Crise de la gauche modérée en Allemagne: pourquoi le SPD peine à revenir sur le devant de la scène?
Alors que l’année prochaine verra le renouvellement des gouvernements allemand et français, la chancelière allemande Angela Merkel chrétienne-démocrate est critiquée pour ses mesures de gauche, tandis que François Hollande est sous le feu des critiques pour sa politique jugée trop droitiste. Au-delà du paradoxe actuel, cela est symptomatique de la difficulté des partis historiques européens à se maintenir en dépit du contexte de crise et de la poussée des extrêmes.
Un succès électoral en berne depuis 2005
Arrêtons-nous sur le cas du SPD (Parti Social-Démocrate), grand perdant de la reconfiguration de la scène politique allemande depuis une décennie. Les années Schröder et leur lot de réformes sociales entre 1998 et 2005, ou encore les 40% d’intentions de vote dont il était crédité dans les années 70, ne sont plus qu’un lointain souvenir. En effet, aux dernières élections régionales de mars dernier, le SPD conserve la Rhénanie Palatinat mais franchit péniblement la barre des 10% dans deux des trois régions concernées, le reléguant en quatrième position.
Mais à entendre les Allemands, le SPD est devenu un parti fantôme, qu’ils peinent à qualifier de parti de gauche. Comment en est-on arrivé là ?
En 2005, le chancelier parie sur des élections anticipées pour maintenir sa coalition mais doit céder la place à la nouvelle présidente de l’Union chrétienne-démocrate, Angela Merkel. Le parti est alors relégué à la fonction de partenaire. Les élections de 2009 marquent l’alliance des chrétiens démocrates avec les libéraux, et le SPD ne se démarque pas plus en étant dans l’opposition. Le scrutin de 2013 permet au SPD de réintégrer la coalition gouvernementale mais la popularité d’Angela Merkel, qui entame alors son troisième mandat, efface à l’époque toute initiative d’origine sociale-démocrate.
Comprendre les raisons du déclin : une ligne partisane floue qui ne suffit plus pour se démarquer
Si les réformes Schröder ont été analysées par les économistes comme nécessaires et fondatrices de la réussite économique allemande actuelle, elles sont aussi dénoncées comme antisociales par le monde des syndicats. Malgré ce désaveu, les barons du SPD sont toujours ceux issus de la génération Schröder. C’est pourquoi une part considérable de ses militants et de son électorat attaché aux valeurs de justice sociale s’est donc tournée vers des partis plus ancrés à gauche, comme Die Linke.
Le mode de scrutin et la vie politique allemande sont structurés par le système de coalitions qui confronte habituellement centre-gauche et centre-droit, chacun secondé par leurs alliés. La capacité à rassembler les opinions modérées au-delà de son propre parti est donc la clé de l’accession aux positions gouvernementales. Autre caractéristique nationale : la surenchère idéologique ? Très peu pour les Allemands. Si quelques altercations verbales entre élus sont parfois médiatisées, on ne peut pas parler de confrontation frontale.
La polarisation s’affiche plutôt dans les propositions de réformes face aux grands débats sociétaux et sociaux : la stratégie industrielle allemande, la politique fiscale ou encore les allocations. Et au premier rang de ceux-ci depuis l’année dernière, l’épineuse question de l’accueil des réfugiés. Sur ce terrain, la politique menée par la coalition-III de Merkel ne laisse que peu de place à une réponse de la gauche modérée, à tel point qu’elle est supportée par certains des alliés historiques du SPD.
Lors du Congrès annuel de la CDU, elle a affirmé cette année « nous sommes le centre » et n’hésite pas à mettre en place des réformes inspirées du SPD, quitte à devoir faire le grand écart entre la droite bavaroise fort influente dans la coalition et sa politique migratoire. La marge de manœuvre du SPD est limitée, et son président actuel, le vice-chancelier et ministre fédéral de l’Economie Sigmar Gabriel, se contente de demander plus d’égalité sociale entre le traitement des réfugiés et des foyers modestes allemands. Toujours au Congrès annuel de la CDU, Angela Merkel s’est même permis d’ironiser à son sujet, en estimant que ses propos le dévalorisaient.
Un parti traditionnel bousculé par la reconfiguration du paysage politique allemand
En prenant un peu de hauteur, la crise du SPD ne fait pas exception et est un reflet simplement plus accru de l’évolution à l’œuvre dans le paysage politique allemand. Après des décennies de gouvernance par les grands partis centraux fédérateurs, en Allemagne comme ailleurs en Europe, le nouvel éparpillement des voix et la montée des partis extrêmes changent la donne et bousculent les stratégies des partis traditionnels. Si la CDU parvient encore à faire le grand écart et à fédérer les différents courants qui la composent, le SPD en est la première victime mais certainement pas la dernière.
Carole Poisson