Autriche : L’extrême droite aux portes du pouvoir
Article écrit par Jocya Rabarone
Lundi 6 janvier, le Président autrichien Alexander Van der Bellen a reçu Herbert Kickl, chef de parti du Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ, extrême droite), afin de le charger des négociations en vue de la formation d’un gouvernement. Cette rencontre intervient après l’échec de l’Österreichische Volkspartei (ÖVP, conservateurs), du Sozialdemokratische Partei Österreichs (SPÖ, sociaux-démocrates) et du parti libéral Neos à former une coalition gouvernementale.
Le président autrichien Alexander Van der Bellen reçoit le chef du parti d’extrême droite FPÖ Herbert Kickl, le 6 janvier 2025 à Vienne. AFP – Joe Klamar
Les résultats des élections législatives du 29 septembre 2023 ont déclenché une onde de choc dans le paysage politique autrichien, plaçant l’extrême droite à la première place du scrutin (28,8 % des voix). C’était une victoire historique pour Herbert Kickl, chef du FPÖ, ayant décroché son meilleur score depuis 1945.
Cependant, à l’issue de ces résultats, ses adversaires refusaient de faire alliance avec lui. Ainsi, l’ÖVP (26,3 % des voix), le SPÖ (21,1%) ainsi que le Neos (9,1%) ont entamé des négociations afin d’éviter que le parti d’extrême droite, dont les origines remontent à des anciens membres du parti nazi, ne monte au pouvoir.
Des négociations marquées par des discordances budgétaires
Après 74 jours de négociation, le parti Neos a quitté les pourparlers. Malgré cet abandon, les deux autres partis affirmaient vouloir poursuivre les discussions. Mais samedi, Karl Nehammer (ÖVP) a annoncé sur X qu’un « accord avec le SPÖ [était] impossible sur des questions-clés » et que « par conséquent, [il avait mis] fin aux négociations avec le SPÖ ».
Avant cette annonce, le Président autrichien qui avait déjà exprimé à plusieurs reprises ses réserves vis-à-vis d’Herbert Kickl, avait enjoint les deux partis à former un gouvernement « sans délais », mais les discordances sur le budget l’ont emporté. Le parti Neos avait décidé de se retirer, n’ayant pu faire approuver ses projets de réforme fiscale et des retraites. Quant aux deux autres, certes ils s’accordaient sur l’objectif de la réduction du déficit (3,9 % du PIB en 2024), mais leurs méthodes divergeaient.
Les sociaux-démocrates comptaient en effet tabler sur une hausse des recettes à travers le rétablissement des impôts sur le patrimoine et les successions, l’augmentation de la taxe bancaire et la réduction de la subvention sur diesel. A l’inverse, l’ÖVP défendait une réforme des retraites et la hausse de la TVA.
Le changement de cap de l’ÖVP
Depuis vendredi 10 janvier, Karl Nehammer n’occupe plus la fonction de chancelier. Il avait annoncé samedi 4 janvier sa démission. Par la même occasion, l’homme politique, à la chancellerie et chef de l’ÖVP depuis 2021, avait fait savoir son renoncement à son poste de président de parti et la fin des négociations avec le SPÖ. Lui, qui a par le passé tenu à maintenir un rempart contre l’extrême droite, voit pourtant aujourd’hui son parti faire volte-face.
Le 5 janvier, le président Alexander Van der Bellen, voyant au sein de l’ÖVP les réticences à former une alliance avec le FPÖ « se fai[re] beaucoup plus discrètes », a annoncé qu’il allait recevoir le leader d’extrême droite, Herbert Kickl. Peu après, Christian Stocker, secrétaire général de l’ÖVP et nommé au poste de chef de parti par intérim, a annoncé au nom de son mouvement politique être prêt à négocier avec l’extrême droite. Christian Stocker a pourtant affirmé en décembre : « Ceux qui collaborent avec l’extrême droite en Europe sont intolérables en tant qu’hommes politiques. »
Un milieu économique sur la voie de la radicalisation
Comment expliquer ce revirement du parti conservateur ? Alors que l’ÖVP avait obtenu des concessions des sociaux-démocrates (abandon de la hausse des impôts sur les successions et le patrimoine), il subissait des pressions de son aile économique proche des industriels autrichiens, jugeant qu’une alliance avec le FPÖ leur serait davantage bénéfique.
Cette aile du parti est incarnée par Wolfgang Hattmannsdorfer, président de la Chambre économique et favori pour remplacer Karl Nehammer. Il est au sein de l’ÖVP le porte-voix des industriels autrichiens. Alors que la croissance stagne et que la Russie a annoncé en novembre cesser les livraisons de gaz au pays alpin – première source d’énergie de l’Autriche, les industriels semblent favorables à un rapprochement avec le parti d’extrême droite, connu pour ses positions prorusses.
