Arrivée en troisième position des élections fédérales allemandes, l’Alternative pour l’Allemagne s’impose comme l’un des premiers partis d’opposition à Angela Merkel, reconduite pour un quatrième mandat. Un succès qui cache cependant bien des divisions au sein d’un parti complexe.
Le seul suspense des dernières élections allemandes ne concernait pas le nom du vainqueur, mais plutôt le score des autres partis dans la perspective de la future coalition au pouvoir. Si les deux grands partis, CDU/CSU et SPD, ont perdu des voix, souvent dans des proportions records depuis plusieurs décennies, l’extrême droite allemande, par la voix de l’Alternative pour l’Allemagne, a quant à elle fait un retour en force au Bundestag. Avec 12,6% des voix, le parti xénophobe disposera de 93 députés, sur 630 au total.
Une ligne directrice floue mais opportuniste
Quand il prend forme en 2013, l’AfD n’est alors qu’un nouveau parti rejetant la politique économique européenne, notamment à destination de pays en difficulté tels que la Grèce. Déjà, le parti levait une première forme de tabou allemand en réclamant la sortie du pays de la zone euro. L’Alternative pour l’Allemagne s’appuie alors sur un bon nombre d’experts économiques, en particulier Bernd Lucke, économiste réputé. Tout cela lui permet, malgré des propositions peu réalistes, de gagner une forme de respectabilité, au contraire d’un parti comme le FN qui, en plus d’une ligne économique irrationnelle, n’a jamais pu mettre en avant une quelconque expertise à travers des personnalités reconnues dans ce domaine.
S’il rate de peu l’entrée au Bundestag dès septembre 2013, l’AfD entre peu à peu dans différents parlements régionaux. 10,6% en Thuringe en septembre 2014, ou encore 12,2% dans le Brandebourg à la même période. Il est aujourd’hui présent dans 13 des 16 Landtag.
Conscient de l’impact limité d’un discours fondé en très grande partie sur des notions parfois floues économiquement et peu à même d’élargir sa base électorale, l’AfD va alors effectuer un brutal virage à droite au début de l’année 2015. La prise de pouvoir de Frauke Petry et le départ des partisans d’une ligne plus modérée menée par Bernd Lucke seront les principales conséquences en interne. Politiquement, le coup peut sembler aujourd’hui payant à court terme puisque avec l’ouverture des frontières allemandes aux milliers de réfugiés à la fin de l’été 2015, le terreau électoral devient fertile et les scores de l’AfD ne cesseront de grimper lors des différentes élections régionales.
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Depuis, l’AfD n’a cessé de briser un grand nombre de tabous en Allemagne, montrant notamment une certaine complaisance à l’égard de mouvements néo-nazis, rechignant même à exclure des membres ayant tenu des propos ouvertement négationnistes.
Un baromètre des maux allemands
Ce succès de l’AfD fait également apparaître une division symbolique et économique entre Allemands de l’Ouest et de l’Est, avec bon nombre de ressentiments et de frustrations pour ces derniers. Certes, le déclassement industriel, et fatalement économique, dans des régions reposant auparavant presque exclusivement sur ce domaine, peut expliquer une partie de ce vote pour un parti anti-immigration. Et cela s’observe chez d’autres partis d’extrême droite européens. Dans un pays qui incarne l’idée de réussite économique, une partie croissante de la population se sent exclue de la mondialisation et de ses effets et voit à travers les réfugiés une nouvelle menace pour leur mode de vie.
Cependant, la persistance des idées d’extrême droite en ex-Allemagne de l’Est ne date pas d’aujourd’hui. Les deux Länder ayant permis à un parti ouvertement néo-nazi et plusieurs fois menacé d’interdiction, le NPD, d’accéder aux parlements régionaux sont la Saxe et le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, à l’Est. C’est également à Dresde, en Saxe, que le mouvement Pegida est né et continue aujourd’hui, avec moins de vigueur, de défiler chaque lundi dans les rues.
L’autre grande force de l’AfD est la capacité d’agréger et mobiliser les déçus des partis traditionnels. En Saxe-Anhalt et dans le Bade-Wurtemberg, deux régions d’Allemagne aux antipodes économiquement, respectivement 64% et 70% des électeurs de l’AfD l’ont fait par déception des autres formations lors des élections régionales de mars 2016. L’AfD est ici le seul parti où, au sein des personnes ayant voté pour lui, le pourcentage des déçus est supérieur à celui du vote par conviction.
Un succès sur fond de crise interne
Depuis sa création, l’Alternative für Deutschland n’a jamais su trouver une ligne politique claire, tiraillée entre davantage de radicalisation, et certains leaders appelant le parti à devenir respectable en sortant de la marginalité. Aujourd’hui, bien que nouvel entrant au Bundestag, l’AfD semble sur une voie de radicalisation croissante. Le cas Frauke Petry est assez symbolique. L’ancienne cheffe d’entreprise fait parti des membres fondateurs. Au début de l’année 2015 c’est elle qui est à l’origine du changement de discours de l’AfD en l’orientant vers une voie xénophobe et islamophobe. Remise en cause en interne, n’imaginant peut-être pas naïvement qu’en ouvrant le parti à la parole xénophobe celle-ci n’allait pas se fermer de sitôt, elle s’est retrouvée marginalisée par la suite en souhaitant faire de l’AfD un parti capable de diriger, et non pas uniquement un parti d’opposition systématique. Elle avait déjà renoncé à prendre la tête de la campagne électorale nationale, avant de quitter l’AfD avec fracas deux jours après le score historique du parti d’extrême droite aux dernières élections.
L’une des questions sera désormais d’observer la direction prise par l’AfD. Le dernier épisode en date rappelle celui de 2015 quand la frange modérée avait pris les voiles, d’autant que derrière Frauke Petry, d’autres poids lourds ont annoncé leur départ. C’est le cas notamment de Marcus Pretzell, compagnon de Mme Petry et, désormais, ex-président du groupe de l’AfD au parlement de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.