégie joue de la vulnérabilité d’une population géorgienne qui souffre de la situation économique actuelle. Le Rêve géorgien a aussi su jouer sur la peur, en martelant que l’opposition voulait déclarer la guerre avec la Russie, réveillant les traumatismes de l’époque soviétique et de la guerre de 2008. Un système sophistiqué de fraudes donc, qui s’appuie sur les ressorts de la désinformation en suivant, selon la présidente de la Géorgie Salomé Zourabichvili, une « méthodologie russe ».
La Présidente contre l’oligarque
Salomé Zourabichvili est, depuis le mois d’Octobre, en rupture avec le gouvernement, dénonçant les fraudes et s’affichant comme une figure de l’opposition. Ce mardi 19 novembre, elle a déposé un recours devant la Cour constitutionnelle pour “annuler les résultats des élections législatives du 26 octobre, en raison de violations généralisées du caractère universel du vote et du secret du scrutin». En face, la figure de l’oligarque et chef du parti Rêve géorgien, Bidzina Ivanichvili. L’homme “le plus riche de Géorgie” a fait fortune dans le trouble de la période succédant à la chute de l’URSS à l’instar de ses camarades oligarques russes. Il a profité des privations de pans entiers des économies jusqu’ici entièrement nationalisées par les Communistes. Dans le far-west du monde post-soviétique, des hommes ont alors su se créer des empires financiers par la ruse, les relations politiques et la violence. Ivanichvili, après avoir amassé une fortune avoisinant les 4,9 milliards d’euros (soit un sixième du PIB géorgien) est revenu en Géorgie en 2010 avec l’ambition de conquérir le pouvoir. En 2012, le parti Rêve géorgien, dont il est le fondateur, remporte les élections législatives et il devient Premier ministre, poste qu’il quitte au bout d’un an. Depuis, il n’exerce plus de fonction exposée médiatiquement, la raison pour laquelle il avait d’ailleurs démissionné. Mais il tire les ficelles de l’État et ne cache pas sa sympathie pour le Kremlin, tandis qu’il multiplie les déclarations hostiles envers l’Occident. Sous son règne de l’ombre, il normalise les relations entre son pays et la Russie et entame un tournant idéologique très proche de celui du Kremlin : diatribes contre un Occident décadent, imposant une idéologie LGBTQ+ et voulant prendre le contrôle de la Géorgie à travers les ONG. C’est son contrôle de l’appareil d’État géorgien, rendu possible par l’adoption de lois controversées et le verrouillage des institutions, qui a permis les fraudes massives des dernières élections.
Une partie du pays dans la rue
Face à cette situation, une partie de la société Géorgienne refuse de baisser les armes. Exemple de cette révolte, Davit Kirtadze, militant dans l’opposition politique au gouvernement pro-russe. Dans la matinée du 19 novembre, il a aspergé le président de la Commission électorale avec de la peinture au moment où celui-ci signait le document authentifiant les résultats des élections truquées. D’après The Telegraph, le militant a accusé le président de la commission d’être la “‘trace noire’ du système démocratique du pays” et de “rapprocher le pays de la Russie au lieu de le rapprocher de l’Europe”. Comme Davit, nombreux sont les habitants du pays sud-caucasien à être révoltés par la situation politique de leur pays. Depuis des mois, des manifestations secouent régulièrement les villes. Une première vague de mobilisation sociale avait suivi l’adoption des très controversées lois sur les agents de l’étranger et la loi sur les valeurs traditionnelles géorgiennes. La première oblige toute association percevant des financements étrangers à se déclarer auprès des autorités de Tbilissi. En attendant son entrée en vigueur, la société civile redoute que cette réglementation, copie conforme d’une législation utilisée par le Kremlin pour museler toute opposition, ne soit qu’un prétexte pour dissoudre toute organisation défendant des idées progressistes et démocratiques. La deuxième législation controversée menace quant à elle les droits des minorités et de tout individu n’entrant pas dans la norme définie par le texte, et en premier lieu, les personnes LGBTQ+. Les Européens avaient alors averti le gouvernement géorgien que de telles mesures étaient incompatibles avec une perspective d’adhésion à l’UE et que le scrutin serait un test pour évaluer la possibilité réelle d’adhésion de la Géorgie. Depuis l’annonce des résultats et la révélation des fraudes, une partie des Géorgiens, dégoutés par le tournant autoritaire d’un État qui tourne le dos à l’UE, sortent dans la rue. Entre les journées du samedi 16 novembre et du mardi 19 novembre, des centaines de manifestants ont envahi et occupé une partie du centre-ville de la capitale. Ils ont été finalement délogés par les forces de l’ordre dans la matinée du mardi, des dizaines d’entre eux ont été arrêtés et l’on rapporte des violences policières.