Cette volte-face de la position de l’ÖVP a été possible grâce au soutien de membres du parti déjà alliés au FPÖ dans les Länder. Le discours raciste tenu par certains dénote en effet leur promiscuité avec l’extrême droite, comme Johanna Mikl-Leitner, présidente de la région de Basse-Autriche, qui a récemment affirmé qu’elle menait un « combat contre l’islam ».
Si les négociations entre le FPÖ et l’ÖVP aboutissent, l’Autriche pourrait voir l’extrême droite à la tête de la chancellerie : une première depuis 1945.
L’immigration au centre de la campagne électorale allemande
Article écrit par Jocya Rabarone
Le Président allemand, Frank-Walter Steinmeier, a acté le 27 décembre la dissolution du parlement allemand. Par la même occasion, il a fixé la date des élections législatives au 23 février. Jalonnée par le thème de l’immigration, la campagne bat son plein.
La dissolution du parlement allemand intervient après le vote de défiance obtenu par le chancelier Olaf Scholz (SPD) le 16 décembre. Le point de départ de cette séquence politique est survenu à la suite de l’implosion de la coalition feu tricolore (SPD – sociaux-démocrates, FDP – droite libérale, Les Verts) en novembre due à un désaccord budgétaire entre le chancelier et son ancien ministre des Finances, Christian Lindner (FDP).
Cet événement est venu remettre sur le tapis le débat sur le frein à l’endettement, faisait de l’économie le sujet central du début de campagne électorale. Cependant d’autres évènements sont venus troubler le débat.
L’attentat de Magdebourg, la bascule vers le thème de l’immigration
Le 20 décembre, un attentat à la voiture bélier a été perpétré par Taleb Al-Abdulmohsen sur le marché de Noël de Magdebourg. Ce réfugié saoudien, connu pour ses discours islamophobes sur les réseaux sociaux et ses liens avec l’extrême droite, avait déjà attiré l’attention des autorités.
En 2013, il avait été condamné à une amende pour « trouble à l’ordre public » après des menaces d’attentat. En 2023, l’Arabie saoudite avait alerté l’Allemagne sur son comportement. Pourtant, l’Office fédéral de la police criminelle avait conclu qu’il ne représentait aucun « danger concret » et n’avait pas donné suite au signalement.
Cet attentat tragique ayant causé quatre morts et 300 blessés a relancé les débats sur la sécurité et l’immigration, fragilisant le chancelier Olaf Scholz en pleine campagne. L’opposition, notamment l’AfD (extrême droite), accuse le gouvernement de laxisme et instrumentalise l’origine saoudienne de l’assaillant pour renforcer son discours anti-immigration. Mais l’AfD n’est pas seule à s’emparer du sujet. Friedrich Merz (CDU/CSU, conservateurs) a récemment affirmé être favorable à la déchéance de nationalité pour les délinquants binationaux. Le candidat favori a également dit vouloir revenir sur la réforme du code de la nationalité, adoptée en juin 2024 par le gouvernement d’Olaf Scholz.
Quant aux sociaux-démocrates, ceux-ci durcissent également leur discours. La ministre de l’intérieur, Nancy Faeser (SPD) a déclaré que « l’Office fédéral des migrations et des réfugiés examinera et annulera les protections [subsidiaires] accordées aux personnes qui n’[en] ont plus besoin ». Cette déclaration intervient à la suite de la chute du régime de Bachar Al-Assad. Ce statut donne le droit aux personnes ne répondant pas aux critères de réfugié, mais risquant néanmoins de subir des atteintes graves dans leur pays d’origine de bénéficier d’une protection. Selon l’analyste politique au European Policy Centre, Alberto-Horst Neidhardt, cette mesure pourrait avoir « un coût élevé ».
L’ingérence d’Elon Musk
Le milliardaire étasunien Elon Musk a également ajouté son grain de sel à la campagne électorale allemande. A la suite de l’attentat de Magdebourg, le bras droit du Président élu Donald Trump a attaqué Olaf Scholz sur X en le traitant « d’idiot incapable » tout en appelant à sa démission. Sur le même réseau social, il a plus tard affirmé que l’extrême droite était « le seul parti capable de sauver l’Allemagne ». L’ingérence du patron de Tesla et de SpaceX ne s’arrête pas là. Dans une tribune publiée dans l’hebdomadaire conservateur « Welt am Sonnetag » le 29 décembre, il a renouvelé son appel à voter pour l’AfD, la « dernière lueur d’espoir » selon lui.
