Face à la gronde croissante des eurodéputés, le transfert du siège alsacien du Parlement européen est pour l’instant bloqué par un net refus français. Le combat des collectivités pour rendre Strasbourg plus attractive et conserver les nombreuses institutions qu’elle accueille sera-t-il suffisant ?
Le 16 février dernier, le Parlement européen adoptait le rapport du député libéral belge Guy Verhofstadt sur « les évolutions et adaptations possibles de la structure institutionnelle actuelle de l’Union européenne ». Ce texte aux accents résolument fédéralistes réclamait « un siège unique pour le Parlement européen » et exigeait que ce dernier « puisse décider de la fixation de son siège et de son organisation interne » (point 53). Deux mois et demi plus tôt, le 1er décembre 2016, le projet de budget de l’UE pour l’exercice 2017 était adopté par le Parlement européen lors d’une « mini-session » dans son hémicycle de… Bruxelles.
Il n’en fallait pas plus pour déclencher un nouvel épisode dans le (long) débat sur la localisation du Parlement européen. La France ripostait en effet en introduisant le 10 février dernier un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne pour non-respect des traités tandis qu’une semaine plus tard, le Premier ministre Bernard Cazeneuve, en visite à Strasbourg, voulait « conforter le statut de capitale européenne » de la ville.
Depuis le début de la construction européenne, la métropole alsacienne a en effet accueilli le siège d’un grand nombre d’institutions européennes. En 1949, c’est le Conseil de l’Europe qui s’établissait à Strasbourg, ville symbole des déchirements puis de la réconciliation franco-allemande. Cette institution, sans rapport avec l’UE, qui réunit aujourd’hui 49 États membres et défend les droits de l’homme et la démocratie, était rejointe en 1959 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
La deuxième ville diplomatique de France
Depuis, de nombreuses autres institutions et organisations liées au Conseil de l’Europe se sont établies dans la capitale du Grand Est. Pharmacopée européenne, Programmes EURIMAGES, Centre européen de la jeunesse, Observatoire européen de l’audiovisuel, tous ces organismes font de Strasbourg la deuxième ville diplomatique de France, après Paris. Ainsi, 75 représentations permanentes, ambassades ou consulats sont présents dans la ville, regroupant des diplomates issus de tous les États européens (sauf la Biélorussie) et de biens d’autres pays (États-Unis, Tunisie, Philippines, etc).
Cette concentration d’institutions, dès les années 1950, et sa portée symbolique ont fait de Strasbourg un lieu opportun pour abriter l’assemblée parlementaire de la CECA, puis de la CEE devenu au fil du temps le « Parlement européen ». L’institution représentant les citoyens de l’Union européenne partageait même jusqu’en 1998 le même hémicycle que l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Mais l’extension progressive des compétences du Parlement européen, son élection au suffrage universel, l’introduction de la codécision avec le Conseil de l’Union européenne et la généralisation d’un dialogue permanent au sein du « triangle institutionnel » (Conseil de l’UE-Commission-Parlement) ont obligé les eurodéputés à se rendre de plus en plus souvent à Bruxelles, siège de la Commission et du Conseil de l’Union européenne. Pourtant, la France réussit à obtenir l’inscription de Strasbourg comme siège officiel du Parlement européen lors du Conseil européen d’Edinbourg (1992). Le traité d’Amsterdam (1997) confirme cinq ans plus tard cette décision.
3,5 jours par mois à Strasbourg
De fait, les eurodéputés se rendent dans la ville alsacienne uniquement pour douze sessions plénières de trois jours et demi chacune. C’est au cours de celles-ci que sont votés les principaux textes, reçus les chefs d’États, ou remis le Prix Sakharov. Le reste du temps, le travail parlementaire s’effectue à Bruxelles, y compris au cours de six « mini-sessions » de deux jours dans l’hémicycle de la capitale belge. Le bâtiment strasbourgeois Louise-Weiss, inauguré en 1999 dans la perspective des futurs élargissements, n’abrite donc qu’une centaine d’employés à l’année, essentiellement pour l’entretien et la sécurité du bâtiment, la communication ou encore l’accueil des visiteurs (ils sont tout de même près de 170 000 par an !). D’autant que la plupart des services administratifs sont regroupés au sein du Secrétariat général du Parlement européen qui a son siège… à Luxembourg.
