Du 24 au 28 mai 2016, une délégation “Eurosorbonne” de neuf étudiants de l’Institut d’études européennes a participé au PIMUN (Paris International Model United Nations).
Un MUN est une simulation des Nations Unies, au cours de laquelle chaque étudiant se met dans la peau d’un delegate (délégué). Ce dernier a le rôle d’un diplomate qui représente et défend les intérêts d’un pays au sein d’un comité et à propos d’un sujet en particulier. Les delegates ne peuvent pas représenter l’État dont ils sont originaires, ce qui les oblige à étudier le pays qui leur est attribué pour comprendre sa politique diplomatique, son économie, et sa place sur la scène internationale. Si le PIMUN 2016 n’a rassemblé que 400 étudiants cette année, soit la moitié des effectifs des éditions précédentes, il reste l’un des MUN les plus importants d’Europe.
Au sein de la délégation “Eurosorbonne”, nous étions quatre à rejoindre le comité de l’Organisation Internationale de la Francophonie, une institution qui promeut la langue française et les valeurs de la francophonie telles que les Droits de l’Homme, la démocratie, la paix… La langue française ne doit pas forcément être la première langue parlée dans les pays membres, ni même être une langue officielle. Ainsi, nous représentions la Bulgarie, la Roumanie, la Grèce et le Rwanda. Durant trois jours de négociation, nous devions élaborer des résolutions (des textes de loi) sur deux sujets : la contribution de l’OIF à la coopération et l’action civilo-militaire dans la reconstruction de la paix, et la création d’une académie de la francophonie.
Des automatismes procéduraux à acquérir
Les débats sont encadrés par des Chairs, un-e président-e et un-e vice président-e qui veillent à ce que la procédure soit respectée. Un débat général sur la question est lancé. Les pays (comprendre : les délégués) qui le souhaitent peuvent s’ajouter à la liste du débat pour faire des déclarations générales sur le sujet ou émettre des propositions à inclure dans la résolution. Régulièrement, les Chairs demandent si un pays veut lancer un débat sur un sujet en particulier. Les délégués peuvent alors demander une motion de débat informel (tous les délégués peuvent discuter ensemble d’un sujet, sans encadrement, durant un temps précis), ou de débat formel, encadré par les Chairs (la durée du débat et le temps de parole alloué à chaque délégué doit alors être précisé par le pays à l’initiative de la motion). Les autres pays votent à la majorité simple (50%) pour ou contre l’instauration de ce temps de débat particulier.
Le but de ces échanges est de proposer des initiatives, des projets dans l’intérêt de son pays, en parvenant à rallier à sa cause les autres pays. Les délégués échangent pour cela des notes diplomatiques, négocient et trouvent (ou non) des compromis pour contenter le plus de monde possible et obtenir des soutiens. Un projet de résolution peut être déposé, quand il a un parrain (un pays qui le défend et sera obligé de voter pour ce projet de loi) et au moins cinq signataires (des pays qui ont donné leur voix pour que ce texte puisse être discuté). Les Chairs corrigent le texte, demandent de préciser ou de développer des points, puis il est lu à l’Assemblée qui peut alors élaborer des amendements : des propositions de suppression, de modification ou d’ajout au texte. Ces amendements doivent avoir un nombre de soutiens minimum pour être adoptés ou pour être votés. Une fois tous les amendements passés, le texte est soumis au vote de l’Assemblée. La majorité aux deux tiers est requise pour que le texte soit adopté.
Si les procédures paraissent au départ extrêmement compliquées et rebutent quelque peu les novices comme nous, elles deviennent rapidement des automatismes, et la compréhension du système de débat et de vote est très enthousiasmante. Les délégués, qui ne parlent jamais en leur nom propre mais au nom de leur pays (l’utilisation du “je” est ainsi exclue et même punie dans certains comités), se prennent au jeu des négociations. La recherche de projets originaux est grisante, on en oublie même que l’on est dans une simulation, c’est-à-dire une grande pièce de théâtre d’improvisation et que rien de ce que l’on ne préparera ne sortira des cartons du PIMUN et de nos ordinateurs (seul le comité de l’Unesco voit sa résolution présentée aux Nations Unies). L’expérience est unique : durant des semaines (voire des mois si l’on est bien préparé), on se plonge dans la diplomatie d’un pays qui nous est inconnu (bien souvent donné au hasard), on tente de comprendre les mécanismes politiques de ce pays, on s’immerge dans l’histoire d’une région.