Cet événement a suscité beaucoup de remous dans le paysage médiatique et politique allemand. Le jour même de la publication, la responsable des pages opinion de « Die Welt », Eva Marie Kogel, a annoncé sa démission. Friedrich Merz a quant à lui qualifié les actions du milliardaire « d’intrusives et prétentieuses » tout en rappelant que l’AfD s’était opposé à la construction de l’usine Tesla près de Berlin, comme s’il regrettait que le milliardaire n’ait pas misé sur lui. Contrairement à l’extrême droite, ravie de ce soutien, le SPD a fermement condamné cette tribune par la voix du coprésident du parti, Lars Klingbeil qui a comparé le milliardaire à Vladimir Poutine : « Les deux veulent influencer nos élections et soutiennent l’AfD, l’ennemi de la démocratie ».
Aujourd’hui, l’extrême droite se situe en seconde place (21%) des sondages, derrière les conservateurs (30%). Le SPD peine quant à lui à remonter (14%). Bien que tous les partis excluent une coopération gouvernementale avec l’AfD, le parti semble avoir su imposer ses thématiques dans un pays où les violences d’extrême droite ont augmenté de 17% l’année précédente.
Les géants de la tech vs. l’Union européenne : une guerre pour l’avenir d’Internet ?
Article écrit par Léane Madet
Le 6 janvier 2025, Elon Musk, le patron de X (anciennement Twitter), a une nouvelle fois fait parler de lui en attaquant violemment des dirigeants européens dans une série de tweets incendiaires. Keir Starmer, chef du parti travailliste britannique, a été qualifié de « diabolique » et accusé de « crimes terribles contre les Britanniques », tandis qu’Olaf Scholz, chancelier allemand, a été traité « d’idiot incapable ». Ces déclarations, qui s’apparentent à une ingérence dans les affaires intérieures des États membres, ont déclenché un tollé parmi les responsables européens. Mais cette confrontation met en lumière un enjeu plus profond : le bras de fer entre une Europe qui entend réguler Internet et l’homme le plus riche du monde qui défend une liberté numérique sans entraves. Le projet européen de régulation, incarné par le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA), se heurte aux géants américains de la tech, prônant la « liberté d’expression » sur leurs plateformes. Une véritable « guerre de civilisation » semble se profiler, où l’espace numérique est à la croisée des chemins entre l’anarchie numérique et un ordre fondé sur l’État de droit.
Musk et Zuckerberg : de la liberté d’expression à l’anarchie numérique
L’approche d’Elon Musk et Mark Zuckerberg, patron de Meta, vis-à-vis de la régulation numérique européenne illustre une philosophie radicalement différente de celle prônée par l’UE. Musk, à travers sa plateforme X (anciennement Twitter), incarne une vision ultra-libertarienne d’Internet : un espace sans frontières, où l’expression personnelle, même la plus extrême, doit être libre de toute contrainte. Son soutien manifeste aux partis populistes et son ingérence dans les politiques internes des États européens renforcent cette idée d’un “Far West numérique” où les régulations étatiques n’ont pas leur place.
De son côté, Zuckerberg a opéré, ce mardi 7 janvier, un virage stratégique en annonçant la fin du fact-checking sur ses plateformes (Instagram, WhatsApp et Facebook) aux États-Unis, et en mettant davantage l’accent sur la “liberté d’expression” à travers des “notes communautaires”. Cette décision, bien que ciblant principalement le marché américain, a des répercussions sur l’ensemble du modèle européen de régulation, qui repose sur un contrôle rigoureux des contenus. La position de Meta est désormais alignée sur celle de Musk : une critique acerbe des lois européennes, accusées de constituer une forme de censure.
Ces positions illustrent un affrontement idéologique majeur : d’un côté, l’UE cherche à imposer un cadre légal pour protéger ses citoyens contre la désinformation et les contenus illicites, et de l’autre, les magnats de la tech militent pour un Internet libre de toute régulation, où les algorithmes et intérêts commerciaux priment sur le respect des lois locales.
Le Digital Services Act : le dernier rempart de l’Union européenne
Face à ces défis, l’Union européenne dispose d’un arsenal législatif ambitieux : le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA). Le DSA, entré en vigueur en 2023, vise à lutter contre les contenus illicites et la désinformation en ligne, en obligeant les grandes plateformes à adopter une transparence accrue et à intervenir rapidement contre les contenus nuisibles. Il est conçu pour garantir que “tout ce qui est illégal hors ligne doit également l’être en ligne”.