Une gronde qui secoue aussi l’Abkhazie
Un projet de loi sur l’immobilier favorisant les investissements russes a déclenché une forte mobilisation en Abkhazie. Cette région séparatiste, gouvernée par des pro-russes, est de facto indépendante de la tutelle de Tbilissi depuis les années 90. Des soldats russes y stationnent depuis la guerre de Géorgie de 2008. Depuis le 11 novembre, de violentes manifestations secouent la capitale Soukhoumi faisant des dizaines de blessés. Des manifestants ont aussi occupé le Parlement et un bâtiment officiel pour dénoncer la ratification de l’accord avec Moscou. Depuis, le projet de loi a été retiré mais les tensions entre l’opposition et le gouvernement pro-russe persistent. De nombreux habitants de l’Abkhazie redoutent une absorption économique de leur république par la Russie, État qui, en 2008, a reconnu son indépendance proclamée unilatéralement en 1992. De son côté, le ministère russe des Affaires étrangères accuse l’opposition de ne pas avoir “jugé possible de résoudre ses différends avec le pouvoir légitime du pays par un dialogue civilisé et respectueux » et d’avoir « dépassé le cadre légal », provoquant « une escalade du conflit ». Finalement, le président Abkhaze Aslan Bjania a remis sa démission mardi 19 novembre, en échange du départ des manifestants du Parlement.
En Géorgie, l’opposition refuse toujours d’entrer au nouveau Parlement en attendant la publication du rapport enquêtant sur la fraude électorale. Ce dernier devrait être disponible fin décembre. La présidente a prévenu qu’elle ne signerait pas le décret pour le convoquer, mais le Premier ministre Irakli Kobakhidze a annoncé qu’il passerait outre. Le bras de fer continue donc et la mobilisation en Abkhazie montre que les pro-russes font face à une opposition dans l’ensemble du territoire Géorgien, y compris dans les régions séparatistes.
L’entrée en vigueur de la loi sur l’interdiction de la GPA ravive les tensions en Italie
Article écrit par Hélène Schiavitti
Ce lundi 18 novembre, en Italie, la loi renforçant l’interdiction de la pratique de la GPA, sur le territoire national et à l’étranger, est entrée en vigueur un mois après son adoption par les sénateurs italiens. Tandis que l’extrême-droite et la droite conservatrice se réjouissent de l’interdiction de ce que ladite loi qualifie de « crime universel », l’opposition se fait entendre en arguant le caractère inconstitutionnel et impraticable de cette législation.
En Italie, la question de la GPA déchaîne les débats depuis la campagne de Giorgia Meloni
Dans sa campagne électorale de 2022, la ligne politique de Giorgia Meloni, alors candidate du parti d’extrême-droite Fratelli d’Italia, se voulait très dure à l’égard de la famille. Tout l’argumentaire de la candidate se basait alors sur la promotion des valeurs familiales traditionnelles. Celles-ci étaient ainsi visibles dans sa devise « Dieu, patrie, famille » ou encore lors de ses diverses déclarations notamment lorsqu’elle affirmait « Oui à la famille naturelle, non au lobby LGBT ! » lors de son meeting en Espagne en juin 2022.
