En pleine COP23 en Allemagne et tandis que 15 000 scientifiques ont alerté sur l’état de la planète dans le journal Le Monde, un procès s’est tenu à Oslo : la Norvège est poursuivie par deux ONG pour son comportement environnemental. Le verdict n’est pas encore tombé.
Certains pays poursuivent en justice des particuliers, tandis que désormais, les ONG lancent des procédures contre les États. C’est ce qu’ont fait Greenpeace et Natur og ungdom (Nature et jeunesse) pour la Norvège. Du 14 au 23 novembre s’est en effet tenu à Oslo le procès du pays nordique. Il est accusé de ne pas respecter la Constitution du pays puisqu’il a autorisé des prospections de pétrole en Arctique, un mois après avoir signé les Accords de Paris, en 2015.
Devant la justice pour un non-respect de la Constitution
Les ONG accusent l’État de ne pas respecter l’article 122 de la Constitution qui dispose que le pays doit proposer un « environnement salubre » à ses citoyens tout en garantissant un avenir pour les générations futures. Le 18 mai 2016, la Norvège a autorisé 13 compagnies à s’aventurer en mer des Barents pour rechercher cet or noir. Or, plus les pétroliers s’avancent vers la banquise et plus le risque de pollution est grand si un accident de navigation avait lieu. 78 % de ces explorations sont financées par l’État, tandis que les ONG estiment que cet argent aurait pu être utilisé pour accentuer la transition énergétique. Le pays a quant à lui axé sa défense sur la légitimité de la plainte : il ne s’agit pas pour lui d’une question de droit.
La Norvège est pourtant considérée dans l’esprit commun comme un pays préoccupé par l’environnement. En effet, depuis 2008, elle a fournit 1,8 milliard de dollars au Brésil pour le Fond de préservation de la forêt amazonienne. Toutefois, les dotations baisseront en 2017 puisque la déforestation n’a pas diminué. En 2016, 8000 km² auraient été détruits au Brésil pour faire place à l’agriculture, soit l’équivalent de la région Alsace. La Norvège est aussi leader en voiture électrique puisque dans ce pays d’un peu plus de 5 millions d’habitants, une voiture neuve sur cinq est électrique. La fin du moteur à combustion est même prévue pour 2025 tandis qu’il faudra attendre 2040 pour la France et le Royaume-Uni. Or, dans le premier cas, les financements pour la forêt amazonienne se font grâce au pétrole. Dans le second cas, les voitures électriques ont seulement permis une réduction de 130 000 tonnes de CO2 pour 53 millions de tonnes émises en 2016.
Un paradoxe semble donc apparaître en Norvège. Cela est d’autant plus possible que les Verts n’ont obtenu qu’un siège lors des élections législatives de septembre, soit autant que quatre ans auparavant. L’eurodéputée française Eva Joly s’était pourtant déplacée à Oslo pour soutenir ce parti. Les conservateurs l’ont donc emporté, ce qui a conduit à la réélection de la Première Ministre Erna Solsberg.
Une puissante pétromonarchie
L’industrie du pétrole est considérée par le gouvernement comme pouvant être un soutien de l’activité à long terme et un secteur créateur d’emplois. C’est la raison pour laquelle le pays est devenu une pétromonarchie depuis 1969, c’est-à-dire que le Royaume tire ses revenus et sa puissance du pétrole. La Norvège est ainsi le premier exploitant de pétrole d’Europe de l’Ouest. Les richesses tirées du pétrole représente même près de 14 % de son PIB, services exclus.
L’or noir a permis à la Norvège de se constituer le plus gros fond souverain du monde. Il a été créé en 1990 afin de gérer le surplus des réserves de change concernant les exportations de pétrole pour favoriser le financement de l’État. En septembre dernier, ce fond a dépassé les 1000 milliards de dollars, ce qui constitue deux fois le PIB de la Norvège qui était de 370 milliards de dollars en 2016 selon la Banque mondiale. Ce fond est dirigé par la Banque norvégienne. 65.1 % de ses actifs sont placés sous forme d’actions dans 9000 entreprises. Les principales sont Apple, avec 58.2 milliards de couronnes fin juin, et Nestlé avec 50.7 milliards de couronnes. Avec la chute du pétrole, le pays prend davantage d’argent dans ce fond qu’il n’en dépose. Le plafond a été abaissé de 4 à 3 %. Malgré cela, ses intérêts sont tout de même de 6.5 %.
La contradiction du pays est de plus en plus grande lorsqu’on remarque que la Norvège souhaite une neutralité carbone pour 2030, c’est-à-dire un équilibre entre les émissions et la disparition ou l’absorption des gaz à effet de serre (GES). Cette date limite a été baissée de vingt ans en mars 2016. Toutefois, la stratégie est fine puisque ce n’est pas le 3ème exportateur mondial de GES qui réduirait ses émissions. Elle recourra en effet à des crédits compensatoires à l’étranger. Ainsi, 140 vendeurs de crédits dans le monde se chargent de réduire les GES au nom du pays, ce qui annule l’empreinte laissée dans l’environnement. Pour cela, ces entreprises réduisent les GES soit par séquestration, en plantant par exemple des arbres, ou soit par limitation, en utilisant des énergies renouvelables. Subtil, donc.
Quel que soit le verdict de ce procès, il est probable qu’il fasse date dans la prise de conscience des citoyens. La cour de justice pourrait s’inspirer de la décision rendue aux Pays-Bas en juin 2015 puisque le pays avait été reconnu coupable de négligence énergétique.