Le 20 novembre dernier, le Kosovo remportait son dernier match de Ligue des Nations de l’UEFA par 4 buts à 0 contre l’Azerbaïdjan. Un résultat qui peut paraître anecdotique tant par son enjeu sportif que pour l’intérêt qu’il suscite en Europe occidentale, mais qui soulève bien d’autres questions.
Un pays toujours en quête de reconnaissance
Le Kosovo, pays peuplé à 90% d’Albanais, demeure aujourd’hui une région serbe au sens du droit international. Il déclare son indépendance le 17 février 2008 après plusieurs années de très forte instabilité politique qui ont donné lieu à des crimes de guerre sur son territoire. Depuis 10 ans, il n’est cependant pas reconnu politiquement par la totalité des pays du monde. Cinq membres de l’Union européenne ne le reconnaissent pas, tout comme les organisations internationales telles que l’ONU, l’UNESCO et Interpol entre autres. Si cette année 2018 a marqué un retour au dialogue avec la Serbie et a laissé entrevoir une possible normalisation des relations diplomatiques dans l’avenir, le Kosovo a réalisé de grandes avancées dans un tout autre domaine des relations internationales : il s’agit du sport, et plus précisément du football.
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Politique, football et Histoire
Nous parlons ici du football de par le poids et l’influence qu’il peut exercer dans la formation d’une conscience, ou d’une fierté nationale. L’exemple de la victoire de l’équipe de France à la dernière Coupe du monde parle de lui-même. Le football est le sport le plus populaire en Europe, si ce n’est dans le monde de manière générale, et un élément majeur de culture populaire. Il déchaîne les passions, conférant un sentiment d’appartenance aux supporters d’une même équipe. Dans le cas des compétitions internationales, le football peut facilement se mêler à la politique de manière plus ou moins subtile. Cela s’est manifesté en juin dernier lors du match de Coupe du monde qui opposait la sélection serbe à la sélection suisse. Il est important de noter que cette dernière est composée d’un nombre significatif de joueurs issus de l’immigration due aux conflits qui ont eu lieu durant les guerres yougoslaves dans les années 90 et notamment d’Albanais du Kosovo. Lors de cette rencontre, la Suisse s’impose 2-1 grâce à 2 buts de Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri, tous deux d’origine kosovare. Le fait marquant de ces réalisations apparaît dans leur manière de célébrer leurs buts, en mimant avec leurs mains l’aigle à deux têtes, symbole de l’Albanie. Un acte symbolique dans le contexte de tensions importantes entre kosovars et serbes qui dure depuis plusieurs années. Immédiatement après la victoire suisse, les réseaux sociaux s’emparent de l’évènement et le Président de la République du Kosovo Hashim Thaçi félicite les deux buteurs sur Twitter, indiquant être fier des joueurs et ponctuant d’un #Kosova. Cette victoire et ces buts ont également entrainé des scènes de joie intense dans les rues de Pristina, la capitale du Kosovo, filmées puis postées sur les réseaux.
Le pouvoir et l’influence d’un sport comme le football sur des groupes de populations n’est plus à prouver. Il permet pour un pays n’ayant pas de puissance politique ou économique d’obtenir une forme de reconnaissance symbolique et est un élément de son soft power. Les buts et les célébrations des deux joueurs de l’équipe suisse démontrent certes la passion que peut dégager le foot et permettent de redonner fierté aux Albanais du Kosovo, mais seulement ponctuellement. Ils apparaissent également comme une provocation pour d’autres et contribuent moins à une plus grande reconnaissance du pays sur le plan international. Dans ce domaine, c’est la toute jeune sélection kosovare qui devrait jouer un rôle crucial lors des années à venir.
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La reconnaissance internationale par le football : le rôle de la FIFA et de l’UEFA
La fédération de football du Kosovo est fondée en 2008 au moment de l’indépendance, et crée un championnat qui n’existait auparavant que de manière officieuse et indépendante du championnat serbe. La sélection kosovare n’est autorisée par la Fédération internationale de football association, la FIFA, à disputer des matchs amicaux qu’en 2014 avant de devenir le 210ème membre de cette même association le 13 mai 2016. Il est important de noter le rôle politique de la FIFA qui compte plus de pays membre que l’ONU, qui reconnait 193 Etats. L’équipe débute par la suite les éliminatoires pour la Coupe du monde 2018 lors d’un match l’opposant à la Finlande en septembre 2016, marquant alors le premier match officiel du Kosovo. Au cours de ces éliminatoires, l’équipe ne joue cependant aucun de ses matchs à domicile sur son territoire mais dans la ville de Shkodër en Albanie, faute d’infrastructures aptes à accueillir des rencontres internationales.
Dix jours avant la reconnaissance par la FIFA, c’est l’Union des associations européennes de football (UEFA) qui reconnaissait le pays. Cette adhésion à l’UEFA débloque notamment des fonds importants pour la mise aux normes des infrastructures et développer plus en profondeur le football dans le pays. Sous cette organisation, le Kosovo jouait son premier match en septembre dernier dans le cadre de la toute première édition de la Ligue des Nations. Cette nouvelle compétition, dont nous ne détaillerons pas le fonctionnement complexe, suscite des débats chez les grandes nations du football quant à sa réelle utilité. Elle permet cependant de donner une visibilité plus importante à des sélections comme celle du Kosovo pour qui l’édition, qui s’est déroulée du 7 septembre au 20 décembre 2018, a été un grand succès, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, l’intégralité des rencontres à domicile ont pu avoir lieu dans le stade Fadil Vokrri à Pristina entièrement rénové et qui porte le nom du premier président de la Fédération Kosovare de football, décédé le 9 juin dernier. C’est donc tout un symbole qui se jouait lors du premier match de l’équipe nationale le 11 septembre et qui se soldait par une victoire 2 à 0 des locaux face aux Iles Féroé. Jouer à domicile apparaît comme une grande avancée, comme la dernière étape de la reconnaissance de l’équipe. Sur un plan plus sportif que symbolique, les Kosovars ont terminé premiers de leur groupe, en restant invaincus sur les 6 matchs joués, tout en remportant leur dernière rencontre 4 à 0 contre les favoris du groupe, l’Azerbaïdjan.
Sans entrer sur le terrain du nationalisme qui sollicite bien d’autres leviers que le simple sport, l’équipe de football du Kosovo a vocation à servir, à son niveau, de base à une reconnaissance du pays à l’international. Il redonne du prestige et de la fierté à une population vivant dans des conditions économiques désastreuses et dont la situation peine à s’améliorer depuis son indépendance. Alors que près de 80 Etats à l’ONU ne le reconnaissent pas, participer à des compétitions officielles et obtenir de bons résultats, permet au Kosovo d’exister en tant que tel. Il peut potentiellement rencontrer des pays ne le reconnaissant pas et apparaître également dans les médias de ces derniers. Le sujet reste tout de même sensible : certaines rencontres, par exemple contre la Serbie, sont interdites car pouvant donner lieu à d’importantes tensions sur le terrain et en tribune. Précisons, enfin, que le pays devra également se doter à l’avenir de structures pour la formation des joueurs car une large majorité de l’équipe est issue de la diaspora kosovare, principalement en Suisse et en Allemagne où les joueurs bénéficient d’une formation de qualité bien supérieure à celle du Kosovo.
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