La date fixée pour le 23 juin, la campagne pour le referendum sur l’adhésion britannique à l’UE a officiellement commencé, ainsi qu’un jeu de positionnement et marchandage politique.
Après 48 heures au cours desquelles David Cameron n’en aurait dormi que trois (dernier record en date à Bruxelles depuis l’édition 2015 de « préfixe + exit »), les 28 chefs d’Etat et de gouvernement se sont mis d’accord vendredi dernier sur les termes de re-négociation de l’adhésion du Royaume-Uni à l’Union européenne. Vous pouvez lire des discussions de cette renégociation partout dans la presse européenne. Entre Le Figaro qui annonce « le baiser de la mort » que Londres aurait fait à Bruxelles, et La Repubblica qui nous relaie que l’accord était trouvé autour d’un bon repas, il ne manque pas d’interprétations des évènements.
Mais que se passe-t-il au Royaume-Uni maintenant que l’accord a été trouvé avec « le Continent » ? Quelles conséquences pour l’avenir politique de ce pays ? Et pourquoi s’intéresse-t-on autant aux caprices de Boris Johnson ?
D’abord, corrigeons quelque chose : la question du referendum. Contrairement à ce que laisseraient penser certains journaux français, on ne demandera pas au public britannique s’il veut d’un Brexit ou non. La question a précisement fait l’objet d’une enquête indépendante qui a produit une question jugée neutre (ainsi qu’un rapport de 56 pages expliquant la décision). Celle-ci sera donc : Should the United Kingdom remain a member of the European Union or leave the European Union? [Le Royaume-Uni doit-il rester membre de l’Union européenne ou quitter l’Union européenne ?]. Ainsi il serait correct de parler de in ou out plutôt que yes ou no.
Comment la question de referendum divise-t-elle le paysage politique ? Après une brève hésitation (principalement en réaction à la tournure dite néolibérale qu’a pris l’UE), le parti travailliste s’est déclaré officiellement pour le camp in. Par contre, le parti conservateur de Cameron reste officiellement neutre, ce qui permet à ses députés et surtout aux membres du cabinet de choisir leur camp librement sans peur de sanction. La portée de cet état de choses est très conséquente.
Premièrement, Cameron n’a pas le soutien de son gouvernement. Jusqu’ici, six membres du cabinet se sont déclarés partisans du camp out, les plus importants étant Michael Gove (ministre de la Justice), Iain Duncan Smith (ministre du Travail et des Pensions) et Chris Grayling (leader de la Chambre de communes). Il est vrai que les trois postes de gouvernement traditionnellement les plus puissants autres que le premier ministre, à savoir le Chancelier de l’Echiquier (George Osbourne), la ministre de l’Intérieur (Theresa May) et le ministre des Affaires étrangères (Phillip Hammond), se sont déclarés pour le camp in. Mais le gouvernement est quand même divisé sur ce sujet qui va dominer le paysage politique pour les quatre prochains mois, et potentiellement bien au-delà du 23 juin. Les arguments acérés entre les deux côtés vont sûrement influencer la relation entre les ministres au sein du cabinet et donc impacter sur le fonctionnement du gouvernement. Ainsi cette division pose un réel défi pour la capacité de gouverner à l’avenir.
D’autant plus que beaucoup perçoivent les divisions autour du référendum comme la première bataille de succession pour le leadership au sein du parti conservateur. Ceci est très important pour l’avenir du pays : Cameron a déjà déclaré qu’il ne se présentera pas aux prochains législatives en 2020, et le parti travailliste est considéré comme affaibli sous la direction actuelle de Jeremy Corbyn. Celle ou celui qui se positionnera stratégiquement sur cette question aurait ainsi une forte possibilité de devenir premier ministre en 2020. D’autant plus qu’il est bien plausible qu’un résultat de ‘leave’ en juin pourrait rendre intenable la position de Cameron et entraîner sa démission, même s’il a déjà déclaré qu’il restera peu importe le résultat. Un ministre de l’opposition a déjà conseillé à Corbyn de se préparer pour une élection surprise.
D’où la frénésie médiatique autour de la déclaration de Boris Johnson pour le camp out, dimanche matin (comme il n’y avait pas déjà suffisamment d’excentricité chez les Brexiters). Maire de Londres depuis 2008, il a été avec constance le politicien le plus populaire au Royaume-Uni depuis une dizaine d’années. Johnson a réussi à contourner et à profiter de son milieu très privilégié (Eton / Oxford / descendant de la monarchie) pour se présenter comme un aristo charmant qui fait le bouffon, telle une caricature directement sortie d’un film de Richard Curtis. C’est l’homme qui, en présidant sur le transfert de la torche olympique de la Chine au Royaume-Uni en 2008, a déclaré que « Ping-pong is coming home ». Mais cette façade comique cache de moins en moins l’ambition politique. Il s’est notamment présenté (et a été élu) en tant que député en 2015, après avoir démissionné en 2008 suite à son élection comme maire de Londres. Or la coutume prévoit qu’il faut être député pour être premier ministre.
Boris Johnson est-il vraiment contre l’adhésion du Royaume-Uni à l’UE ? Des commentateurs politiques ont rapidement observé que Boris a fait cette décision pour Boris. En se déclarant pour le out, Johnson se positionne pour prendre l’avantage en vue d’une éventuelle sortie du premier ministre en cas de Brexit.
Le cas contraire, sa stratégie s’avère également payante. Puisqu’en se ralliant aux eurosceptiques, il aurait mis dans sa poche une importante partie des backbenchers et des membres de base du parti conservateur…qui sélectionneront le nouveau leader.
D’où vient une perspective peu probable mais bien plausible d’un homme à cheveux blonds peroxydés au pouvoir aux deux côtés de l’Atlantique avant la fin de l’année…
Matthew Jones