Gautam (« comme la ville » se présente-t-il souvent) nous rejoint à une terrasse de café. À Paris depuis deux ans, il émane de lui un amour inconditionnel de la culture, et surtout de la littérature. Riche de nombreuses expériences, en Inde, son pays d’origine, mais aussi en Italie et aujourd’hui en France, on ressent dans sa façon de parler et d’appréhender les choses une sensibilité toute particulière. Son amour pour l’Europe est avant tout un amour pour la culture de l’Europe de l’Ouest.
D’où viens-tu ?
Je viens d’une ville qui s’appelle New Delhi en Inde, je ne suis pas né là-bas, mais j’y ai fait mes études et j’ai vécu là-bas pendant 10 ans. Mes parents étaient fonctionnaires alors on changeait de villes tous les 3 ou 4 ans, donc j’ai fait pas mal de lycées, pas mal d’écoles. Je suis allé faire mes études dans une université de New Delhi et j’ai étudié la littérature anglaise puis j’ai travaillé pendant quelques temps dans un cabinet de gestion. Je faisais partie de l’équipe de communication, une sorte de spécialiste en communication, avec quelques petits séjours en Chine pour compléter un rapport sur le changement climatique.
Mais ma passion a toujours été la culture et je voulais trouver du travail dans ce domaine. Je suis passé à Paris comme touriste il y a quelques années, comme tout le monde. J’y suis resté pendant une semaine et j’aimais bien l’aspect culturel de la ville. Il y a d’autres villes comme Berlin ou Londres où la culture est assez développée dans des domaines comme la musique ou l’art, mais il y a à Paris une culture assez globale, que ce soit la littérature, l’art, la musique. C’est ce qui m’a frappé la première fois que je suis venu à Paris. Alors j’ai voulu revenir pour continuer des études en Master.
Qu’est ce qui t’attire dans l’Europe ?
Dans l’Europe ? Grande question ! L’Europe de l’Ouest plutôt (rires). C’est une affinité que j’ai toujours eue, mais en fait quand je parle d’Europe, je parle surtout de la France, de l’Italie, de l’Allemagne. Ce qui reste tout de même assez vaste finalement car la France par exemple, ce n’est pas qu’un pays, c’est tout une civilisation. Mais déjà quand j’étais au lycée en Inde, au lieu de lire ce que je devais lire, je lisais des documents sur le Troisième Reich en Allemagne, j’écoutais du Wagner. Ça m’a toujours intéressé l’histoire, la culture.
C’est juste une affinité, je ne sais pas trop comment expliquer, et c’est pour ça que j’ai voulu apprendre d’autres langues. J’ai commencé avec le français en 2011, mais je n’étais pas sûr de vouloir étudier en France ou en Allemagne. Et j’ai aussi fait un semestre en Italie parce que j’apprenais aussi l’italien et ça m’a plu mais… je n’étais pas sûr. J’apprenais les trois langues en même temps et c’était une idée un peu bizarre.
En Inde il y a pas mal de Français parce qu’à New Delhi il y a un lycée français, l’Alliance française et même une certaine culture française. Beaucoup de gens vont à l’Alliance française, mais je ne sais pas ce que ça donne parce que les gens qui parlaient français là-bas, c’était uniquement pour les cours et personne n’essayait vraiment de parler français en dehors. Il y avait une espèce de gêne je crois, et c’était un peu dommage parce que moi j’étais très enthousiaste. C’était un truc de faire les devoirs, les examens, mais personne ne travaillait sur l’accent, la prononciation des mots… Alors j’ai arrêté d’y aller, ça m’a gâché l’expérience. Et c’est pour ça que je ne maîtrise pas totalement la grammaire parce que ça me saoule tout le temps (rires). Je préférais écouter les chansons de Gainsbourg. Sinon, si on reste bloqué sur les cours, on n’avance pas.
Qu’est-ce que tu reproches à l’Europe ?
Je ne sais pas si c’est un reproche… En fait j’ai beaucoup plus de choses à reprocher à l’Inde ou à d’autres pays, parce que ce qui est intéressant dans une culture c’est l’ouverture aux autres cultures et je pense que l’Europe est le continent avec le plus de curiosité pour les autres cultures. Il y a ici une certaine manière de s’approprier, de prendre des éléments des autres cultures et d’en faire un ensemble. L’Europe que j’aime, que j’ai toujours aimé, c’est par exemple la musique de Debussy où il prend la musique de Java, qu’il mélange, Picasso qui regarde l’art africain. C’est pour ça que l’art en Europe change tout le temps. Tous les 100 ans il y a un bouleversement en Europe, la Guerre de Cent ans, l’Inquisition… Pour le moment on a le sentiment qu’en Europe tout est stable et ailleurs tout est chaos : le Moyen Orient, etc. Mais je pense que la mentalité est beaucoup plus stable ailleurs qu’en Europe parce qu’en Europe il y a toujours cette volonté de changer. Par exemple en Inde, j’ai l’impression que même s’il y a soi-disant un changement, c’est toujours la même chose parce qu’ils vont tout de même conserver certains trucs. En Europe, la musique classique de maintenant ça n’a rien à voir avec la musique classique d’il y a 50 ou 100 ans. Mais en Inde, ça reste, tu peux aller dans un concert et écouter des choses que tu pouvais déjà entendre il y a 200 ans. Parce que c’est la tradition. La tradition c’est souvent quelque chose de valorisé, mais mon impression c’est qu’en Europe finalement, ça n’est pas très bien vu, parce que la tradition ça veut dire une ligne conservatrice, autant politiquement que dans le monde artistique. Je ne pense pas que quelqu’un en France puisse te dire “je veux être traditionnel”.
