Lundi 23 octobre a eu lieu une longue séance de négociations entre les ministres des 28 pays dans le but de trouver un accord sur une réforme de la directive sur les travailleurs détachés. Après vingt mois de discussions, c’est un premier compromis important avant de parvenir à un accord final avec le Parlement européen.
Selon Europa, un travailleur « détaché » est « un salarié envoyé par son employeur dans un autre État membre en vue d’y fournir un service à titre temporaire », il n’intègre pas le marché du travail du pays d’accueil et continue de cotiser dans son pays d’origine. Ce critère de temporalité les distingue des « travailleurs mobiles » qui eux s’installent dans un autre pays pour trouver un emploi et intègrent donc le marché du travail de ce pays, ils ont donc par défaut l’égalité de traitement et sont sous le même régime que les autres citoyens du pays, concernant notamment l’accès à l’emploi, les conditions de travail et les dispositions sociales et fiscales.
La situation actuelle des travailleurs détachés
Entre 2010 et 2014, le nombre de travailleurs détachés à augmenté de 45% en Europe passant de 1,3 million à 2 millions. Les derniers chiffres indiquent qu’ils étaient plus de 2 millions de travailleurs détachés en 2015, dont 286 000 en France et en premier lieu dans le bâtiment, l’industrie manufacturière et les services liés à l’éducation, la santé et l’action sociale. Ainsi, selon Eurostat, les travailleurs détachés représentent 0,9% de la population active de l’Union.
Les échanges sont principalement internes à l’UE puisque seulement 3% des travailleurs détachés proviennent d’un pays extérieur. Ils arrivent pour la plupart de Pologne en premier lieu et d’Allemagne et de France ensuite. Notre pays est le troisième à envoyer le plus de travailleurs détachés avec 125 000 personnes en 2014 selon la Commission européenne. Les travailleurs détachés européens vont principalement en Allemagne, en France et en Belgique. Les conditions de travail sont celles du pays d’accueil, mais les charges sociales sont celles du pays d’origine.
C’est en 1996 qu’a été votée la première directive sur les travailleurs détachés dans le but notamment de couvrir le manque de personnel qualifié dans certains pays. Le but du détachement de travailleurs est en effet de répondre à une demande de qualification professionnelle grâce à certains travailleurs spécialisés dans un domaine précis qui vont être aptes à effectuer une tâche complexe dans le pays d’accueil où ces compétences spécifiques manquent.
Des problèmes identifiés et récurrents
Mais cette réforme prenait place dans une Europe à 15. Depuis 2004 notamment et l’adhésion à l’Union de dix nouveaux pays ayant des niveaux de vie et des salaires plus bas, de nouveaux paramètres sont entrés en jeu. A l’origine, l’objectif était simplement de faciliter la libre circulation des travailleurs pour répondre au concept de libre circulation primordial de l’Union. Mais déjà à l’époque, ce statut nécessaire de travailleur détaché posait des problèmes : risque de concurrence pour les travailleurs locaux, exploitation des travailleurs étrangers (abus notamment sur les horaires de travail), problèmes d’hébergement… Et le salaire minimum du pays d’accueil imposé ne garantissait pas une rémunération égale (treizième mois, ancienneté, primes, etc).
Aujourd’hui, les 28 États membres tentent de trouver un accord sur une nouvelle directive notamment pour répondre au risque de dumping social dénoncé par certains, dont la France : travailleurs dissimulés (non déclarés dans le pays d’accueil), sous payés par rapports aux autres travailleurs du pays d’accueil (avec la directive de 1996, les travailleurs détachés pouvaient être amenés à être moitié moins bien rémunérés que les salariés du pays d’accueil), règles de sécurité et règles sanitaires non respectées… Voilà quelques exemples de dumping social qui entachent l’image du travail détaché.
Le chantier de Flamanville en France donnait il y a deux ans un bon exemple de telles déréglementations. Les Echos rapportaient à l’époque comment la directive avait été contournée : « Pour Flamanville, Atlanco avait en effet fourni à Bouygues 160 ouvriers polonais en leur faisant signer des contrats de travail chypriotes, avec des assurances sociales de ce pays réputé pour avoir les plus faibles cotisations sociales d’Europe. » Non-déclaration, rémunérations très inférieures au SMIC, dépassement des durées maximales de travail autorisées, hébergements insalubres… Flamanville apparaissait comme un exemple parfait de dumping social.
Une nouvelle directive pour lutter contre le dumping social
Cette lutte contre le dumping social était un des points phares de la campagne présidentielle de l’actuel président français. En parvenant à cet accord crucial au bout de plusieurs mois de vifs débats, Emmanuel Macron affiche donc une première victoire importante.
Outre certains États simplement sceptiques face à l’importance de nouvelles normes comme la Bulgarie ou la Roumanie, la France et la Pologne se sont quant à eux fortement opposées sur le sujet pendant les négociations, l’une souhaitant une réglementation plus forte, tandis que l’autre prônait plus de libertés. Les pays de l’Est en général étaient contre les conditions strictes que tentait d’imposer Paris faisant entrer en jeu un nouveau risque de césure Est/Ouest. C’est face à cette opposition que le président français, a finalement accepté une concession majeure concernant le secteur routier : l’Espagne, le Portugal et les pays de l’Est ont obtenu que celui-ci continue de fonctionner selon l’ancienne directive de 1996 jusqu’à ce qu’une nouvelle directive spécifique à ce secteur soit élaborée. Il faudra donc sans doute attendre encore plusieurs années avant que la réglementation dans ce domaine soit modernisée. Le nouvel accord trouvé la semaine dernière présage aussi une mise en application longue et complexe de la future directive : les États membres devront la transposer dans leur droit national d’ici 2022. Le délai long ou non de la mise en place des nouvelles normes se fera donc selon les pays.
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Des avancées majeures sont tout de même à remarquer comme la limitation à 12 mois du détachement (même si celle-ci semble plutôt symbolique puisque la durée moyenne actuelle est de trois mois) avec un assouplissement possible au cas par cas pour les entreprises qui ont la possibilité de demander une extension du contrat de 6 mois ; les règles du pays d’accueil concernant notamment les primes et les allocations s’appliquent maintenant aussi au travailleur détaché ; et surtout, cette nouvelle directive consacre le principe du « à travail égal, salaire égal ».
Sur certains points, les normes sur le travail détaché tendent donc à évoluer dans le sens d’une réglementation accrue et d’une lutte renforcée contre le dumping social. Mais des concessions ont été faites, la victoire n’est pas entièrement acquise et ces nouvelles normes promettent encore de se faire attendre jusqu’à la mise en place réelle de la directive d’ici sans doute plusieurs années.
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