Les 27 chefs d’États et de gouvernements de l’Union européenne se sont entendus sur les aspects primordiaux du Brexit, et ont obtenu le soutien de la Commission européenne. Un coup dur pour le Royaume-Uni, qui devra fournir des garanties sur de nombreux points avant même l’ouverture des négociations.
15 minutes. C’est le temps qu’il a fallu au Conseil européen extraordinaire qui s’est réuni le 29 avril pour arriver à un accord sur les grandes lignes du Brexit. Un record, pour cette formation qui peut parfois négocier jusqu’aux aurores. Les 27 chefs d’État et de gouvernements sont – une fois n’est pas coutume – unanimes : hors de question de laisser le Royaume-Uni s’en sortir si facilement. Avant le début des négociations, Theresa May devra accepter un certain nombre de principes.
Pas d’accord sans conditions de sorties
Le premier étant qu’aucun accord ne sera mis en place tant que les conditions de la sortie du Brexit n’auront été fixées. Les différents domaines qui constitueront les accords entre le Royaume-Uni et Londres sont indissociables, ce qui met Theresa May sur la sellette : « il n’y a d’accord sur rien tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout ; les différentes questions ne sauraient être réglées séparément » ont indiqué les dirigeants. Une façon de mettre la pression aux Britanniques, alors que Michel Barnier, le négociateur de l’Union européenne, a indiqué prendre en considération la possibilité que les négociations échouent. En d’autres termes, si le Royaume-Uni ne fait pas d’effort pour aboutir à un accord social, il n’y aura pas d’accord économique, et un accord de libre-échange ne serait envisageable qu’après la sortie effective du Royaume-Uni.
Le second point polémique, qui pèse sur Londres : la note du divorce. Les institutions européennes affirment que la facture du Brexit doit être intégralement prise en charge par le Royaume-Uni : « Les pays contributeurs nets au budget européen ne veulent pas avoir à payer un centime de plus, et ceux qui sont bénéficiaires nets ne veulent pas perdre ce qui leur a été promis » a confié un diplomate à Contexte. Londres devra payer les sommes engagées dans le cadre du budget 2014-2020, soit une estimation de 60 milliards d’euros. Mais dans les faits, comme le Royaume-Uni sera officiellement un pays-tiers le 29 mars 2019, cela ne correspond qu’à une année dont il ne bénéficiera pas.
Cependant, le chiffrage de cette facture est compliqué, puisque l’on ne sait pas encore à quel point le Royaume-Uni participera aux activités de l’Union européenne. Par exemple, en novembre, le pays a fait savoir qu’il voulait revenir sur son opt-out (sa dérogation) concernant sa participation à Europol (une agence qui prévoit des échanges d’informations entre États-Membres sur des crimes commis en Europe). Alors que la Grande-Bretagne ne fait pas partie de l’espace Schengen, l’Irlande et le Royaume-Uni bénéficient tout de même des fichiers d’information SIS II (une base de données de personnes et d’objets disparus en Europe). Ainsi, impossible de prévoir à quel point Londres sera encore impliqué dans les fonds européens. Et si Michel Barnier a affirmé que la facture –considérée comme très salée par les experts– n’était « ni une punition, ni une taxe de sortie », David Davis, le ministre en charge du Brexit, a déclaré que c’était une tentative de la Commission d’impressionner les citoyens britanniques.
Droits des citoyens et frontières
Concernant le nerf de la guerre, les dossiers les plus polémiques, l’Union européenne et les 27 chefs d’État et de gouvernement ont fait savoir qu’ils ne transigeraient pas : les trois millions de citoyens européens résidant au Royaume-Uni devront voir leurs droits et leur possibilités de rester sur le sol britannique garantis, à vie. En contrepartie, l’Union européenne acceptera sur son sol les Britanniques qui y résident déjà. Ainsi, le Conseil européen a déclaré :
« Le droit qu’ont tous les citoyens de l’UE, ainsi que les membres de leur famille, de vivre, de travailler ou d’étudier dans tout État membre de l’UE est un aspect fondamental de l’Union européenne. Avec les autres droits prévus par la législation de l’UE, il a façonné la vie et les choix de millions de personnes. La conclusion d’un accord sur des garanties réciproques en vue de préserver le statut et les droits tirés du droit de l’UE dont bénéficient, à la date du retrait, les citoyens de l’UE et du Royaume-Uni affectés par le retrait du Royaume-Uni de l’Union, ainsi que leurs familles, constituera la première priorité dans le cadre des négociations. »
D’autre part, la question des frontières est primordiale. Impossible, pour l’Union européenne, de construire une frontière physique entre l’Irlande du nord et du sud, remettant en question l’accord de paix de 1998 : « Compte tenu de la situation particulière de l’île d’Irlande, il faudra trouver des solutions souples et imaginatives, notamment pour éviter la mise en place d’une frontière physique, tout en respectant l’intégrité de l’ordre juridique de l’Union. » A Chypre aussi, le Royaume-Uni qui possède deux bases militaires souveraines – Akrotiri et Dhekelia – devra jongler entre zones de souverainetés, espaces européens et prédominance turque.
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Enfin, outre les entreprises privées qui délocalisent leurs entreprises britanniques pour s’ancrer sur le territoire européen, Londres perdra deux agences, l’Autorité bancaire européenne (ABE) qui emploie 170 personnes et l’Agence européenne du médicament (AEM) qui en emploie 900. Vingt-et-un États européens ont d’ores et déjà exprimé la volonté d’accueillir sur leur sol l’AEM (l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, l’Allemagne, le Danemark, la France, la Grèce, la Finlande, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République Tchèque, la Suède et la Slovaquie). Mais l’un des scénarios envisagés par plusieurs députés européens serait de transformer le Parlement européen de Strasbourg en siège des deux agences, et de rapatrier les députés et les fonctionnaires à Bruxelles, dans la perspective d’un Parlement unique.
L’Europe apparaît aujourd’hui forte, solide et intransigeante envers le Royaume-Uni, où la majorité de la population regrette aujourd’hui le choix du 23 juin 2016. S’il y a fort à parier que la belle entente entre les 27 volera en éclat dès qu’il sera possible pour certains États de tirer parti du Brexit, il semble aujourd’hui que Theresa May ait sous-estimé la capacité des 27 à transformer la devise européenne, « Unis dans la diversité », en un puissant « unis dans l’adversité ».