Tout comme les questions migratoires et identitaires, l’Europe apparaît comme un sujet particulièrement clivant dans cette campagne présidentielle. La conférence du 28 mars à la Maison de l’Europe n’a pas fait exception à cette tendance. De nombreuses divergences et quelques plus rares convergences ont rythmé les échanges entre les représentants des candidats. Compte-rendu par Eurosorbonne.
Pour ce débat, quatre représentants de candidats à la présidentielle avaient été réunis autour de Nicolas Leron, président du think-tank Eurocité et coauteur avec Michel Aglietta d’un ouvrage sur la gouvernance de la zone euro. Sylvie Goulard, eurodéputée ADLE depuis 2009, représentait Emmanuel Macron. Aurélie Filippetti, députée PS de Moselle et ancienne ministre de la Culture, défendait les idées de Benoît Hamon. Jean-Claude Mignon, député LR de Seine-et-Marne et ancien président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (2012-2014), était le porte-voix de François Fillon. Enfin, Alexis Piat, spécialiste des questions financières et européennes, représentait le candidat du mouvement de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon.
C’est Aurélie Filippetti (soutien de Benoît Hamon) qui a lancé le débat : « Benoît Hamon est le candidat qui a la vision la plus ambitieuse en matière européenne ». Face aux partisans du statu quo, aux sceptiques voire aux europhobes, la députée a défendu une relance du projet européen par un volontarisme et dans un esprit social-démocrate. « Il faut montrer que l’Europe n’est pas l’ennemi mais l’ami des peuples. » Pour cela, l’ancienne ministre a relayé une des propositions phares du candidat socialiste à la présidentielle : l’écriture et la ratification d’un traité sur la gouvernance démocratique de la zone euro. « Il faut nous doter des structures politiques adéquates correspondant à cette monnaie unique. Dans ce sens, une assemblée parlementaire de la zone euro, rassemblant des parlementaires nationaux, doit être créée. »
« Exercer la souveraineté au niveau européen. » S. Goulard (soutien de E. Macron)
Sylvie Goulard (soutien d’Emmanuel Macron) se réjouissait de la présence de plusieurs candidats pro-européens dans cette campagne « observée par nos partenaires ». La représentante du candidat En Marche appelait à un bilan objectif de la construction européenne. « Dans un monde incertain, la souveraineté doit être exercée au niveau européen, notamment via des instruments de souveraineté partagée qui n’existent pas encore. » Et l’eurodéputée d’insister également sur la nécessité d’unir davantage les Européens, notamment via un élargissement du programme Erasmus ou des conventions démocratiques. « Cela ne doit pas forcément aboutir à une modification des traités, beaucoup de choses peuvent être faites dans le cadre actuel. »
Jean-Claude Mignon (soutien de François Fillon) commençait son propos en regrettant l’absence d’un représentant de la candidate du Front national, Marine Le Pen. Il ajoutait : « On ne peut pas tout reprocher à l’Union européenne. La formule ‘’c’est la faute à Bruxelles’’ est malhonnête. Globalement, le positif l’emporte très largement sur le négatif. » Rappelant son rôle à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Jean-Claude Mignon déplorait tout de même des élargissements successifs trop rapides en direction des pays de l’Europe centrale et orientale. « On a également délaissé les Balkans occidentaux » regrettait-il avant d’appeler à des simplifications au niveau de la gouvernance européenne.
« L’Europe, on la change ou on la quitte. » A. Piat (soutien de J-L Mélenchon)
Alexis Piat (soutien de Jean-Luc Mélenchon) souhaitait immédiatement marquer sa différence en matière de diagnostic. « Les choses vont mal, très mal. ». Le représentant du mouvement de la France insoumise mettait en avant le rôle des traités européens et des politiques d’austérité dans la situation économique du continent, notamment en matière de chômage des jeunes. « L’Europe, on la change –plan A – ou on la quitte – plan B. » Pour cela, Alexis Piat a insisté sur la nécessité de créer des rapports de force pour exiger une harmonisation des normes sociales et environnementales européennes par le haut, ainsi qu’une relance de l’investissement. « En cas de refus, le Plan B n’est pas un repli national comme le propose l’extrême droite. Il s’agira de développer une stratégie de progrès social. » Et Alexis Piat d’ajouter qu’il ne fallait pas avoir peur de sortir de l’euro, si nécessaire.
