Il y a 60 ans jour pour jour, l’Allemagne, la France, l’Italie et les trois pays du Benelux signaient le traité de Rome et s’engageaient dans son préambule à poursuivre une voie commune résumée en 8 points. A la lecture de ces points, quel chemin a parcouru l’Union européenne depuis 1957 ?
Le traité de Rome est le traité fondateur de l’Union européenne telle qu’on la connaît aujourd’hui. Fondant initialement la Communauté économique européenne, il énonce de grands principes s’inspirant de la méthode fonctionnaliste, celle des « petits pas » : mettre en œuvre une dynamique politique par le biais d’accomplissements économiques successifs, en premier lieu l’Union douanière. Le chemin parcouru grâce aux petits pas se révèle aujourd’hui considérable. Mais à la lecture point par point du préambule du traité, on ne peut que constater que tous les vœux formulés n’ont pas été exaucés.
Dans le préambule du traité, les États membres déclarent :
- « [être] déterminés à établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens »
Vœu exaucé ? Oui et non. Oui, car les populations européennes ont aujourd’hui ouvert leurs frontières, favorisant les rencontres. Rencontres au sommet, entre chefs d’États, entre ministres et députés, ce qui facilite le dialogue et le maintien d’une paix durable, considérée souvent comme acquise au sein de l’Union européenne. Et rencontres entre les peuples également, grâce à la liberté de circulation et d’établissement, grâce à des programmes comme Erasmus qui a encouragé la rencontre des étudiants et permis la naissance de milliers d’enfants qui portent aujourd’hui le sceau d’une Union on ne peut plus étroite. Toutefois, l’Union européenne peine toujours à provoquer chez ses citoyens la naissance d’une identité commune. Un tiers des Européens ne se sentent pas « citoyens de l’Union » selon le sondage Eurobaromètre de l’automne 2016. Même l’euro, monnaie unique qui aurait pu servir de vecteur d’identification à une communauté, est de plus en plus discuté.
- « [être] décidés à assurer par une action commune le progrès économique et social de leurs pays en éliminant les barrières qui divisent l’Europe »
Vœu exaucé ? Oui. Depuis la signature du traité de Rome, les États membres de l’Union européenne n’ont cessé de cimenter les libertés de circulation (des marchandises, personnes, services et capitaux). Si la tâche est ardue, d’autant plus dans une Union à 28 et dans un contexte de crise migratoire où la libre circulation des personnes pose problème, l’Union européenne fait de la défense de ces libertés une priorité, en témoigne sa fermeté vis à vis du Royaume-Uni qui, ayant échoué à négocier une suppression de la libre circulation des personnes, a dû déclencher un exit.
- « avoir pour but essentiel l’amélioration constante des conditions de vie et d’emploi de leurs peuples »
Vœu exaucé ? Oui et non. Par bien des aspects les conditions de vie et d’emploi des européens se sont améliorées par rapport à 1957, ne serait-ce que grâce à la lutte contre les discriminations de toutes formes, à l’accès aux soins, à l’éducation, à la formation tout au long de la vie. Toutefois le taux de chômage s’est dégradé depuis les années 2000, les taux de croissance ne redécollent plus et la perception des Européens sur leur avenir économique est le plus négatif au monde. Le manque de stabilité économique, mais aussi géopolitique mettent en péril l’espérance européenne d’un avenir plus sûr que le présent.