Naturellement, ces prises de position ont ravivé la question de la gestation pour autrui en Italie et d’autant plus après la victoire de Meloni aux élections. En effet, bien qu’interdite sur le sol italien depuis 2004, la GPA demeure encore un sujet clivant 20 plus tard. Tandis que l’opposition revendique une protection accrue des enfants nés de mères porteuses, l’extrême-droite veut aller plus loin dans l’interdiction de la GPA qualifiant cette pratique de « marché des enfants », de « propagande » des mères porteuses ou encore de « pratique inhumaine qui alimente un marché transnational déguisé en acte d’amour ». Ces propos virulents à l’égard de la GPA peuvent être lus sous un prisme homophobe puisque les couples homosexuels, ne pouvant procréer naturellement, recourent souvent à cette pratique d’où la dénonciation par l’extrême-droite d’un « lobby LGBT ».
L’adoption de la loi et sa teneur
Le parti de Giorgia Meloni a récemment défendu un texte de loi renforçant l’interdiction de la GPA en rendant son recours illégal y compris à l’étranger. Ce texte a été adopté le 16 octobre 2024 par les sénateurs italiens et entre en vigueur ce lundi 18 novembre. Dès lors, les Italiens ayant recours à la gestion pour autrui, où que ce soit sur le globe, s’exposent à une peine d’amende allant de 600 000 euros à 1 million d’euros et à une peine de prison comprise entre trois mois et deux ans. De plus, ladite loi ne se contente pas de renforcer l’interdiction du recours à la GPA, elle qualifie cette pratique de « crime universel ».
Son entrée en vigueur remet de l’huile sur le feu
Dès lors, une telle loi ne peut laisser la classe politique italienne neutre et son entrée en vigueur n’arrange pas les choses. En effet, les associations anti-GPA s’en félicitent à l’instar de Pro Vita & Famiglia. En effet, pour son président, Antonio Brandi, l’entrée en vigueur de cette loi est une « étape importante dans l’abolition du marché international des enfants ». De même, l’extrême droite s’exalte de cette entrée en vigueur comme le fait le président des sénateurs du parti Forza Italia, Maurizio Gasparri, lorsqu’il parle d’une « loi contre le déshonneur de la maternité de substitution ». Mais, en face, l’opposition gronde. Celle-ci dénonce l’entrée en vigueur d’une loi non seulement inconstitutionnelle mais impraticable. Sur X, Riccardo Magi dénonce une « honte juridique clairement inconstitutionnelle » et « contraire à l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». De plus, l’association Luca Coscioni entend porter devant les tribunaux cette loi qu’elle qualifie d’injuste. L’association met aussi l’accent sur les problèmes techniques qu’impose la mise en vigueur d’une telle loi notamment en ce qui concerne la collecte des preuves et la coopération policière internationale.
Le Mozambique s’enfonce dans la crise politique après les élections présidentielles
Par Thiennot Foucher
Le 24 octobre dernier, la Commission électorale du Mozambique a proclamé la victoire de Daniel Chapo. L’homme de 54 ans, relativement inconnu jusque-là, était le candidat du FRELIMO. Ce parti contrôle le pays depuis l’indépendance obtenue du Portugal en 1975. En face, l’opposition, menée par Venâncio Mondlane, dénonce des fraudes et appelle à la mobilisation des Mozambicains. Les manifestations se multiplient depuis 3 semaines, de plus en plus violentes, tandis que la répression du régime a déjà fait des dizaines de morts.
Des soupçons de fraudes, sans grande surprise
La mission d’observation du scrutin présidentiel envoyé au Mozambique par l’UE a “constaté des irrégularités lors du dépouillement et des modifications injustifiées des résultats au niveau des bureaux de vote » selon un communiqué publié le mardi 22 octobre. D’après la Commission électorale, Daniel Chapo aurait obtenu plus de 70.67 % des voix contre un peu plus de 20% pour Venâncio Mondlane, dauphin surprise des élections. Dès les résultats proclamés, ce dernier, ancien partisan du FRELIMO, a dénoncé la triche et a appelé les Mozambicains à sortir contester le résultat dans la rue tandis qu’il fuyait à l’étranger. Malheureusement, ce système de fraudes n’est pas récent. Le FRELIMO respecte en apparence le multipartisme et la limite des deux mandats présidentiels. Mais l’organisation a su instaurer une véritable dictature de parti, au pouvoir depuis 1975. Ainsi, la nomination de Daniel Chapo relève d’une logique qui rappelle les rapports de forces et le fonctionnement du Parti Communiste sovietique : « Le Frelimo n’arrivait pas à se mettre d’accord, ils ont choisi Chapo pour pouvoir l’influencer. Il ne remet pas en cause les équilibres et sera très encadré », résume un expert pour Le Monde.
