Le 4 octobre dernier, la coalition de droite des partis sociaux-démocrates (PSD et CDS), menée par le Premier ministre et le vice Premier-ministre, Pedro Passos Coelho et Paulo Portas, a remporté les élections législatives avec près de 40% des voix. Une prouesse selon les analystes, cependant la coalition sortante a échoué à conserver la majorité absolue au Parlement obtenue quatre ans auparavant.
Les partis de la gauche portugaise, représentée par le Parti Socialiste, le Bloc de Gauche et le Parti Communiste, ont renversé la coalition du Premier ministre sortant, Passos Coelho, le 10 novembre après une motion de censure approuvée par 123 députés. Antonio Costa, chef de file de la gauche, se disait prêt à un mettre un terme à l’austérité, présentée par l’ancien exécutif comme nécessaire pour redresser les comptes du pays après l’intervention du Fonds Monétaire International en 2011. C’était un événement totalement inattendu et inédit depuis la proclamation de la République suite à la révolution des Oeillets en 1974.
On estimait que la nouvelle coalition des partis de la gauche n’arriverait pas à mener à terme le mandat de quatre ans face à la dépendance d’une union consolidée pour gouverner. Le Parti Socialiste a formé un nouvel exécutif, seul, le 26 novembre 2015, sans ouvrir à des représentants des autres partis composant l’union des partis de gauche contrairement à ce qu’on a pu voir en France, par exemple lors de la nomination du gouvernement par le président socialiste François Hollande en 2012. En effet, le Bloc de Gauche et le Parti Communiste ont choisi de ne pas participer au gouvernement, laissant planer le doute quant à leur responsabilité si les attentes des portugais n’étaient pas satisfaites. Serait-ce de l’hypocrisie politique de la part de ces partis qui s’accordent une porte de sortie en cas d’échec et font preuve de maitrise du jeu politique en gardant une certaine neutralité, utile lors de futures élections?
La vérité est que, après plus de trois mois à la tête du gouvernement, Antonio Costa, secrétaire général du Parti Socialiste et actuel Premier ministre a su garantir la stabilité politique dans le pays avec l’appui de ses partenaires politiques malgré les spéculateurs qui lui prévoyaient un mandat très court. Marques Mendes, commentateur politique et ancien leader du parti Social Démocrate, soutenait quant à lui que la coalition serait capable de durer plus longtemps que prévu étant donnée l’incapacité de la droite à se défaire du passé et la manière avec laquelle elle a été désavouée, pour se concentrer sur son nouveau rôle de force de l’opposition.
Le risque d’éclatement politique est toujours réel, le pays semble vivre constamment dans une période de campagne électorale qui ne bénéficie pas à l’image du gouvernement et du pays tant au niveau national que vis à vis des partenaires internationaux. Certains craignent la paralysie totale du pays ou la reproduction de la crise grecque au Portugal si les partenaires de la gauche laissent tomber l’exécutif d’Antonio Costa. Il subsiste toujours des différends entre les trois partis de gauche qui laissent planer le doute d’une rupture. Le vote du budget, par exemple, reflète leurs difficultés à se mettre d’accord. Il a été approuvé au Parlement par les députés socialistes et leurs alliés après des négociations tendues entre les différents partenaires. Antonio Costa et ses ministres savaient à quel point il était nécessaire d’obtenir le soutien du Bloc de Gauche et du Parti Communiste pour assurer le maintien en exercice du gouvernement. Néanmoins, Bruxelles s’est imposé et a exigé des remaniements avec un plan alternatif. Le frein de l’Union Européenne a motivé le mécontentement des bloquistes et communistes. La Commission Européenne n’a finalement pas pris le risque de rejeter le budget portugais pour l’année 2016, même si elle estime que le projet de loi de finances « risque de ne pas être compatible avec les obligations budgétaires ». Le rejet aurait obligé le gouvernement à remodeler entièrement son budget et à repenser les dépenses publiques. De plus, la DBRS, l’unique agence de notation qui place le Portugal dans la catégorie « investissement » serait en mesure de dégrader la note du pays. Ceci serait catastrophique puisque la Banque Centrale Européenne verrait le Portugal exclu de sa politique de rachat de la dette souveraine et le pays ne pourrait plus se financer sur le marché.
Alors que les élections législatives ont été marquées par la victoire puis la chute de la coalition minoritaire de droite, les élections présidentielles de janvier 2016 ont abouti à la victoire au premier tour du professeur Marcelo Rebelo de Sousa, représentant de cette même coalition déchue du gouvernement deux mois auparavant. Malgré son affiliation politique, il a mené une campagne basée sur le compromis pour l’avenir. Il a soutenu vouloir primer « l’affection, la proximité, la simplicité et la stabilité » lors de son quinquennat, au service des portugais et de la nation. Or, il a expliqué aussi qu’en réalité l’état du pays dépendrait de la stabilité politique future. Il s’est dit ouvert au dialogue avec les différents partenaires politiques, sociaux et économiques. Le 9 mars, le nouveau président entrera en fonctions et il aura dès lors un rôle crucial pour assurer la continuité ou non du gouvernement socialiste, disposant du pouvoir de dissoudre le Parlement, outil dont l’utilisation semble jusqu’aujourd’hui impensable compte tenu de la probable cacophonie qui règnerait sur les marchés.
Qu’arriverait-il en cas de désaccord ou de rupture entre le Parti Socialiste, le Bloc de Gauche et le Parti Communiste ? Il semble qu’Antonio Costa n’a pas beaucoup de marge de manœuvre si les socialistes sont confrontés à une situation de crise politique. Une entente est nécessaire pour conserver la majorité au Parlement, et pour cela, le premier ministre et ancien maire de la capitale lisboète devra former un nouveau gouvernement avec un des deux partis politiques. Si cela s’avère impossible, le scénario le plus probable serait la convocation de nouvelles élections par le Président de la République. Il reste à savoir si dans ce cas, une majorité claire parviendrait à s’exprimer au Parlement pour permettre à un exécutif de gouverner avec stabilité. De nombreux politistes prédisent que nous assistons au début d’une spirale d’instabilité, qui pourrait aboutir à une crise politique, engendrée par la crise économique et sociale que rencontre actuellement le pays. Après la Grèce, c’est au tour du Portugal et de son voisin, l’Espagne, d’être au cœur d’un marasme politico-financier, dont l’issue est encore incertaine.
Par Joao Lobo