Cette organisation complexe, mais surtout les nombreux déplacements entre Strasbourg et Bruxelles, suscitent la colère d’une grande majorité d’eurodéputés et crée une situation peu lisible pour les citoyens. En novembre 2013, le rapport Fox-Häfner estimait entre 156 et 204 millions d’euros le coût de la situation polycentrique des activités du Parlement européen, un chiffre correspondant à 10% du budget annuel de cette institution et immédiatement contesté et minoré par les « pro-Strasbourg ».
Sur le plan environnemental, les déplacements entre les trois sites représenteraient en 2011 l’émission de 11 000 tonnes de gaz à effet de serre, soit 11% de l’empreinte carbone totale du Parlement. Des déplacements d’autant plus difficiles que la ville de Strasbourg est mal desservie. Il est difficile de rejoindre la ville depuis Bruxelles en moins de 4h30.
Le veto français
Face à ce constat difficile, les partisans du maintien à Strasbourg mettent en avant un argument juridique très fort. Le déplacement du siège officiel du Parlement européen nécessiterait en effet une modification des traités et donc un accord à l’unanimité des chefs d’État et de gouvernement. La France, disposant de facto d’un droit de veto, s’y opposerait immédiatement. Mais surtout, conscients de la fragilité de la situation actuelle, les « pro-Strasbourg » tentent de s’organiser. Car le combat en vaut la peine.
Les institutions européennes génèrent près de 10 000 emplois sur le territoire de l’Eurométropole Strasbourg-Kehl. Près de 600 millions d’euros de valeur ajoutée sont créées dans l’économie locale, principalement dans le secteur des transports et de l’hébergement. De plus, à côté des institutions de l’UE et du Conseil de l’Europe, d’autres organisations très diverses se sont installées dans la préfecture du Bas-Rhin : la chaîne franco-allemande Arte, le service du Médiateur européen, le secrétariat de l’Assemblée des régions d’Europe, l’État-major de l’Eurocorps ou encore le Système d’information Schengen.
Depuis 1980, l’État français a conclu avec les différentes collectivités territoriales concernées une série de contrats triennaux visant à défendre ce statut de capitale européenne. Pour la période 2015-2017, près de 148 millions d’euros ont été mobilisés pour financer notamment une extension du tramway entre la gare de Strasbourg et le quartier européen. Un quartier d’affaire est en train de sortir de terre juste en face du Parlement et devrait accueillir notamment le siège d’Adidas France. Un Parlamentarium a ouvert début juillet sur le modèle de celui existant à Bruxelles et devrait prendre le nom de Simone Veil. Ce musée interactif, entièrement gratuit, et qui permet de faire découvrir de manière ludique le fonctionnement du Parlement, pourrait contribuer à doubler le nombre de visiteurs.
Un lot de compensation ?
Une timide activité de lobbying a aussi été mise en place avec la création d’une « task force » réunissant des élus locaux de tous bords. Mais son poids reste bien inférieur à celui des « anti-Strasbourg ». En témoigne le rapport de force au Parlement européen, sans cesse plus défavorable à la ville alsacienne.
Si l’installation du Conseil de l’Europe et de la CEDH à Strasbourg n’est pas remise en cause, celle du Parlement européen revient donc régulièrement dans les débats. En 2013, l’eurodéputé libéral britannique Edward McMillan-Scott réaffirmait la nécessité d’un siège unique mais en garantissant le transfert vers Strasbourg d’autres institutions n’ayant pas besoin d’être « connectées » en permanence avec Bruxelles.
A l’heure où le Royaume-Uni devrait prochainement quitter l’Union européenne, les agences communautaires situées outre-Manche devraient, pour leur part, quitter le Royaume-Uni. L’agence européenne du médicament et/ou l’agence bancaire européenne pourraient être un lot de consolation pour Strasbourg ? C’est en tous cas la position de plusieurs eurodéputés qui y voit une solution pour régler une bonne fois pour toute le sujet.
Un potentiel échange qui n’est pas du tout du goût du nouveau gouvernement français. Dans un nouveau débat en plénière du Parlement européen, la nouvelle ministre française des affaires européennes – Nathalie Loiseau – a exprimé un refus net. La France cherche pourtant bien à récupérer l’Agence européenne du médicament mais la ville candidate désignée dans l’Hexagone est… Lille.
Dans ce débat sans fin, les pro-Strasbourg peuvent esquisser un autre espoir. Outre le soutien du nouveau gouvernement français, les locaux bruxellois du Parlement montreraient de sérieux signes de vieillissement. Une restauration importante voire une reconstruction complète pourrait être envisagée dans les prochains mois. Cette situation inédite pourrait alors obliger les eurodéputés à trouver d’autres locaux… à Strasbourg par exemple.