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Des propos qui ne laissaient pas sans réponse le reste des intervenants. Aurélie Filippetti appelait elle-aussi à la fin des politiques d’austérité. « Il faut un grand plan d’investissement avenir européen » ajoutait-t-elle. Sylvie Goulard déclarait que, pour sa part, Emmanuel Macron ne chercherait pas à désobéir aux règles européennes « pas par soumission mais par conviction ». Et l’eurodéputé d’ajouter qu’avec un niveau de dépenses publiques atteignant 57% du PIB, la France n’était pas dans une situation d’austérité. Quant à Jean-Pierre Mignon, il se montrait choqué par les propos d’Alexis Piat : « On ne peut pas être aussi catégorique. » et défendait la monnaie unique.
« Le droit d’asile n’est pas négociable » A. Filippetti (soutien de B. Hamon)
Evoquant la situation en Turquie, le député filloniste rappelait également qu’il y avait un certain nombre de valeurs que l’on ne pouvait pas oublier. Alexis Piat estimait pour sa part que l’Europe n’était pas légitime en tant que parangon des droits de l’homme. « La démocratie européenne n’existe pas, souvenez-vous du traité de Lisbonne après le ‘’non’’ de 2005. » Des propos qui faisait réagir Sylvie Goulard. « Il y a une démocratie européenne. Il ne faudrait pas cracher dans la soupe, je rappelle que Jean-Luc Mélenchon, en tant qu’eurodéputé, est payé par le contribuable européen. » Et l’eurodéputé de rappeler sa préférence pour un Parlement européen siégeant en formation zone euro plutôt que l’ajout d’un Parlement supplémentaire.
Concernant la libre-circulation, Jean-Claude Mignon appelait à revoir complètement les accords de Schengen. Pour sa part, Sylvie Goulard défendait un renforcement des frontières extérieures de l’espace Schengen. « La frontière française est en Grèce, en Sicile, en Bulgarie » expliquait-t-elle. La représentante de Benoît Hamon, Aurélie Filippetti, se déclarait favorable à des visas humanitaires et une politique généreuse et ouverte. « Le droit d’asile n’est pas négociable » précisait-elle. Se déclarant « populiste, du côté du peuple, face aux néo-fascistes », Alexis Piat expliquait que « quand on est chômage, l’immigré peut difficilement être un ami. »
« Se montrer digne de ce qui a été fait » J-C Mignon (soutien de F. Fillon)
Le débat se terminait par un mot de conclusion de la part de chaque représentant. Aurélie Filippetti louait les capacités d’adaptation de l’Europe. « Elle a encore besoin de progrès, soyons imaginatif, créatif. La démocratie est toujours une construction. » Jean-Claude Mignon appelait, lui, à « se montrer digne de ce qui a été fait ». Alexis Piat défendait lui aussi la nécessité d’importants changements : « Il faut le faire maintenant car ce ne sont pas les néo-fascistes tels que Marine Le Pen en France qui voudront changer l’Europe. » Sylvie Goulard mettant en avant le rôle important que pourrait jouer la France notamment sa fonction d’équilibre nord/sud. « On ne fera pas l’Europe sans nos partenaires ».
Juste avant le déménagement de la Maison de l’Europe, cette conférence aura permis de faire se croiser des opinions variées sur le devenir de la construction européenne. De tels échanges que l’on espère être au cœur du débat public de ces dernières semaines de campagne présidentielle.
>> Pour approfondir les programmes européens des différents candidats représentés :
>> Et pour connaître le programme européen des sept autres candidats :