Mercredi 13 juillet, une femme a fait son entrée au 10, Downing Street. Theresa May, ministre de l’Intérieur depuis 2010, est officiellement la nouvelle Première ministre du Royaume-Uni.
Theresa May venait de prononcer son discours d’ouverture pour la campagne des conservateurs, lundi 11 juillet, quand sa concurrente, Andrea Leadsom, a jeté l’éponge. Leadsom, ministre d’Etat de l’Energie, s’était décrédibilisée en affirmant être plus à même de diriger un pays parce qu’elle avait des enfants, contrairement à May. Une pique personnelle qui n’est pas passée, alors même que la ministre de l’Intérieur s’engageait à mener une campagne propre, professionnelle et respectueuse.
Après la débandade des leaders du leave, la nouvelle Première ministre non élue, opposée au Brexit, aura pour mission de faire sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne, jugée trop peu démocratique par les Britanniques… car ses dirigeants ne sont pas systématiquement élus. La situation ne manque pas de piquant. La nouvelle cheffe de gouvernement non plus, à en juger par son attitude sérieuse, sévère, incisive, même envers son propre parti. Intransigeante sur le travail, bénéficiant d’une solide expérience, impressionnante et considérée comme “difficile” par les conservateurs comme les travaillistes, elle est toutefois jugée trop austère pour les tabloïds qui ne trouvent pas vraiment de quoi se mettre sous la dent.
Une goody two shoes à la force de travail exemplaire
Si sa force de travail est louée de tous, May ne brille pas par son charisme : très peu d’éléments de sa vie privée ressortent des rares entretiens qu’elle accorde à la presse. Fille d’un pasteur anglican, venant d’un milieu modeste, politisée dès l’âge de 12 ans, elle a étudié la géographie à Oxford, où elle a rencontré son mari. Pour adoucir son image, la conservatrice a donné des photos de son enfance et de son mariage à la presse, et a succombé aux sirènes des réseaux sociaux, qu’elle a longtemps évités, les considérant comme une perte de temps.
Élue municipale en 1986, elle échoue deux fois aux législatives avant d’être élue députée en 1997, puis d’être désignée ministre de l’Intérieur par Cameron en 2010, et reconduite en 2015. Un parcours exemplaire mais sans aspérité, ou presque. Celle qui admet avoir été une goody two shoes toute sa vie (un modèle de vertue, une personne à la morale et à la pudeur intacte) a fait parler d’elle en 2002 pour un discours cinglant envers les Tories, et son parti qu’elle a qualifié de “Nasty party” (Méchant, vilain parti), et en reprochant aux élus de ne s’être jamais adaptés aux demandes des citoyens, d’être restés de marbre devant l’alternance politique et d’avoir gardé la ligne politique de Thatcher. À l’occasion de ce discours qui marquera les esprits des conservateurs, May s’était affublée d’une paire d’escarpins à motifs léopard, les premiers d’une longue série de souliers fantaisistes, son unique excentricité. Contre toute attente, l’austère politicienne parle volontiers de sa garde robe, et parfois avec humour. Ainsi, quand en 2013, elle porte le même tailleur Vivienne Westwood qu’une top model, le Daily Mail s’interroge : “Theresa May est-elle la nouvelle Cara Delavingne ?”, May s’en amuse et répond : “Pour ceux qui ne la connaissent pas, elle a 21 ans, c’est une top model, et l’une des plus belles au monde. Aussi je crois qu’on peut raisonnablement dire que la réponse [à cette question] est : non.”
Une fausse “nouvelle Thatcher”
Dans un monde où testostérone et pouvoir sont intrinsèquement mêlés, Theresa May est très souvent comparée à Margaret Thatcher, avec qui elle ne partage pourtant que deux choses : son genre et son parti. Elle se rapproche en revanche d’Angela Merkel, qu’elle admire et dont elle partage la vision conservatrice, libérale et non idéologique. Bien moins à droite que la Dame de Fer, elle a voté en faveur du mariage homosexuel (mais s’est opposée deux fois au droit à l’adoption par un couple de même sexe), et se présente comme féministe : elle a affirmé qu’il fallait permettre aux femmes d’avoir autant d’opportunités et un salaire aussi élevé que les hommes. Elle a pourtant suggéré de réduire le délai durant lequel les femmes ont le droit d’avorter, et a refusé de libérer des femmes enceintes, demandeuses d’asiles, victimes de mauvais traitements en maison de détention.
