Le sujet de l’égalité hommes-femmes est peu présent au cœur du débat actuel, que ça soit au niveau national ou au niveau européen. Pourtant, de nombreuses iniquités persistent, notamment dans le monde économique. De nombreuses femmes en Europe sont obligées de sortir du marché du travail pour s’occuper de leurs enfants.
La France fait figure d’exception sur la scène européenne puisqu’elle combine un taux de natalité au dessus de la moyenne européenne et un fort taux d’activité des femmes : celles-ci ne savent-elles faire des bébés et travailler en même temps qu’en France ? Les Françaises savent-elles faire des bébés et travailler en même temps ?
Les modèles européens permettent de comprendre les différences d’équilibres entre famille et emploi, de l’Espagne au Danemark, petit tour d’horizon d’un exercice où la France semble être la spécialiste.
Pourquoi imagine-t-on la France comme la grande conciliatrice européenne ?
D’abord parce qu’elle fait figure de pays avant-gardiste en matière de diversité d’offres de garde favorisant ainsi par ses politiques familiales le retour des femmes sur le marché du travail après une grossesse. La majorité d’entre elles cumulent aujourd’hui vie professionnelle et vie familiale et leur taux d’activité a évolué dans ce sens, passant de 42 % en 1962 à 80% en 2002 et 85% aujourd’hui (INSEE).
Cette augmentation marque la fin de la discontinuité du travail des femmes. Les normes sociales ont été bousculées puisqu’elles continuent de travailler lorsqu’elles deviennent mères, du moins est-ce le cas en France, car les modèles européens ne sont pas tous les mêmes !
Distingué par Esping-Andersen, économiste et sociologue danois, il existe trois modèles dans l’Union européenne, issus des mentalités, des traditions et de la configuration du marché du travail : le modèle libéral, le régime social-démocrate et enfin le modèle conservateur.
Une division Nord/ Sud ?
Dans le sud de l’Union européenne, on retrouve le régime conservateur comme en Espagne et en Italie. La stabilité sociale et l’indépendance du foyer face aux fluctuations du marché y est primordiale. L’homme travaille pour subvenir aux besoins, la femme s’occupe du foyer : quoi de plus normal ? Pour ceux qui doutent encore de système, voici un argument de taille : les politiques familiales sont très développées pour permettre à Madame de faire le ménage en toute sérénité.
Les politiques publiques encouragent en réalité indirectement les femmes à interrompre leur carrière lorsqu’elles deviennent mères : les systèmes de garde sont très peu développés et l’octroi des congés parentaux longs et des revenus de substitution sont très favorables à la démarche de sortie du marché du travail. L’Italie, l’Espagne et la Grèce avaient un taux d’emploi des femmes parmi les plus bas de l’Union européenne, en dessous de 60% d’activité selon les chiffres d’Eurostat en 2014.
Le pendant de ce régime conservateur est le régime social-démocrate. Ce modèle est surtout développé dans les pays du Nord comme le Danemark ou la Suède. Dans ceux-ci, on privilégie le niveau d’emploi en considérant qu’il est garant de la soutenabilité du système économique et social. L’emploi des femmes est fortement encouragé par les politiques publiques, tout comme l’égalité hommes-femmes au travail. Le taux d’emploi y est alors plus élevé que la moyenne européenne. Ce régime encourage la modification de la demande et de l’organisation du travail pour permettre une intégration des femmes sur le marché du travail : en d’autres termes, le temps partiel et l’offre de garde sont très développés. Les systèmes sociaux-démocrates encouragent également le partage des congés parentaux entre les deux parents. On pourrait penser que ce modèle est idéal, en réalité il cache souvent la précarisation de nombreuses femmes. En effet le temps partiel les concerne majoritairement, 2/3 en moyenne, et beaucoup sont en temps partiel subi. Longtemps étudié comme un aspect de conciliation emploi et famille, ce type de contrat correspond souvent au « mini-job » et aux « working poors », souvent signe de dépendance de la femme à son foyer et de retraites partielles.
Une situation extrême au Royaume-Uni
Enfin, le régime libéral tel qu’il existe au Royaume-Uni n’aide que très subtilement les familles via les politiques en matière de santé ou de pauvreté et aucune politique familiale n’est développée de manière frontale.
C’est bien la flexibilité du marché qui doit réguler le travail des femmes, avec une offre de différents types de contrats et une diversité de durée de travail, au prix d’une grande précarité pour ces dernières.
Néanmoins, l’absence de politique publique directe oblige beaucoup d’entre elles à sortir du marché du travail, les services très coûteux de garde ne permettant qu’à peu de parents d’en profiter. Les rythmes scolaires au Royaume-Uni sont aussi très contraignants pour les femmes puisque l’école se termine le plus souvent vers 15h30 (contre 16h30 en France) et les services de gardes extra-scolaires sont très peu développés.
Et la France dans tout ça ?
La France semble perdue entre les différents modèles : sociaux-démocrates en facilitant l’activité professionnelle des femmes et à la fois conservatrice. En effet, « L’influence de la tradition « familialiste » d’une part et de l’interventionnisme « féministe » d’autre part produisent une ambivalence en matière de politique sociale, familiale et d’emploi » ( Olivier THEVENON, « Les enjeux pour l’emploi féminin de la Stratégie européenne pour l’emploi »,); en effet, l’objectif des politiques publiques, plus que de promouvoir l’égalité hommes/femmes, est de permettre un équilibre des familles. La politique publique française s’est révélée très efficace en matière de politiques de mises à disposition de services de gardes pour les familles avec une offre parmi les plus développées en Europe. Néanmoins, certaines allocations ont encouragé dans un sens les femmes à se retirer du marché du travail comme la PAJE, la prestation d’accueil du jeune enfant qui s’adresse aux femmes ayant arrêté de travailler pour éduquer leur enfant. La France a donc mis en place un compromis implicite entre régime conservateur et régime social-démocrate.
Si la France fait figure de conciliatrice entre emploi et famille pour les femmes dans le monde du travail face à ses voisins européens, une question plus large subsiste : quelle place pour la femme dans la société ? L’indicateur de leur participation à la vie politique et économique (IPF) permet de mesurer la représentation de celles-ci dans les sphères du pouvoir. Qu’ils soient économiques ou politiques, les critères sont le nombre de sièges parlementaires, les fonctions administratives et d’encadrement, les postes professionnels de gestion, et le niveau de revenu. En France, l’IPF est encore très bas contrairement à d’autres pays européens. Les mentalités évoluent pour donner une place plus importante aux femmes, mais cette place doit être confirmée. Elles ont encore difficilement accès à des postes de haute responsabilité, ou à des fonctions politiques.