Un appel à la révolte qui mobilise les jeunes
Les manifestations secouent le pays depuis la dénonciation du « banditisme électoral » du FRELIMO par Mondlane. Le 07 novembre, la mobilisation a culminé à Maputo, la capitale du pays. Des scènes de chaos et d’affrontements entre manifestants et policiers ont été rapportées tout au long de la journée. Les forces de l’ordre ont empêché les manifestants de rejoindre le centre de Maputo, quitte à employer une force aveugle. Après 3 semaines de manifestations, les violences policières auraient fait plus de 60 morts selon la société civile Mozambicaine, une trentaine selon l’ONU. Au Mozambique, les manifestants sont jeunes. Un symbole intéressant de la déconnexion entre les jeunes générations et la vieille garde du FRELIMO ; pour la première fois cette année, certains candidats à la présidentielle ne sont pas d’anciens combattants de la guerre d’indépendance coloniale menée contre le Portugal entre 1977 à 1992. RFI nous rapporte le témoignage de Sergio, 23 ans, à ce sujet : « Des personnes critiquent Venancio Mondlane parce qu’il n’était pas un combattant… Tout ça n’a aucune importance, dans une démocratie. Militaire ou civil… ce qui compte c’est la cause. Avoir pris les armes… pour moi ce n’a aucun rapport. ». Aujourd’hui, les jeunes sont davantage préoccupés par les problématiques de la vie quotidienne et les réponses à apporter aux difficultés qui persistent dans le pays d’Afrique australe : chômage, insécurité, infrastructures peu développées, faiblesse du réseau d’eau courante, etc.
Un contexte qui plonge davantage le Mozambique dans le marasme
Samedi 16 novembre, la frontière terrestre entre le Mozambique et l’Afrique du Sud a finalement rouvert. Elle était fermée depuis le mercredi 13 novembre, en raison de manifestations au poste frontière Mozambicain de Ressano Garcia, causant l’arrêt des échanges humains et commerciaux entre le Mozambique et son principal partenaire économique. Les autorités estiment que les pillages et dégradations des manifestants ont causé des millions de meticais de dommages (1 millions de meticais vaut environ 15 000 euros). De l’autre côté, l’opposition accuse la police de mettre elle-même en scène les pillages. Régulièrement, le gouvernement coupe l’accès à internet et aux réseaux sociaux pour gêner l’organisation de l’opposition politique. Mais cela pose aussi des difficultés aux entreprises et aux opérateurs qui se voient dans l’impossibilité de poursuivre leurs activités, avec des conséquences pour la fragile économie du pays. Le chaos politique inquiète également la Confédération des associations économiques qui s’est exprimée au sujet de l’effondrement des réservations touristiques le 11 novembre dernier. Le Centre pour l’intégrité publique, une organisation de la société civile, estime quant à elle le coût de la contestation électorale – légitime ou non – à près de 360 millions d’euros. Le bureau du procureur général du Mozambique entend d’ailleurs faire payer Mondlane. En effet, lundi 18 novembre, il a annoncé avoir déposé une plainte contre Venancio Mondlane, en fuite à l’étranger depuis le 24 octobre. Il est accusé d’avoir « poussé à commettre des actes graves contre l’État mozambicain », ce qui lui a aussi valu une plainte du Procureur général du Mozambique, pour avoir fomenté une attaque contre la présidence le 7 novembre en appelant à une grande marche contre les fraudes électorales.
