Avec la négociation de la directive sur les travailleurs détachés et le vote du CETA, la séance plénière du Parlement Européen promet d’être animée en février. La directive sur les travailleurs détachés est hautement symbolique dans le projet européen puisqu’elle concrétise la liberté de circulation des personnes, mais aussi parce qu’elle a révélé depuis sa mise en place les failles du projet social européen.
Depuis de nombreuses années, la directive cristallise les tensions politiques qui agitent les vingt-huit confrontés à des réalités sociales très diversifiées, et sert régulièrement de révélateur d’une Europe plus que jamais à plusieurs vitesses. Nombreux sont les hommes politiques à désigner la directive sur les travailleurs détachés comme bouc émissaire du dumping social en Europe, alors même qu’elle a été conçue comme un instrument de lutte contre ce dernier. N’hésitant pas d’ailleurs à mélanger travailleurs mobiles et travailleurs détachés, deux termes qui recouvrent des réalités bien différentes. Un travailleur mobile est une personne qui choisit de s’établir dans un autre Etat membre et d’y chercher un emploi, alors qu’un travailleur détaché est missionné à l’étranger par son entreprise pour une durée prédéterminée. Cela signifie que si les premiers bénéficient automatiquement d’une égalité de chances et de traitement avec les citoyens du pays d’accueil, les travailleurs détachés en revanche n’intègrent jamais directement le marché de l’emploi local. Il est donc nécessaire de créer à leur égard une règlementation spécifique concernant leurs conditions de travail, leur salaire ainsi que leurs dispositions sociales et fiscales.
Une législation imparfaite et sujette à de régulières évolutions
De ce constat est née la première directive européenne sur les travailleurs détachés en 1996, dans la foulée de la mise en application de l’espace Schengen et du traité de Maastricht. Elle a deux objectifs principaux : garantir une égalité de droits et de traitement pour l’ensemble des citoyens européens, mais aussi lutter contre les phénomènes de dumping social.
Cette révision nécessaire de la directive de 1996 intervient pourtant seulement trois petites années après sa directive d’exécution péniblement adoptée en 2014, pour être transposée à l’échelon national avant juin 2016. Cette dernière vise à améliorer l’application de la législation notamment concernant la fraude, les contournements possibles de la règlementation et enfin l’échange d’information entre les Etats membres.
Le nouveau texte, défendu par la parlementaire européenne Morin-Chartier, entend répondre aux défaillances de la directive originelle et s’inscrire comme une avancée phare de la Commission Juncker. Ce nouveau projet s’articule autour de trois points de blocage récurrents, qui permettaient de déroger à l’idée d’« à poste identique, dans un même endroit, salaire identique », comme le résumait Jean-Claude Juncker, cité par Médiapart.
Au cœur du débat se situe l’épineuse question de la rémunération des travailleurs détachés : jusqu’à présent, rien ne contraignait l’employeur à proposer une rémunération supérieure au salaire minimum du pays d’accueil. Cela entrainait naturellement des écarts de salaire et des phénomènes de concurrence déloyale vis-à-vis de la main d’œuvre locale. La solution proposée consiste à aligner les règles salariales des détachés sur celles des locaux, y compris pour les primes et les indemnités. Les deux autres améliorations majeures s’attachent substantiellement à la même idée : empêcher les régimes d’exception, concernant les détachements de longue durée (plus de 24 mois) et les travailleurs intérimaires.
Les négociations font éclater les disparités au sein de l’espace social européen
Mais la révision des règles proposée en mars dernier est bien loin de faire l’unanimité. Un groupe important de pays du centre et de l’est s’opposent de manière concertée et catégorique, tandis que les douze premiers pays membres soutiennent fortement la feuille de route proposée par la Commission. Emmenés par le groupe de Višegrad, onze Parlements nationaux ont tenté sans succès de s’opposer aux projets de la Commission. Ils dénoncent notamment une réforme imposée par les opinions publiques nationales qui espèrent une amélioration substantielle de leurs conditions de travail, alors que la réalité du terrain serait bien plus nuancée. Ce choix de passer outre a été motivé par la conviction que les mouvements transnationaux de travailleurs nécessitent une action au niveau européen et non national, pour que l’UE ne devienne pas le « far ouest » selon les mots de Jean Claude Juncker lors du discours sur l’état de l’Union en 2016. La commissaire en charge du dossier se défend de chercher à réduire l’immigration vers l’ouest, et réitère la nécessité de renforcer le modèle d’économie de marché sociale.
Les défenseurs de la réforme ont répliqué en menaçant de cesser d’appliquer la législation en vigueur, si le projet était abandonné en raison de l’initiative du groupe de Višegrad. Par la suite et de manière coordonnée, sept ministres du travail (Allemagne, Autriche, Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas, Suède) ont publié une tribune le 12 décembre 2016, plaidant pour que les détachés puissent « bénéficier d’une rémunération équivalente à celle des travailleurs du pays d’accueil dès le premier jour de leur détachement ».
La balle est désormais dans le camp des parlementaires, sur qui tous les yeux seront rivés le mois prochain. Les débats promettent d’être animés, entre positions nationales et stratégies des groupes parlementaires. L’avancée des négociations risque également d’être ralentie par l’agenda international et électoral fortement chargé ce printemps dans l’Union européenne. La navette parlementaire risque fort d’être utilisée, pour espérer mettre d’accord à terme les membres du Conseil et les Parlementaires, sous le regard attentif du collège des commissaires fortement attachés au texte.