- « reconnaître que l’élimination des obstacles existants appelle une action concertée en vue de garantir la stabilité dans l’expansion, l’équilibre dans les échanges et la loyauté dans la concurrence ; [être] soucieux de renforcer l’unité de leurs économies et d’en assurer le développement harmonieux, en réduisant l’écart entre les différentes régions et le retard des moins favorisées »
Vœux exaucés ? Oui et non. La mise en circulation de l’euro est venue concrétiser la volonté de 1957 d’une « action concertée » et d’un renforcement de l’unité des économies, tout comme l’encadrement de la concurrence par la législation européenne. De plus, la politique ambitieuse de cohésion territoriale et le budget toujours croissant alloué aux fonds structurels ont donné des résultats probants concernant le rattrapage économique des pays en retard, en particulier l’Irlande, l’Espagne et le Portugal. Mais les disparités subsistent, notamment du point de vue des régions d’Italie du Sud ou des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) au point que la voie d’une Europe dont l’intégration se ferait « à plusieurs vitesses » est aujourd’hui ouvertement en débat, présentant le risque d’un effritement de l’unité européenne : d’un côté l’Europe du Nord, les pays du Benelux et les « grands » que sont l’Allemagne, la France, l’Espagne et l’Italie, de l’autre les PECO.
- « [être] désireux de contribuer, grâce à une politique commerciale commune, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux »
Vœu exaucé ? Oui. La mise en place de la politique commerciale commune via l’union douanière est sans conteste la plus grande et concrète réalisation de l’Union européenne. Le démantèlement des droits de douane a même été réalisé plus tôt que prévu, et les manquements aux règles de la libre circulation des marchandises sont poursuivis par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). A l’échelle planétaire, depuis les années 1950 la tendance à la suppression des barrières aux échanges s’est généralisée à la plupart des zones géographiques, et plusieurs organisations commerciales se sont créées sur le même modèle que la Communauté économique européennes (comme l’ASEAN ou le Mercosur).
- « vouloir confirmer la solidarité qui lie l’Europe et les pays d’outre-mer, et assurer le développement de leur prospérité, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies »
Vœu exaucé ? Oui. Le statut de « pays et territoires d’outre-mer » (PTOM) concerne 26 pays et territoires liés constitutionnellement à un État membre de l’Union (Le Danemark, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni), mais ne faisant pas partie du territoire de l’UE. Ces pays reçoivent depuis 1957 des enveloppes du Fond européen de développement (364.5 millions d’euros pour la période 2014-2020) et sont éligibles aux programmes communautaires comme Erasmus + ou Horizon 2020, témoignant d’une réelle volonté de l’Union européenne d’assurer le développement des PTOM. Le statut de Régions ultrapériphérique (RUP) permet également à des territoires de l’UE situés en dehors de l’Europe de bénéficier d’un statut spécial et de ressources supplémentaires. Enfin, tout au long de la construction européenne, de nombreux avantages commerciaux ont été octroyés aux pays dit ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique), souvent d’anciennes colonies européennes.
- « [être] résolus à affermir, par la constitution de cet ensemble de ressources, les sauvegardes de la paix et la liberté, et appel[er] les autres peuples d’Europe qui partagent leur idéal à s’associer à leur effort »
Vœux exaucé ? Oui et non. Ce dernier point reflète l’essence même des valeurs sur lesquelles s’est construite l’Union européenne. 60 ans après le traité de Rome, l’Union européenne permet à l’Europe d’être le continent le plus démocratique au monde. La Commission européenne a adopté en 2014 un « nouveau cadre pour faire face aux menaces systémiques qui pourraient peser sur l’État de droit dans n’importe lequel des 28 États membres de l’UE ». Et pour aller plus loin, les députés du Parlement européen ont demandé à la Commission européenne, dans un rapport du 10 octobre 2016, la mise en place d’un Pacte de l’Union pour la démocratie et l‘état de droit, « visant à prévenir les violations des valeurs de l’Union et à y remédier ». Toutefois, l’UE semble démunis face aux dérives autoritaires de plusieurs pays d’Europe centrale (Pologne et Hongrie). Aucun dispositif de sanctions ni même d’exclusion n’est ainsi prévu dans les traités. Il faut cependant également insister sur le fait que l’Europe connaît une période de paix inédite dans son histoire grâce à la recherche permanente du dialogue et du consensus. Les élargissements successifs, de 6 pays en 1957 à 28 aujourd’hui, témoignent de la réussite du partage des valeurs européennes. Preuve en est que l’Union a déjà accompli une grande partie de ses objectifs, fixés par ses Pères fondateurs il y a 60 ans de cela.