Le Conseil des ministres des Affaires étrangères acte le rejet de la proposition de suspension du dialogue entre l’Union européenne et Israël
Article écrit par Hélène Schiavitti
Ce lundi 18 novembre s’est réuni à Bruxelles le Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne. A l’ordre du jour, la proposition du Haut Représentant aux Affaires étrangères sortant, Josep Borrell, sur suspension du dialogue politique entre l’Union européenne et Israël notamment en raison des violations des droits humains et du droit international à Gaza. Mais, le résultat de cette réunion s’est soldé par un rejet de la proposition. Malgré ce résultat caduc, l’épisode n’est pas vide de sens. Il permet de soulever des questions : Josep Borrell voulait-il, par cette proposition, laisser une empreinte marquante avant de quitter son poste de Haut Représentant ? L’unanimité requise en matière de diplomatie est-elle une entrave à l’action de l’Union européenne ?
La proposition de Josep Borrell : calcul politique ou défense intègre du droit international ?
Historiquement, l’Union européenne affirme sa reconnaissance des frontières de 1967 attribuant la Cisjordanie et la bande de Gaza à la Palestine et prône une solution à deux États pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Cette position appelle l’Union européenne à la recherche permanente d’un équilibre. Mais dans le contexte actuel, la question est ravivée par les attaques israéliennes sur la bande de Gaza. Ainsi, dès mars 2024, les chefs d’État et de gouvernement des États membres appellent à un cessez-le-feu. Or, le cessez-le-feu n’étant toujours pas d’actualité 8 mois plus tard, Josep Borrell a proposé le 13 novembre de mettre fin au dialogue politique entre l’Union européenne et l’Israël. Il motive sa proposition au regard des 44 000 morts Gazaouis, dont la majorité sont des femmes et des enfants, et pour affirmer l’Union européenne comme une véritable puissance géopolitique crédible. En effet, cette proposition permettrait à l’Union européenne de condamner les violations du droit international à Gaza tout en affirmant fermement sa ligne diplomatique, dans un contexte où elle a été accusée d’action « léthargique » par Agnès Bertrand-Sanz, experte humanitaire chez Oxfam.
Néanmoins, on peut aussi penser que cette proposition de suspension du dialogue politique entre l’Union européenne et Israël serait une manière pour Josep Borrell de laisser une empreinte durable au poste de Haut-Représentant avant de passer le flambeau à Kaja Kallas. En effet, son mandat prenant fin au 1er décembre 2024, ce Conseil des ministres des Affaires étrangères est sûrement la dernière occasion pour Josep Borrell de s’illustrer en tant que Haut-Représentant. C’est notamment l’analyse que porte Maria Luisa Frantappie, experte à l’Istituto Affari Internazionali lorsqu’elle déclare que « cette initiative résulte de plusieurs mois de frustations politiques (…) face à une UE incapable d’exprimer une position ferme sur ce conflit » et que, de fait, cette proposition permettrait selon elle à Josep Borrell de « laisser un héritage positif en tant que chef de la diplomatie de l’UE ».
Les débats lors du Conseil des ministres des Affaires étrangères : la difficile marche vers l’unanimité
L’Union européenne étant une organisation oscillant entre méthode d’intégration et méthode intergouvernementale, nécessite dans certains domaines un consensus entre les États membres pour agir. C’est le cas de la politique étrangère. En effet, pour définir la ligne politique européenne en matière de diplomatie, les décisions doivent être prises à l’unanimité. Mais, cette unanimité peut s’avérer difficile à atteindre, bloquant ainsi l’action de l’Union européenne. Ce schéma s’est illustré dans le cadre du Conseil des ministres des Affaires étrangères de ce lundi 18 novembre.
En effet, le rejet de la proposition de Josep Borrell tient du refus des ministres des Affaires étrangères néerlandais, tchèque et hongrois. Le ministre néerlandais Caspar Veldkamp préconise de « garder des portes ouvertes », notamment face à la nomination récente par Israël d’un nouveau ministre des Affaires étrangères en la personne de Gideon Sa’ar, et il ne cache pas son incompréhension quant à ce qu’il considère comme « un virage à 180 degrés » de Josep Borrell. Quant au ministre tchèque, Jan Lipavsky, il considère qu’il est « nécessaire de rechercher plutôt un consensus sur les points où nous (Israël et l’Union européenne) nous rencontrons encore ». La politique étrangère étant un sujet éminemment sensible, le ministre chypriote, Constantino Kombos, estime que « l’absence d’unanimité parmi les ministres était assez prévisible ».