Par rapport à l’Union européenne, je pense que les pays ne se rendent pas compte que soit tu as des frontières à l’intérieur de l’Europe, soit en dehors de l’Europe. Avec la crise des réfugiés, l’Europe a décidé, l’Allemagne même a décidé que, oui, c’est le devoir de l’Europe d’accueillir des réfugiés. Et je pense qu’il y a de grandes décisions, une grande vision, mais finalement, une fois que les réfugiés sont là, qu’est ce qu’il se passe ? Et il y a beaucoup de gens en France, des agriculteurs, des fermiers qui ont beaucoup entendu qu’on n’a pas d’argent pour ça, pour les accueillir. Il y a donc un problème de communication. Cette crise n’est pas bien gérée et elle détruit peut-être les liens entre les pays. Dans l’universalisme européen, on se dit juste qu’il faut mélanger les gens, et tout va bien se passer, mais je ne suis pas sûr que ça se passe comme ça parce qu’il y a des différences culturelles et si on ne permet pas aux gens de s’adapter, de s’acclimater, il y aura toujours des fractures qui peuvent peut-être aggraver les problèmes à long terme. Deuxième chose, il y a beaucoup de communication sur cette crise et comment on fait face à la montée des populismes partout, parce que si on croit l’Union européenne, la montée des populismes est effectivement partout. Même les gens qui ne sont pas de droite ou d’extrême-droite, il y a une espèce de nihilisme actuel et ils ne comprennent pas pourquoi on ne se sent pas dans son pays. C’est le discours du bistrot bien sûr, mais ça existe, et je pense qu’il y a un manque de communication sur les valeurs européennes et pourquoi on continue avec cette construction européenne. Avant l’Europe, l’Europe d’Adenauer était une nécessité, maintenant je pense que les gens ont un peu délaissé cela et beaucoup ne croient plus en Europe.
Peux-tu nous raconter une expérience qui t’a marqué dans l’année qui vient de s’écouler ?
Oulah, plein de choses… C’est vraiment vaste comme question.
J’ai rencontré quelqu’un à Paris. D’ailleurs, quelque chose qui m’a toujours frappé à Paris c’est que je découvre surtout les autres cultures parce qu’il y a un vrai brassage culturel. Mais là j’ai rencontré quelqu’un, elle était syrienne. Elle m’a dit quelque chose que je n’oublierai pas : “moi j’ai perdu un pays, j’ai perdu un père”. Elle était dans une sorte de deuil. La façon dont elle m’a dit ça, ça m’a… Et ça c’était en rapport avec tout ce qui s’est passé en 2016. Ça a bien résumé une période de ma vie. Juste la tristesse, la façon dont elle me l’a dit. Et on s’est vus pendant quelques temps, mais elle m’a dit “je suis dans une période de disparition” et elle ne pouvait pas sortir de ça. Et là j’ai compris et j’ai appris quelque chose. Ce que l’on voit dans les médias, ce n’est pas pareil. Comment on vit sans État ? Et à partir de là j’ai aussi commencé à m’intéresser au Moyen-Orient, à ce qui se passait vraiment là-bas. Et j’ai vécu les choses différemment, même par rapport aux médias et à tout ce qu’on entend. A quel moment les gens prennent vraiment conscience de tout ce qui se passe ?
Tu as une baguette magique, tu peux avoir le poste de tes rêves, tu fais quoi ?
L’idéal serait d’être à la tête du ballet de Mariinsky à Saint Pétersbourg (rires).
Mais après, une carrière idéale… Je n’aime pas trop l’idée de carrière en fait parce qu’il y a une idée de suivisme… J’aimerais bien travailler et en même temps rester dans les études. Les études ne sont pas juste une passade. Beaucoup de gens pensent que c’est juste passer des examens et ensuite tu travailles. Moi j’ai travaillé aussi, j’ai fait des études mais je trouve un intérêt dans le fait de continuer à étudier. Sinon tu rentres dans une sorte de routine, tu travailles, tu prends un verre avec des amis, mais tu lis de moins en moins.
Le travail c’est quelque chose qui m’est arrivé comme ça parce que je voulais sortir du milieu académique, mais l’idée c’était toujours de continuer mes études. Je n’ai pas eu de parcours spécifique, c’est un peu bizarre. A Paris IV je faisais lettres comparées mais ça n’avait rien à voir avec mon parcours, c’était juste pour pratiquer la langue, le français. Sinon on a tendance à rester avec les expat’, parce que c’est très confortable. Alors j’ai essayé de m’immerger. Tout revient à la curiosité culturelle. Si on n’a pas cette curiosité, c’est fini. Et ce que j’aime bien à Paris, c’est que la culture littéraire reste très forte. En France tu as des émissions où tu parles de livres, ou des gens ramènent des livres pour les présenter, pour en parler. Aux États-Unis c’est impensable. Tout se passe à travers la culture. L’idée de l’Europe elle-même, c’est une idée culturelle.