La Suisse, partenaire commercial majeur de l’UE, s’interroge sur la suite à donner aux accords de libre circulation. Et s’intéresse de près aux négociations du Brexit pour étudier les alternatives.
Mardi 17 janvier, en déclarant « le Brexit doit signifier que nous contrôlons le nombre de personnes qui viennent au Royaume-Uni depuis l’Europe », la première ministre du Royaume-Uni, Theresa May annonçait un Brexit « dur ». Chez les Suisses, où l’insatisfaction liée à l’immigration massive gronde, ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Historiquement attachée à son statut d’indépendance et de neutralité, la Suisse a signé de nombreux accords économiques et politiques avec l’UE, et gardera un œil attentif sur les négociations du Brexit. Stratégiquement, il s’agit pour elle d’adapter son futur discours pour de futures négociations avec l’UE. Attentistes, les helvètes ?
Le tissu d’accords signés entre la Suisse et l’UE
Les liens entre la Suisse, forte d’une localisation on ne peut plus centrale dans le continent européen (elle partage 98% de ses frontières avec des pays de l’UE), et l’Union européenne sont plus étroits qu’il n’y paraît. Depuis 1972, plusieurs accords bilatéraux sont venus renforcer la coopération entre les deux entités, avec toujours une approche graduelle, sectorielle et sur mesure. 1972 voit donc d’abord la signature des accords de libre échange, avec la suppression des droits de douane sur les produits industriels, qui jette les bases d’une coopération renforcée entre la Suisse et l’UE.
Près de 30 ans plus tard, cette coopération prend une nouvelle tournure : les 7 accords « Bilatéraux I », signés en 1999, complètent les accords de 1972 et ouvrent les marchés de la Suisse et de l’UE : grâce à la libre circulation des personnes (à condition de posséder un contrat de travail ou d’avoir des moyens financiers suffisants et une assurance maladie), la simplification de l’examen de conformité des produits échangés, et l’ouverture des marchés publics à la concurrence.
Les accords « Bilatéraux II », signés en 2004, vont venir dépasser le seul cadre de coopération avec de nouvelles mesures portant sur la sécurité, l’asile, l’environnement et la culture. Parmi ces accords bilatéraux, on trouve les accords Schengen/Dublin qui consacrent la levée des contrôles systématiques des personnes aux frontières, ainsi qu’une coopération policière et judiciaire renforcée. On trouve également la suppression des droits de douane pour de nombreux produits agroalimentaires ainsi que l’entrée de la Suisse comme membre de l’Agence Européenne pour l’Environnement (AEE).
Conséquence : un statut de partenaire économique privilégié
Grâce à cette série d’accords, la Suisse et l’Union européenne sont aujourd’hui deux partenaires économiques et commerciaux privilégiés. Quelques chiffres : deux tiers du commerce extérieur de la Suisse se fait avec l’UE ; la Suisse est la troisième destination des biens exportés derrière les Etats-Unis et la Chine ; fin 2015, 450 000 Helvètes travaillaient dans un pays membre de l’UE, et 1 363 000 citoyens de l’UE étaient domiciliés en Suisse. La libre circulation est une opportunité pour les entreprises suisses de recruter du personnel qualifié et d’en réduire la menace de pénurie de personnel dans un pays où l’offre de main d’œuvre est amenée à diminuer pour des raisons démographiques.
D’un côté comme de l’autre, cette étroite coopération est donc source d’un dynamisme économique certain. En décembre 2014, le Conseil de l’Union européenne a publié un rapport présentant ses conclusions concernant le marché unique élargi et les relations entre l’UE et les États européens non membres de l’UE. L’importance des relations helvético-européennes y est rappelée : « le resserrement des relations entre l’UE et la Suisse au cours des dernières décennies a contribué à la stabilité et à la prospérité en Europe ».
Une remise en question de la libre circulation ?
Malgré ce dynamisme, la crise migratoire que connaît l’Europe a fait surgir en Suisse des tensions relatives au flux d’immigration. L’initiative populaire suisse s’intitulant « Contre l’immigration de masse », lancée en février 2014, a mis en lumière des tensions relatives aux accords de libre circulation Suisse-UE. Si le Conseil de l’UE, dans son rapport précédemment cité, « a indiqué qu’il attendait de la Suisse qu’elle respecte les obligations qui lui incombent en application de l’accord sur la libre circulation des personnes », les clivages politiques ont émergé sur la suite à donner à la gestion de l’immigration, sans cependant que les positions partisanes ne soient clairement exprimées. Le projet d’un éventuel référendum à propos de l’immigration de masse est porté par une démarche individuelle car aucun des grands partis helvètes ne veut en prendre la responsabilité. En effet, le caractère constitutionnel des référendums en Suisse consacre avec une grande puissance la réussite ou l’échec de celui qui en est à l’initiative.
L’ouverture des négociations entre l’UE et le Royaume-Uni dans le cadre du Brexit donne ainsi une fenêtre d’observation intéressante aux négociateurs suisses, surtout pour ce qui est de la question migratoire. Ceux-ci ont donc tout intérêt à rester silencieux au moins jusqu’à la fin des négociations UE-Royaume-Uni pour prendre la température du degré de fermeté de l’UE et adopter dans le futur une position éclairée, sinon opportuniste.