La situation s’inscrit dans un contexte de renforcement des enquêtes menées par la Commission européenne contre les grandes plateformes. Après X en décembre 2023, TikTok a été visé en février 2024 pour des lacunes dans la protection des mineurs, la transparence publicitaire et les risques d’addiction liés à son programme “Task and Reward Program”. La pression exercée a conduit TikTok à suspendre cette fonctionnalité en Europe dès avril 2024. Meta, de son côté, fait face à une procédure formelle depuis avril 2024 pour des défaillances en matière de modération, notamment concernant les contenus politiques et publicitaires trompeurs. De plus, une enquête lancée en mai 2024 vise spécifiquement les algorithmes de Facebook et Instagram, suspectés de stimuler des comportements addictifs chez les enfants et de manquer de transparence sur les processus de vérification de l’âge.
Les enquêtes ouvertes contre des géants comme X ou Meta sont des premières étapes, mais l’efficacité du DSA sera mise à l’épreuve dans les mois à venir, particulièrement face à l’opposition acharnée de Musk et Zuckerberg.
L’UE s’efforce également de concilier son rôle de régulateur avec ses liens transatlantiques, particulièrement sensibles depuis l’élection de Donald Trump aux États-Unis, figure politique qui soutient ouvertement les grandes entreprises technologiques américaines. L’absence de sanctions concrètes contre ces géants, notamment Meta, souligne cette tension. Il semblerait que la Commission adopte une certaine prudence dans l’application des règlements et sanctions pour ne pas froisser son allié stratégique.
La Commission européenne face aux attaques de Musk : un défi à la hauteur de la fortune du milliardaire
Les attaques d’Elon Musk visant les dirigeants européens soulignent un double problème pour l’Union européenne : d’une part, la capacité de Musk à interférer directement dans les débats politiques internes des États membres, et d’autre part, la difficulté de la Commission européenne à appliquer efficacement ses régulations. Depuis l’entrée en vigueur du Digital Services Act (DSA) en août 2023, les plateformes comme X sont tenues de supprimer les contenus illicites et de prévenir les risques systémiques, notamment ceux liés à la désinformation et à l’ingérence électorale. Cependant, les mécanismes de régulation mis en place peinent à répondre à des comportements aussi flagrants, d’autant plus lorsque ces contenus proviennent du dirigeant même de la plateforme.
Le 8 janvier 2025, face aux critiques acerbes de Musk et Zuckerberg concernant les régulations de l’Union, Ursula von der Leyen et ses commissaires ont affiché une prudence notable. Bien que la Commission ait ouvert des enquêtes contre X et Meta pour non-respect du DSA, elle a, jusqu’à présent, évité de prendre des mesures concrètes qui pourraient envenimer la situation. Toutefois, la Commission a réaffirmé ce mercredi que la régulation des contenus illicites en ligne n’était pas une forme de censure, mais un moyen de garantir le respect des lois européennes existantes, qui interdisent les discours haineux et la désinformation. Aussi la Commission, a récemment justifié sa « non réaction » par la nécessité d’éviter de donner davantage de visibilité aux messages problématiques. Cette stratégie a toutefois été critiquée par plusieurs États membres, dont la France, qui appellent à une application stricte et rapide des régulations pour protéger l’espace public européen.
Cette passivité apparente a alimenté la frustration de certains États membres, comme la France. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a critiqué ce mercredi 8 janvier la Commission pour son manque de fermeté face aux géants américains. Il a insisté sur le fait que si Bruxelles ne mettait pas en œuvre ses propres régulations de manière plus stricte, il serait nécessaire de donner aux États membres la capacité d’agir directement. Bien que l’UE dispose de l’un des cadres réglementaires les plus avancés au monde, son application face à des acteurs aussi puissants que Musk reste un défi majeur.
Une Europe réaffirmée par sa périphérie orientale : la Pologne prend la présidence du Conseil de l’Union européenne
Article écrit par Léane Madet
Depuis le 1er janvier 2025, la Pologne, sous l’égide de Donald Tusk, assume la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, marquant une étape cruciale dans le repositionnement de l’Europe orientale au cœur des dynamiques communautaires. Dans un contexte marqué par des tensions géopolitiques (persistance du conflit russo-ukrainien et du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche) et des déséquilibres internes à l’Union, Varsovie cherche à imposer une vision stratégique pour renforcer son rôle, tout en jonglant avec des contradictions internes. Cette initiative pourrait signer l’émergence d’un leadership de la Pologne au sein de projets communautaires.