Son discours social porte avant tout sur le bien-être des Britanniques : elle souhaite réduire les inégalités (“mettre entièrement le parti conservateur au service des gens ordinaires” affirmait-elle dans son discours, le 11 juillet) et réduire l’immigration, pour favoriser les Britanniques. Elle avait rencontré son homologue français, Bernard Cazeneuve, à Calais, en 2015, et lui avait donné des directives strictes pour endiguer le flux de migrants clandestins qui tentaient de rallier l’Angleterre. La France avait alors été critiquée, considérée comme le “bras armé et sécuritaire de la Grande Bretagne.”
Le programme de May prévoit de réduire les dépenses de base de la population (le coût de l’énergie, par exemple, dramatiquement élevé pour les franges les plus modestes de la population), de lutter contre les manoeuvres fiscales, de limiter les salaires des dirigeants… Alors que les Britanniques ont troqué une élite européenne déconnectée des réalités contre l’élite de Buckingham, tout à fait étrangère, elle aussi, aux problèmes et besoins de la population, Theresa May se présente comme une fédératrice au service du peuple et de la souveraineté britannique.
“Le Royaume Uni est plus sûr et plus prospère DANS l’Union européenne”
Si Theresa May n’est pas franchement convaincue par l’Union européenne, elle est restée fidèle à la ligne de David Cameron et s’est exprimée longuement en avril, pour convaincre de l’utilité pour le Royaume-Uni de rester au sein des institutions européennes. Selon elle, l’abandon contrôlé d’une partie de la souveraineté britannique permettrait de prévenir la société d’une perte incontrolée de souveraineté, due à une crise majeure telle qu’une guerre, un effondrement financier ou le développement d’une criminalité internationale.
Mais les arguments avancés en faveur d’un remain étaient surtout pragmatiques : quel que soit le sujet, Theresa May voyait en l’Europe une possibilité pour le Royaume-Uni de se renforcer. Le volet sécuritaire ? Une possibilité pour la Grande-Bretagne d’expulser des personnes considérées comme dangereuses, comme elle l’a fait en 2013 avec un prédicateur radical, l’une de ses grandes victoires. L’économie ? Elle invite alors les Britanniques à suivre les conseils des partisans du leave en développant le commerce international, mais ne voit pas pourquoi l’on se priverait de juteuses exportations européennes. La politique ? Non à une politique européenne contraignante, mais surtout, non à un possible nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse ! May souhaite préserver cette “union beaucoup plus vieille et plus précieuse”. Et pourquoi quitter l’Union européenne alors que le Royaume-Uni exerce une influence sur les 27 autres pays, et surtout sur les petits pays libéraux, faisant un contrepoids politique aux partisans du protectionnisme ? La position de leader des Britanniques aurait pu selon elle infléchir la politique de l’Europe : moins d’intégration, revoir la PAC, revoir la Politique commune de pêche, revenir sur la libre circulation, empêcher l’élargissement européen, en particulier vers des pays qu’elle considère comme risqués pour la sécurité de l’Europe (à la frontière de l’Irak, de la Syrie, de l’Iran..), favoriser le développement du marché commun sur plus de plans… Néanmoins, Theresa May n’a jamais considéré que le Royaume Uni puisse être mis en danger par un Brexit. Nous restons ? Tant mieux, nous partons ? Tant pis.
C’est à elle aujourd’hui qu’il reviendra de négocier le Brexit. Et Theresa May a été claire : la sortie aura bien lieu. “Brexit signifie Brexit, a-t-elle insisté lundi 11. Il y a des politiciens démocratiquement élus qui ont suggéré que le gouvernement devrait trouver un moyen d’ignorer les résultats du référendum. Il n’y aura pas de tentative de rester dans l’UE, d’y revenir ou de faire un second référendum.” Mais le rôle que la nouvelle résidente de Downing Street doit endosser est complexe : alors qu’une très courte majorité de Britanniques a voté pour quitter l’Union européenne, May sera à l’origine d’une rupture sévère avec une grande partie de la population, et probablement avec l’Ecosse, qui pourrait prendre son indépendance en l’absence de négociations avantageuses. Renforcer le lien avec les États-Unis, avec les vieux amis du Commonwealth, se montrer intransigeante dans les négociations avec les 27 de l’UE, qui ne semblent pas franchement enclins aux compromis, tout en conservant une cohésion sociale nationale… même dans un tailleurs Westwood, les épaules de la nouvelle cheffe du gouvernement seront-elles assez larges ?
Elena BLUM
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