Possédant un poids désormais important en Europe, les pays de l’ancien bloc de l’Est connaissent aujourd’hui des trajectoires différentes dans le cadre de leurs relations avec l’Union européenne.
En 2004, l’Union européenne effectuait son plus important élargissement. Sur les dix nouveaux membres, huit ont été pendant plus de quarante ans sous domination soviétique, une domination dont ils ne sont sortis que depuis quinze années à peine. L’adhésion s’est faite au prix de réformes économiques importantes et d’une conversion indispensable à la démocratie. Depuis, les situations divergent, et si des pays sont aujourd’hui pleinement intégrés au projet européen, d’autres, et non des moindres, après avoir été les symboles des aspects positifs de l’Union européenne semblent désormais s’en éloigner.
Une course effrénée à l’entrée dans l’Union
À la suite de la chute du bloc de l’Est au début des années 1990, l’objectif premier des pays le composant a été une intégration rapide au sein de l’Union européenne, synonyme de démocratisation et d’accès à l’économie de marché.
C’est ainsi que dès 1991, la Hongrie signe un accord d’association avec l’UE, avant de déposer officiellement sa candidature en 1994. Le pays était alors en pleine recomposition politique. L’Estonie dépose sa candidature en 1995, après avoir signé un an plus tôt un accord de libre-échange avec l’Union. La Lituanie fait de même, elle aussi en 1995, après une transition démocratique et économique jugée très vite satisfaisante puisque la Commission rend son avis favorable dès 1997. Même scénario en République tchèque, où le dépôt de candidature en 1996 ouvre une période de profondes transformations économiques et politiques. Qu’il s’agisse également de la Slovaquie, de la Lettonie ou de la Pologne, les conditions et les scénarios ont été les mêmes. L’Union européenne, alors dans une politique d’élargissement important, met le cap à l’Est.
Depuis, le développement économique des pays d’Europe centrale et orientale, bien qu’inférieur à celui de l’Europe de l’Ouest, repose en bonne partie sur l’Union européenne. À l’aide de fonds structurels importants, des États comme la Pologne ou l’Estonie ont vu leurs infrastructures se développer et leur économie se solidifier. La Pologne est en effet l’un des premiers bénéficiaires avec 82,5 milliards d’euros d’aides prévues entre 2014 et 2020. En Estonie, les fonds européens représentent 6,1% du PIB. En Lituanie, la part s’élève à 4%. Une manne indispensable pour les finances publiques de ces pays.
Ainsi, si l’on prend au cas par cas les situations nationales, l’entrée de ces anciens pays communistes au sein de l’Union européenne est positive au niveau économique, mais aussi au niveau politique. Condition indispensable à une intégration de l’UE, la mise en place et l’entretien d’institutions démocratiques viables s’est également fait au pas de course. Dès les premiers mois de leur indépendance politique, ils ont établi des constitutions, des parlements indépendants et représentatifs, et lancé des campagnes de lutte contre la corruption, avec plus ou moins de succès pour ce dernier point.
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Visegrád : une épine dans le pied de Bruxelles
Malgré tout, il semble qu’aujourd’hui, après avoir bénéficié des fonds européens, d’aides et de conseils de la Commission et des institutions pour mettre sur pied des démocraties sur le modèle européen, certains pays rechignent désormais à jouer le jeu d’une intégration et d’une solidarité qui leur a tant profité.
Le groupe de Visegrád, fondé sur la volonté du président tchécoslovaque d’alors, Václav Havel, qui déclarait en 1990 « nous avons une chance unique de transformer l’Europe centrale en une entité politique », pèse aujourd’hui d’un poids important en Europe, en particulier à l’Est où il se place comme le moteur de la région. Initialement formé de trois membres, il est aujourd’hui composé de la Pologne, de la Hongrie, ainsi que de la Slovaquie et de la République tchèque depuis la partition de la Tchécoslovaquie. Si l’objectif initial était de s’allier pour accélérer les transformations nécessaires à l’entrée dans l’Union européenne, il représente aujourd’hui un poids pour l’institution communautaire qui doit faire face presque quotidiennement aux provocations et aux atteintes à l’État de droit commises par les principaux membres du groupe de Visegrád.
Que ce soit dans la Hongrie de Orbán ou dans la Pologne du PiS de Beata Szydlo et Jaroslaw Kaczyński, les atteintes aux libertés publiques et les régressions sur le plan social sont de plus en plus nombreuses. Les recommandations de Bruxelles, en particulier à l’égard de Varsovie, semblent pour l’instant ne provoquer aucune réaction positive de la part du gouvernement conservateur. Cette régression majeure, notamment au pays de Donald Tusk, ancien premier ministre polonais et actuel président du Conseil européen, donne chaque jour davantage l’impression de l’accroissement d’une Europe à plusieurs vitesses dans bien des domaines.
Des signes encourageants
Cependant, les derniers mois peuvent constituer un motif d’espoir. Les deux poids lourds du groupe de Visegrád demeurent résolument eurosceptiques, bien qu’ils ne prônent pas une sortie de leur pays de l’Union européenne pour des raisons économiques évidentes, tout comme des questions de défense. Pour les huit anciens pays communistes, l’intégration allait en effet de pair avec une entrée dans l’OTAN. Dans un contexte de fortes tensions avec la Russie, la crainte de se retrouver isolés en quittant les institutions occidentales est bien présente et les retient au sein de l’UE.
En revanche, la République tchèque semble avoir choisi la voie d’une européanisation croissante, ou tout du moins ne prend pas la voie d’un éloignement. Le président élu en 2013, Miloš Zeman, s’est prononcé en faveur d’une intégration renforcée de son pays, mais aussi de l’Union européenne en général. Une position à géométrie variable cependant, car comme ses homologues hongrois et polonais, il s’est opposé de manière ferme à l’accueil de réfugiés dans son pays. Le premier ministre, Bohuslav Sobotka, qui va finalement se maintenir à son poste après être revenu sur sa décision de démissionner, est lui un européen convaincu, en divergence avec les accents populistes et nationalistes pris par ses voisins.
Une situation encore plus marquée en Lituanie où la présidente doublement élue se place dans une perspective de relations renforcées avec l’UE. Dalia Grybauskaité, ancienne commissaire européenne, est réputée pour être une grande partisane de l’égalité des droits et de la garantie des libertés publiques. Elle souhaite se placer comme actrice de davantage de coopération et de dialogue entre l’Europe de l’Est et l’Union européenne.
Ainsi, si les marques de défiances de la Hongrie et la Pologne à l’égard de l’UE sont quotidiennes, elles ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt. Les pays d’Europe centrale demeurent conscients des progrès effectués sur les plans économique et politique depuis les premiers contacts noués avec l’Union. Des signes encourageants de la part de gouvernements pro-européens apparaissent malgré tout dans des pays amenés à faire mentir les détracteurs d’un élargissement trop rapide en 2004, et d’une Europe à 27 qui demeurerait, selon eux, incapable d’avancer dans sa configuration actuelle.