Une présidence sous le signe de la sécurité et de la défense
La Pologne, déjà reconnue comme une puissance militaire montante, capitalise sur sa présidence pour promouvoir une défense européenne renforcée. En effet, son initiative phare, le projet East Shield, propose la construction d’un réseau d’infrastructures de défense sur le flanc oriental de l’Union, composé de systèmes technologiques tels des anti-drones et des radars. Ce projet illustre l’ambition polonaise de faire de l’Europe centrale comme un pilier stratégique face à la menace russe dans la région.
De plus, Varsovie a exprimé son intention d’utiliser cette présidence pour encourager un financement commun des initiatives de défense, notamment via le programme pour l’industrie de défense européenne (EDIP), dont le texte sera proposé par la Commission en mars 2025. Dans ce cadre, la Pologne milite pour une autonomie stratégique européenne et souhaite voir émerger une « Union de la défense ».
Vers un nouvel équilibre au sein de l’Union européenne ?
Cette présidence intervient alors que les piliers traditionnels de l’Union, comme la France et l’Allemagne, sont fragilisés par des crises politiques internes. La Pologne semble profiter de ce contexte pour asseoir son influence, se positionnant en leader d’une Europe orientale plus intégrée et plus proactive. Donald Tusk, fort de son retour sur la scène politique européenne, souhaite utiliser ce mandat pour dépasser les tensions historiques avec Bruxelles et promouvoir une Union plus cohésive sur les plans sécuritaire et énergétique.
En privilégiant des partenariats régionaux et en s’imposant comme interlocuteur incontournable sur le flanc oriental, Varsovie pousse à une redéfinition des centres de gravité européens. Ce phénomène pourrait à terme modifier les dynamiques traditionnelles de leadership au sein de l’UE .
Une dynamique permise par le retour d’un acteur pro-européen
L’arrivée au pouvoir de Donald Tusk, ancien président européen et fervent pro-européen, à l’automne 2023 grâce à la coalition Parti Populaire Européen (PPE)/Socialistes et Démocrates(S&D)/Renew, a enclenché une nouvelle dynamique et permis le rapprochement entre Varsovie et Bruxelles. Sous le précédent gouvernement PiS, eurosceptique, les tensions liées à l’État de droit avaient isolé la Pologne au sein de l’Union, jusqu’à remettre en question les fonds européens alloués au pays, pourtant premier bénéficiaire net.
Le discours d’ouverture de la présidence, prononcé le 3 janvier à Varsovie, a mis l’accent sur la solidarité européenne, dont la Pologne souhaite être la gardienne, une valeur chère à Tusk et au mouvement Solidarność qui a marqué l’histoire moderne de la Pologne. António Costa, président du Conseil européen, a fait l’éloge de la Pologne, qu’il considère comme « l’une des plus grandes réussites de l’élargissement [de l’UE] ». « C’est le meilleur investissement géostratégique que l’Europe ait fait pour garantir la liberté et la démocratie après de longues périodes de totalitarisme », a-t-il souligné. (Je vais rajouter le lien)
Cependant, les ambitions européennes de Tusk pourraient être entravées par les tensions internes, notamment avec le président Andrzej Duda, issu du parti Droit et Justice (PiS), qui s’oppose régulièrement au gouvernement. La présidence polonaise de l’UE débute ainsi dans un climat tendu. L’absence remarquée de Duda lors du gala d’ouverture, remplacé par un représentant et aperçu dans une station de ski le même week-end, a alimenté les tensions. Mais ces divisions internes ne devraient pas entraver tant que ça le mandat européen de Varsovie, le président polonais ayant un rôle limité dans les affaires de l’UE. Cependant, cette rivalité pourrait influencer l’élection présidentielle prévue en 2025, dont l’issue pourrait donner les pleins pouvoirs à Tusk.
Une opportunité pour l’Est européen
Avec cette présidence, la Pologne espère marquer un tournant en montrant que l’Europe centrale et orientale peut être un moteur de solutions et non une source de divisions. Le programme ambitieux de Varsovie, concernant notamment la défense, la sécurité (alimentaire, énergétique, sanitaire…), l’immigration et l’agriculture pourrait bien poser les bases d’un rôle accru des jeunes États dans la gouvernance. Ce mandat de six mois s’annonce comme un moment décisif pour redéfinir l’équilibre des pouvoirs au sein de l’UE et pour inscrire la Pologne comme un acteur clé du futur européen, capable de réaffirmer la solidarité et la résilience de l’Union.
En assumant cette présidence, la Pologne tente de dépasser son rôle de « simple » acteur régional pour devenir une force de proposition à l’échelle européenne. Son mandat pourrait ainsi marquer le début d’une nouvelle ère pour l’UE, où l’Est ne serait plus un simple partenaire périphérique, mais un moteur de transformation pour l’ensemble du projet européen.