Officiellement reconnue comme pays candidat à l’Union européenne en 1999, l’adhésion de la Turquie reste toujours en suspens, notamment à cause de la non reconnaissance de la République de Chypre et la fragilité de l’Etat de droit. La tentative de coup d’Etat en juillet dernier n’a pas aidé au processus d’adhésion, et celui-ci est d’autant plus remis en question ces derniers jours par l’Union européenne condamnant l’autoritarisme et la fermeté de Recep Tayyip Erdogan, l’actuel président de la Turquie.
Le 24 novembre dernier, le Parlement européen a voté une résolution demandant le gel des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Les députés ont dénoncé la répression en cours depuis le coup d’Etat avorté de juillet 2016 par l’actuel dirigeant Recep Tayyip Erdogan, ce qui n’est pas sans conséquences au niveau des institutions européennes.
Un putsch avorté, une épuration lancée
Dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, une tentative de coup d’Etat a eu lieu principalement dans les villes d’Ankara et d’Istanbul. Cette démarche a été commanditée par une faction des Forces armées turques, que le gouvernement accuse d’être liée à Fethullah Gülen. Cet intellectuel musulman turc, qui habite aux Etats-Unis, est surtout connu pour son islam moderne et ses idées souhaitant une Turquie à la fois démocratique, moderne et traditionnelle. Finalement, ce coup d’Etat s’est conclu par un échec, et un bilan officiel proche des 300 morts.
A partir de là, les autorités turques entreprennent une série d’arrestations et de renvois forcés. Parmi les personnes touchées, on retrouve des militaires ou des gendarmes forcés de rejoindre les Forces armées ; mais également des professeurs d’école et d’université, ou encore des médecins qui sont limogés. Le secteur privé n’en est pas moins épargné. Au total, plus de 35 000 personnes ont été arrêtées en Turquie. Le gouvernement s’en est également pris à de nombreuses personnalités politiques de l’opposition.
« Nous savons que l’Etat n’a pas encore été entièrement nettoyé de ces renégats » a déclaré le chef du gouvernement turc Recep Tayyip Erdogan, cité par le quotidien l’Express, le 22 novembre pour justifier ces décisions.
Cette épuration « nécessaire » selon Ankara suscite l’inquiétude de l’Union européenne mais pas seulement : les partenaires occidentaux de la Turquie condamnent la tournure autoritaire du régime d’Erdogan. En effet, l’état d’urgence instauré à la suite du putsch ne serait qu’un prétexte pour réprimer toute personne suspecte et dissidente.
Vers une adhésion prochaine de la Turquie à l’UE ?
Depuis le mois de juillet, la répression n’en finit plus et met donc en péril l’Etat de droit en Turquie. Bruxelles n’hésite pas à dénoncer la dérive autoritaire et les atteintes aux droits de l’Homme que met en place le gouvernement d’Erdogan.
Sa défiance vis-à-vis de l’Union européenne s’est davantage accentuée ces derniers mois : il avait même affirmé être très confiant quant au rétablissement de la peine de mort et avait ajouté ne pas tenir compte des réactions des institutions européennes si le Parlement turc ratifiait la proposition. En effet, il affirme que ces reproches envers lui et son gouvernement n’ont pas lieu d’être dans la mesure où celui-ci agit pour le bien de son pays.
Mais ce n’est pas tout : l’arrestation de journalistes avait suscité une grande inquiétude du côté de Bruxelles. Les institutions européennes n’avaient pas hésité à mettre en garde la Turquie en précisant qu’elle était en train de franchir des lignes rouges, et que cela risquerait de mettre en péril une quelconque adhésion.
The detention of Murat Sabuncu and other #Cumhuriyet journalists is yet another red-line crossed against freedom of expression in #Turkey
— Martin Schulz (@MartinSchulz) 31 octobre 2016
(La détention de Murat Sabuncu et d’autres journalistes de #Cumhuriyet est une ligne rouge contre la liberté d’expression franchie en #Turquie)
Cette défiance à l’Union européenne n’est pas sans conséquence puisque le 24 novembre, le Parlement européen a voté à une très large majorité une résolution demandant le gel des négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE.
La réponse d’Erdogan ne se fait pas attendre : il menace d’ouvrir les frontières pour laisser passer les migrants souhaitant se rendre en Europe. « Ecoutez-moi bien. Si vous allez plus loin, ces frontières s’ouvriront, mettez-vous ça dans la tête » disait-il d’un ton menaçant lors d’un discours officiel.
Contrairement au Parlement européen, le président de la Commission européen Jean-Claude Juncker affirme qu’il serait incorrect de suspendre les négociations sur l’adhésion de la Turquie. A l’inverse, il prône un rapprochement avec Ankara même si l’ouverture de nouveaux chapitres de négociations n’est pas mentionnée. Actuellement, 16 des 35 chapitres de négociations sont ouverts, et seul le chapitre « Science et recherche » est partiellement clos.
Suite à ces tensions avec l’Union européenne, le président turc avait même évoqué un référendum pour la poursuite ou non des négociations d’adhésion à l’UE, et un rapprochement possible avec la Chine et la Russie au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).
Cet éloignement vis-à-vis de l’Union européenne ne serait pas sans conséquence puisque l’UE se trouve dans une position délicate concernant la crise des migrants. Elle a tout intérêt à garder de bonnes relations avec la Turquie dans l’éventuelle possibilité de sortie de crise, qui ne pourrait se faire sans la collaboration avec la Turquie.
Crédit photo : Reuters/ François Lenoir
Stefi Kurera