Se défaire de ses propres représentations
Pour ma part, j’ai représenté le Rwanda au sein de l’OIF. Il était difficile de défendre la francophonie, tant ce petit pays d’Afrique de l’Est est en rupture avec ses anciens colons belges et français et ouvert sur le Commonwealth, dont il est membre depuis 2009. J’ai pourtant essayé de trouver un angle d’approche avec le panafricanisme, la valorisation des pays du Sud, la lutte contre le néocolonialisme et la suprématie occidentale, des combats très virulents que le Rwanda mène avec force provocations et menaces à l’encontre des pays occidentaux. J’ai cherché ce que le Rwanda acceptait de la part de l’OIF et plus généralement des organisations internationales, c’est-à-dire peu de choses, et de garder cette ligne de non-ingérence tout au long des débats. Je n’ai pas toujours réussi à me défaire de mes propres valeurs et représentations, qui sont celles d’une jeune femme française de la classe moyenne, bien loin donc, du quotidien des Rwandais. Je sais que pour mes confrères de la délégation “Eurosorbonne”, les difficultés, qu’ils ont surmontées, ont été les mêmes : comment se défaire de ce que l’on ressent, de ce que l’on pense être bon pour un pays, et prôner une gouvernance que l’on ne connaît pas et que l’on ne juge pas forcément bonne ?
Ceux qui ne jouent pas le jeu
Mon plus grand regret, et le reproche le plus fort que je pourrais faire aux participants du PIMUN est de ne parfois pas essayer du tout de se défaire de leurs représentations. Il semble que certains participants ne cherchent pas vraiment à suivre la ligne du pays qui leur a été assigné. Manque de documentation, incompréhension des consignes, manque de volonté de leur part ou influence des affinités sur les prises de décisions ? J’ignore ce qui a pu pousser les délégués à ignorer la politique de leur pays, mais cela a été d’autant plus marquant lors du débat de l’assemblée plénière, le dernier jour. À cette occasion, tous les étudiants qui le souhaitent se rassemblent (cette année, au palais de l’Iéna), de nouveaux pays leur sont assignés la veille du débat et un seul thème est proposé. J’ai été chargée de représenter le Royaume-Uni, dans un débat très sensible : l’adhésion ou non de la Palestine aux Nations Unies en tant que membre permanent. Anxieuse à l’idée de trahir la politique britannique, je me suis documentée et n’ai fait qu’une courte allocution. Mais nombre de délégués ont fait fi des véritables relations internationales pour exprimer leur propre opinion : soudainement, la Chine et l’Inde, alliés forts d’Israël, accusent le pays de colonialisme et prennent le parti du Hamas. Sans prévenir, l’Iran prend la défense de son ennemi héréditaire, tandis que des pays européens proches d’Israël s’expriment en des termes très peu diplomatiques. Devant ce déferlement d’opinions personnelles et ces prises de positions marquées, je n’ai pas souhaité reprendre la parole, de crainte que tout ce que je dise ne soit interprété comme ma pensée propre.
En définitive, je recommande à tous les étudiants qui s’intéressent de près ou de loin aux relations internationales et à la politique étrangère de participer à un MUN. Durant plusieurs jours, vous vous prendrez au jeu, défendrez vos positions, et surtout, apprendrez à regarder avec un oeil neuf une histoire et une identité qui ne sont pas les vôtres. Cela sera toujours utile, dans toute négociation, pour se mettre à la place de la personne en face de vous. Vous découvrirez les procédures des Nations Unies, en apprendrez plus sur le fonctionnement des institutions internationales, vous devrez vous entendre avec des inconnus dont les intérêts rejoignent les vôtres. Et vous vous amuserez aussi, le staff du PIMUN et les Chairs ayant conscience que de longues journées de négociations seraient trop éprouvantes sans des moments de convivialité et de détente. Je vous invite seulement à jouer le jeu le mieux possible : oubliez ce que vous pensez, taisez vos positions, n’accordez que peu de crédit à vos combats quotidiens. C’est difficile, parfois frustrant, mais au bout de quatre jours et de trois nuits beaucoup trop courtes (passées à faire la fête ou à préparer des résolutions, c’est votre choix), vous prendrez conscience du caractère enrichissant de cet abandon de soi.
Elena BLUM
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