Si les soupçons de corruption rythment depuis plusieurs semaines la campagne présidentielle française, ce phénomène est loin d’être une pratique spécifique à l’Hexagone. La lutte anticorruption est une problématique véritablement globale qui avance, selon les pays, à des vitesses très variables. Tour d’horizon chez nos voisins européens.
« Dans un autre pays, M. Fillon et bien d’autres hommes politiques auraient quitté la campagne et même la vie politique depuis bien longtemps ». C’est en substance ce que l’on a entendu dans presque tous les médias européens depuis les révélations du Canard Enchaîné, mais aussi de Médiapart, concernant les pratiques des sénateurs de l’ex-UMP. Ce dernier scandale, passé relativement inaperçu avec le retentissement de l’affaire Fillon, implique plusieurs sénateurs qui auraient, entre 2003 et 2014, détourné plusieurs milliers d’euros normalement destinés, entre autres, à la rémunération d’assistants personnels. La France n’est en effet pas connue pour être un modèle de transparence concernant sa vie politique. Les responsables publics condamnés par la justice – chefs de partis, parlementaires ou même ministres – sont nombreux, à droite comme à gauche. Entre patrimoine personnel sous-évalué ou collusion entre compte personnel et argent public, la vie politique est de plus en plus rythmée par ces révélations.
Un changement progressif pour des pratiques systémiques
Déclarer que la France est un cas unique en Europe et que notre vie politique, archaïque pour certains, aurait besoin d’un grand ménage serait faire preuve de suffisance et d’un poil de démagogie. En Europe du sud, bon nombre de pays sont englués dans la corruption qui fait des ravages et fournit ainsi un semblant d’explication concernant leur situation financière actuelle. Depuis, les gouvernements et l’opinion avancent peu à peu dans l’espoir d’enrayer ces pratiques installées.
Chez nos voisins ibères, l’affaire Fillon a été suivi de très près dans un pays miné par la corruption et les scandales financiers à répétition. Les élections municipales et régionales de 2015 ont atteint des records en terme d’affaires de corruption dévoilées au grand jour. Inondant tous les aspects de la vie publique, en particulier le domaine des appels d’offre, ce fléau présent depuis des décennies avait donné lieu quelques mois plus tôt à une réponse du gouvernement conservateur. En décembre 2014, une loi sur la Transparence avait été votée dans le but de rendre publics les rémunérations des hauts fonctionnaires mais aussi le suivi de l’utilisation des aides publiques. Dans un pays où la décentralisation et l’autonomie des régions ont favorisé ce système que beaucoup qualifient d’oligarchique, il s’agit d’un premier pas plutôt timide, les informations étant en effet très difficiles d’accès pour le grand public.
En Grèce, la lutte contre la corruption a véritablement pris un visage concret au moment des réformes imposées par l’Union européenne et le Fonds monétaire international pour endiguer la faillite monétaire. Si les élus devaient rendre publics leurs revenus ainsi que leur provenance, aucun contrôle n’était jusque-là réellement effectué sur la véracité de ces informations fournies.
Une éthique politique érigée en principe inaltérable
Ailleurs, ce n’est pas tant l’argument des pertes d’argent public consécutives à ces faits de corruption ou de détournement qui sert de justificatif à légiférer, mais davantage celui d’une éthique politique et d’une exemplarité sans faille. Dans ce cadre, la Grande-Bretagne s’est servi du retentissant scandale des « notes de frais » en 2009 pour se doter d’un arsenal strict et aisément accessible à la consultation. Le « registre des intérêts des membres » recense, outre le patrimoine et le revenu des élus, les moindres dépenses effectuées et est aisément accessible sur internet. Ce qui n’a pas empêché l’ex-premier ministre David Cameron de voir son nom être cité dans l’affaire des Panama Papers.
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Mais lorsque l’on parle de transparence des élus, les pays scandinaves sont systématiquement érigés en exemple. Une obsession présente dès 1766 en Suède avec l’institution du « principe de transparence » : chacun peut avoir accès à n’importe quel document public. En 1995, l’exemple de la numéro 2 du gouvernement suédois contrainte de démissionner après avoir effectué des achats domestiques mineurs avec sa carte professionnelle semble avoir fait jurisprudence dans un des pays les moins corrompus en Europe.
De fait, en France, ce qui semble choquer un bon nombre de nos voisins, ce n’est pas tant la multiplication des affaires, elles existent partout malgré les législations, mais plutôt l’incapacité ou le manque de volonté des élus d’accepter que la vieille politique pratiquée encore il y a peu n’a plus lieu d’être et que leur définition de l’éthique en politique est périmée. Ainsi, quand Médiapart a révélé le système de détournements de fonds publics au Sénat, M. Fillon et un bon nombre d’autres élus n’en ont jamais véritablement nié l’existence, il s’agissait simplement selon eux de « pratiques de la vie politique française ».
Ces agissements sont cependant moins biens acceptés aujourd’hui, notamment du côté de la société civile, comme le montre l’exemple roumain où la rue est en train de se lever contre un pouvoir, telle une oligarchie protégeant ses intérêts, tentant d’assouplir la législation anticorruption. En France, depuis quelques jours une initiative citoyenne relayée par l’émission Quotidien a vu le jour sur les réseaux sociaux. Cette opération “Parlement transparent”, hébergée sur le site du même nom, permet aux internautes d’interpeller sur Twitter leurs députés avec des questions telles que “êtes-vous favorable à un contrôle de vos dépenses par la Cour des comptes ?” ou “accepteriez-vous qu’une institution externe contrôle vos dépenses de mandat ?”. Si certains élus ont répondu et s’affichent avec le hashtag #ParlementTransparent, la très grande majorité des 925 parlementaires est pour l’instant restée muette. Cette prise de conscience citoyenne s’est aussi matérialisée par la tenue d’une marche anti-corruption ce dimanche 19 novembre à Paris et dans d’autres villes en France avec l’espoir pour les organisateurs que des collectifs puissent voir le jour et accroître ainsi la pression.
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Face à de telles pratiques, ce réveil citoyen parviendra-t-il à éviter un recours massif à des extrêmes jouant à fond la carte du “tous pourris” et de la lutte contre le “système” ?