Le gouvernement roumain, qui avait voulu faire passer mardi dernier un décret très favorable aux politiciens corrompus, a fini par céder devant la grogne populaire. Après quatre jours de manifestation d’une ampleur inédite en Roumanie, et de dénonciation forte de toute la classe politique européenne, le nouveau Premier ministre, Sorin Grindeanu, est revenu sur son projet. Mais cela n’a pas arrêté les Roumains qui, fatigués par la corruption qui gangrène leur pays, ont été plus de 500 000 à manifester dimanche.
Un demi-million de Roumains sont descendus dans la rue ces derniers jours pour protester contre un décret assouplissant les peines pour corruption. Pris mardi par le nouveau gouvernement social démocrate, ce décret serait favorable à de très nombreux politiciens, embourbés dans des affaires de malversation. Pourtant, lorsque le 30 décembre, le président de la République, Klaus Iohannis, a désigné Sorin Grindeanu, un social-démocrate, pour le poste de Premier ministre, la crise politique qui se profilait semblait être écartée. Depuis les élections législatives du 11 décembre, qui avaient vu l’emporté le Parti Social Démocrate (PSD), le futur du pays était incertain. Le Président devait désigner un Premier ministre proposé par le Parti gagnant, mais il a d’emblée déclaré refuser de nommer Liviu Dragnea, Président du PSD, car ce dernier avait été condamné pour fraude pénale. Un bras de fer s’est engagé entre le Président libéral et le PSD, jusqu’à ce que le poste soit confié à Sorin Grindeanu, 46 ans, ancien ministre et député, réputé proche de Liviu Dragnea et de Victor Ponta, l’ancien Premier ministre, lui-aussi mêlé à des affaires de corruption.
La corruption politique en Roumanie : le PSD au premier plan
Il est vrai que le Parti Social Démocrate est entaché de scandales de corruption. De très nombreux membres ont été condamnés, ou sont sous le coup d’enquêtes, soupçonnés de fraude fiscale ou électorale, de clientélisme, de malversations… Lorsqu’une affaire de corruption entraîne un incendie meurtrier dans une discothèque de Bucarest, en 2015, la population descend dans la rue, poussant le gouvernement corrompu à la démission. Le gouvernement alors en place et dirigé par Dacian Cioloș, ancien Commissaire européen à l’agriculture, tente de lutter contre la corruption, et organise des élections libres et transparentes. Si la Roumanie progresse, au vu des observatoires de la corruption, cela n’empêche pas les anciens partis de reprendre la main, après une campagne mensongère dans les zones rurales.
Un décret ouvrant la porte à une corruption débridée
Très vite, le nouveau gouvernement se met à l’oeuvre pour faciliter l’accès au pouvoir aux anciens corrompus. Le 18 janvier, Sorin Grindeanu tente de faire approuver deux ordonnances : l’abus de pouvoir ne serait pénalisé que s’il est dénoncé dans les six mois qui suivent l‘acte, et si le préjudice est supérieur à 44000 euros, une fortune en Roumanie. L’autre prévoit une amnistie pour tous les politiciens condamnés à moins de cinq ans de prison pour corruption, et à diviser par deux toutes les peines des plus de 60 ans. Une manoeuvre de Liviu Dragnea, condamné -comme par hasard- à deux ans de prison l’année dernière ? Le Président du PSD est accusé de manipuler son poulain pour mieux revenir ultérieurement.
Quoi qu’il en soit, cette amnistie a été empêchée par l’intervention de Klaus Iohannis, qui a fait irruption dans le Conseil des ministre, usant d’une prérogative présidentielle dont il n’avait alors jamais fait usage, et annonçant un référendum populaire sur la question des amnisties. Mais cela n’a pas arrêté les sociaux-démocrates, qui, le 31 janvier, adoptent une ordonnance qui n’était pas à l’ordre du jour, dépénalisant certaines formes de corruption et rend plus difficile l’application de sanctions.
Une réaction forte, et des intérêts cachés
La réaction ne se fait pas attendre : Klaus Iohannis a déclaré “c’est une journée de deuil pour l’Etat de droit”, tandis que le ministre pour le Milieu des Affaires, Florin jianu, dépose sa démission, affirmant ne pas vouloir assumer “devant ses enfants” un tel retour en arrière. La ministre déléguée au Dialogue social, Aurelia Cristea, décide quant à elle de quitter le Parti, qu’elle qualifie de “groupe criminel”. Près de 300 000 Roumains descendent dans la rue, dont au moins 100 000 à Bucarest, se rassemblant sur la place Victoriei, où se trouve le siège du gouvernement : la plus grande mobilisation depuis la chute de Ceausescu, il y a 27 ans. L’affaire scandalise de nombreux États, ainsi que l’Union européenne, qui met en garde le gouvernement roumain contre un “retour en arrière” qui pourrait ralentir les négociations d’intégration de la Roumanie.
Liviu Dragnea lui-même a pris le parti de dénoncer ce décret, se positionnant très stratégiquement du côté du peuple. Le 3 février, il a répondu à un journal roumain à propos de ce décret, a regretté le dégoût populaire et a déclaré qu’il serait préférable d’abroger le décret. Il a ensuite ajouté qu’il “verrait ce qu’il peut faire” avec Sorin Grindeanu, connu pour lui obéir au doigt et à l’oeil. Après avoir affirmé que le gouvernement avait pris sa décision et qu’il allait de l’avant, ce dernier a finalement accepté d’abroger la loi, après une quatrième journée de manifestation monstre. Cela n’a pas suffi à calmer le peuple roumain, qui se sent trahi par les personnes qu’il a porté au sommet de l’Etat. Mais après les mobilisations anti-corruption de 2015 et la démission du gouvernement social-démocrate, les éléphants du régime n’ont eu besoin que d’une année pour reprendre le pouvoir. La mobilisation populaire et les menaces internationales ont peut-être suffit à convaincre le gouvernement roumain de revenir sur ses décisions, mais le président du PSD est parvenu une fois de plus à se présenter comme l’homme de la situation. Un petit pas de plus vers la victoire ?
Elena Blum