Malgré les efforts démesurés de la Pologne pour le faire remplacer, Donald Tusk a obtenu la confiance des chefs d’États et de Gouvernement, jeudi 9 mars, lors de l’ouverture du Conseil européen. Bilan et enjeux de sa réélection contestée, en trois points.
Donald Tusk a été réélu à une très large majorité à son poste de Président du Conseil européen, jeudi 9 mars, à l’ouverture d’un Sommet européen très tendu : fragile économie de l’UE, création d’un parquet européen, orientations politiques prises en marge des 60 ans des traités de Rome… A quelques jours de la supposée activation de l’article 50 par Theresa May, Donald Tusk saura-t-il conserver une cohérence au sein du Conseil européen ?
Une fonction récente… et lucrative
Le Président du Conseil européen est un nouveau venu dans la famille des dirigeants des institutions européennes. Auparavant, le dirigeant de l’Etat membre qui avait la présidence tournante du Conseil européen assurait de façon informelle et officieuse le rôle de Président du Conseil européen. Mais ce fonctionnement peu encadré incite certains chefs d’États à voir l’intérêt national avant le communautaire. Le Traité de Lisbonne prévoit ainsi la création d’un poste pour présider le Conseil européen. Le Président sera élu par les chefs d’Etat et de gouvernement, pour deux ans et demi renouvelables une fois. Le premier élu fut le belge Herman Van Rompuy, qui prit ses fonctions le 1er janvier 2009 et fut réélu pour un second mandat, avant de passer la main à Donald Tusk.
Plus discret et moins médiatisé que le Président de la Commission européenne, le Président du Conseil européen est pourtant le poste le plus avantageux de toutes les institutions européennes : un salaire de 25 000 euros par mois (le même que celui du Président de la Commission), la garantie de pouvoir bénéficier d’”au moins” autant d’avantages que le Président de la Commission (une vingtaine de collaborateurs, une voiture avec chauffeurs, une allocation logement substantielle, plutôt qu’un logement de fonction, une aide financière pour la famille qui accepte de s’expatrier à Bruxelles), et des débats encore en cours sur la possibilité de disposer d’un jet privé. De quoi vouloir un second mandat.
La Pologne, plus seule que jamais
La réélection de Donald Tusk à la présidence du Conseil européen marque une rupture nette entre la Pologne et le reste de l’Union européenne. Jaroslaw Kaczynski, le chef du parti nationaliste au pouvoir, Droit et Justice (PiS), qui dirige le pays tout entier sans avoir la moindre fonction gouvernementale, est persuadé que Donald Tusk est moralement responsable de la mort de son frère jumeau. En 2010, ce dernier, président de la Pologne, prend un avion qui s’écrasera en arrivant en Russie. En voulant préserver la paix avec Moscou, Donald Tusk, alors Premier Ministre, s’attire les foudres irrationnelles de son opposition.
Depuis, le Premier ministre libéral est devenu Président du Conseil européen et l’opposition a pris le pouvoir. Le PiS essaie depuis plusieurs mois de convaincre les autres États membres que Donald Tusk n’est pas à même de diriger l’institution qui donne les grandes orientations de la politique communautaire. La Pologne reproche au Président du Conseil européen de ne pas défendre les intérêts de la Pologne. Ce qu’il n’est en aucun cas tenu de faire.
Varsovie est allé jusqu’à proposer un candidat alternatif, polonais lui-aussi, pour remplacer Donald Tusk. Mais la grande majorité des États membres étaient favorables au maintien de Donald Tusk, considéré comme sérieux et professionnel. L’Allemagne et la France ont rapidement fait savoir qu’ils ne changeraient pas de poulains. Même le groupe de Visegrad, formé par la Pologne, la République Tchèque, la Hongrie et la Slovaquie, ont campé sur leurs positions. Viktor Orban était le plus à même de rejoindre son homologue polonaise, Beata Szydlo, qui affirmait ce matin encore que “rien ne devait être fait” sans l’accord de Varsovie, mais il a préféré se faire discret. La Pologne a surtout fait preuve de mauvaise volonté dans ce dossier. Et le fait de proposer un candidat polonais pour succéder à un président polonais, alors qu’aucune obligation de nationalité ne contraint les institutions, est une faute diplomatique grave, qui pourrait éloigner encore un peu plus les nationalistes de Varsovie du reste de l’Union européenne. D’autant que le camouflet a été total pour la Pologne : alors qu’il lui aurait suffi de 8 voix sur 28 pour renverser la vapeur (la majorité qualifiée est à 21), la réélection de Donald Tusk a été votée à 27 voix contre une.
Des débuts chaotiques
Si le PiS accuse Donald Tusk de ne pas servir les intérêts polonais, c’est le contraire qui lui a été reproché en début de mandat par les politiques et les fonctionnaires bruxellois. Lorsqu’il accède à la présidence du Conseil européen, en 2014, le symbole est total : la Pologne, entrée dans l’Union européenne dix ans auparavant, est en train de devenir un “grand” pays européen, et son ancien Premier ministre, cet homme charismatique, libéral, pro-européen, qui est parvenu à améliorer les relations diplomatiques de la Pologne avec les États occidentaux, est le mieux indiqué pour dynamiser les grandes orientations de la politique européenne.
Mais six mois plus tard, Berlin et Paris, à qui l’on devait la victoire de M. Tusk, font grise mine. Le dossier sur la guerre entre l’Ukraine et la Russie est primordial, et les propositions de Donald Tusk sont nombreuses à être favorables aux petits États d’Europe centrale, en opposition à Moscou. Ses communiqués de presse font état du travail accompli par Varsovie, Minsk et leurs alliés, sans évoquer la présence de François Hollande et d’Angela Merkel en Biélorussie. Donald Tusk multiplie les bourdes diplomatiques. Mais l’ancien Premier ministre se fait petit à petit à son nouveau costume, et ses compétences, son sérieux et sa discrétion l’emportent sur son engouement pour les petits pays d’Europe centrale.
La Commission européenne a récemment publié son Livre blanc, présentant cinq scénarios pour le futur de l’Europe, et les pays les plus puissants semblent prendre le parti d’une Europe à plusieurs vitesses. Un sommet s’est notamment tenu à Versaille, le 7 mars, rassemblant Paris, Berlin, Rome et Madrid. Donald Tusk a alors pris position pour une Europe intégrée et unifiée. Le lendemain, 8 mars, journée des droits de Femmes, Donald Tusk a dénoncé à mi-mot les dérives sociales du PiS en affirmant être “de tout cœur avec les femmes polonaises”, à l’occasion du sommet social tripartite. Un Polonais très européen, donc, qui parvient à séduire tant dans les sphères politiques que dans la société civile.
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