A l’heure de la vidéo à la demande et du crowdfunding, le cinéma européen s’en va-t-en guerre contre Netflix.
À peine le Festival de Cannes ouvert le 17 mai dernier, que déjà une polémique avait envahi le tapis rouge. La cause ? Deux films financés par Netflix, la célèbre plateforme de vidéo à la demande, étaient présents dans la sélection officielle en compétition pour la Palme d’or. Mais contrairement à ses concurrents, les deux productions ne passeront pas par nos salles de cinéma, et rejoindront directement le catalogue de Netflix, réservé à ses abonnés.
Cette annonce a rapidement énervé les professionnels du cinéma, entrainant la publication d’un communiqué par la Fédération nationale des cinémas français, appelant « au respect des règles de l’exception culturelle ». Face à l’ampleur de la polémique, le Festival de Cannes a annoncé que cette année, Netflix pourrait participer à la compétition et réserver ses créations pour sa plateforme, mais cela ne sera plus le cas pour l’édition 2018. Dans un communiqué, la direction du festival a ajouté que « dorénavant, tout film qui souhaitera concourir en compétition à Cannes devra préalablement s’engager à être distribué dans les salles françaises ».
Netflix veut-il vraiment la mort du cinéma ?
Et, ce n’est pas la première fois que Netflix est critiqué. En discussion depuis l’année dernière, et sur demande de l’Allemagne, le Parlement européen souhaite imposer un quota de 30% de films européens. En effet, après une proposition de la Commission européenne visant à appliquer la directive sur les services de médias audiovisuels aux plateformes de vidéo à la demande, les eurodéputés jugent nécessaires d’insérer un quota de 30 % et non de 20 % comme initialement prévu par l’institution. Mais les différents services de vidéos en ligne (Google, Amazon ou Youtube) ont vivement réagi à cette annonce, qualifiant la proposition de quota de « contreproductive ».
Même si ces plateformes semblent si opposées, certains États possèdent déjà des quotas de diffusion nationale. En effet, la France demande aux diffuseurs et aux plateformes de vidéo à la demande d’assurer la présence d’au moins 60 % de films européens dans leur catalogue. Mais le projet de loi continue à susciter de vives réactions. À ce jour, les deux eurodéputés en charge de ce rapport à la commission culture du Parlement européen ont déjà reçu près de 1 000 amendements. Le plus soutenu sollicite la Commission afin de retirer une partie de sa proposition, en vertu de laquelle les États membres ne pourraient pas voter de lois nationales plus strictes que la directive européenne.
Moderniser le modèle européen
Mais alors que la polémique ne cesse de croître depuis Cannes, les cinéastes sont conscients qu’il faut moderniser la bureaucratie et l’aide déployée au cinéma européen.
C’est pourquoi, inquiet de l’émergence des plateformes américaines en Europe, et le risque de disparition du cinéma européen, 87 cinéastes – dont Wim Wenders, Lucas Belvaux, Michel Hazanavicius et bien d’autres – ont publié le 22 mai dans Le Monde une tribune appelant l’Union européenne « à reconstruire une politique culturelle exigeante et ambitieuse ». Belges, Allemands, Roumains, Italiens, Français, tous souhaitent sauver le cinéma qu’ils aiment tant !
Dans cette même tribune, les réalisateurs proposent de « moderniser le modèle européen et de le rendre plus adapté aux attentes du grand public » et de « redynamiser la création européenne face à la concurrence internationale ». Pour cela, ils demandent l’intégration des géants d’internet « Google, Facebook, Youtube et Amazon » dans l’économie de la création européenne. Mais pour autoriser cette nouvelle pratique, ils entendent bien assurer la mise en place de règles communes à l’ensemble des diffuseurs, plateformes et sites de partage. Et même si les niveaux de produits de l’UE en terme de cinéma ont constaté une légère hausse ces dernières années, le cinéma européen ne semble pas vouloir s’expatrier. Même si le cinéma français reste le champion au niveau européen avec six films présents dans le Top 20 européen, il a encore du mal à traverser les frontières. Ce qui n’est pas le cas des films britanniques, très souvent soutenus par des productions ou studios américains. Mais sur les 9 films européens du top 20 – ni français, ni britanniques – on constate que cinq d’entre eux ne sont jamais sortis en France.
Adieu « l’exception culturelle »
S’il est bien vrai que Netflix contourne déjà toutes les règles relatives aux taxes en France ( son siège français se trouve aux Pays-Bas), il en est de même pour ce qu’on appelle « la chronologie des médias ». En refusant de proposer la projection de ses films au cinéma, Netflix conteste cette dernière. En effet, en France, un délai de 22 mois doit être respecté entre le moment de la sortie d’un film en salle et la diffusion sur les chaînes de télévision, et de 36 mois pour la mise à disposition des films sur les plateformes de vidéo à la demande, survivant grâce aux abonnements. Résultat, le financement du cinéma français repose principalement sur les chaînes de télévision française. Et selon les statistiques collectées par le Centre national du cinéma et de l’image animée, plus de la moitié des nouveaux films sortant en salles chaque année sont des films français. Encore une bonne raison pour la France de râler !