Lors d’une conférence donnée au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Jean-Louis Bourlanges a analysé six décennies de construction européenne. Celui qui a été eurodéputé de 1989 à 2007 salue l’entrée de l’Union dans une nouvelle ère, rompant avec vingt années d’échecs profonds.
Dans les prestigieux locaux du CNAM, Nicole Gnesotto recevait le 15 juin dernier Jean-Louis Bourlanges, pour une conférence intitulée « L’Europe, nouveau départ », dernier événement du cycle « Forum Europe » avant la pause estivale. Ancien député européen (UDF) et président du Mouvement européen – France, Jean-Louis Bourlanges est un habitué du débat public. Désormais engagé au côté d’Emmanuel Macron, il a été élu député des Hauts-de-Seine sous l’étiquette MoDem/LREM seulement quatre jours après la tenue de la conférence !
Jean-Louis Bourlanges analyse cette année 2017 comme l’entrée dans un cycle nouveau. « L’Europe fonctionne par phase, on peut en dégager quatre » explique-t-il. La première débute en 1950 avec la Déclaration Schuman et une Europe construite avec une méthode gradualiste selon des objectifs économiques.
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Pour le nouveau député français, cette Europe a une réalité fédérale sans avoir vocation à être un État fédéral. « L’Europe n’a pas la compétence de la compétence. Les États restent souverains. Les transferts sont révocables. » Cette Europe-là connaît alors deux projets sur des bases politiques – la Communauté européenne de défense (fédéral) et le Plan Fouché (intergouvernemental) – mais ce sont deux échecs cuisants.
Les succès : Giscard/Schmidt, Mitterrand/Kohl
La deuxième phase prend place avec deux couples franco-allemand successifs et efficaces : Giscard/Schmidt puis Mitterrand/Kohl. C’est alors l’Europe de la poursuite du marché intérieur et de la monnaie unique. « C’est aussi à ce moment où l’Europe connaît d’importantes avancées en matière de démocratisation, notamment avec l’introduction de la codécision entre le Parlement européen et le Conseil. Jusque-là, l’Union était essentiellement technocratique. »
Jean-Louis Bourlanges estime qu’après la fin du couple Mitterrand-Kohl, l’Union est entrée dans une troisième phase, pleine d’inertie et nourrie de multiples échecs. Ce cycle se déroule alors que la politique européenne connaît des bouleversements importants : l’effondrement de la démocratie chrétienne (sauf en Allemagne) qui avait grandement contribué à l’érection de l’Europe, la contestation du socialisme par l’extrême-gauche et l’aile libérale ainsi que le développement des mouvements d’extrême-droite.
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Selon le parlementaire centriste, ce cycle peut s’expliquer par trois causes principales. « D’abord, la menace géopolitique (l’URSS) disparaît et avec elle, l’essentiel de la querelle idéologique. » Et l’ex-eurodéputé d’ajouter : « Il y a aussi la globalisation qui transforme profondément les sociétés européennes qui deviennent plus inégalitaires. » Enfin, Jean-Louis Bourlanges met en avant le développement d’un individualisme généralisé, dû en grande partie à l’effondrement de la solidarité communiste.
Crises en série
L’Europe connaît alors pas moins de quatre crises simultanées. La première est une crise institutionnelle avec l’échec du projet de constitution européenne et les demi-ratés des traités de Nice (2001) et de Lisbonne (2007). Cette crise multi-faces est aussi économique, essentiellement à cause de l’inachèvement de l’euro, monnaie commune sans politique économique commune permettant de limiter la divergence des économies.
La crise est également géopolitique avec de nombreux épisodes tragiques où l’Europe a été très effacée : Yougoslavie, Kosovo, Ukraine, Géorgie ainsi que l’embrasement du Moyen-Orient. Ce cycle est enfin marqué par une crise identitaire. « La question ‘’qu’est-ce que l’UE’’ n’obtient pas de réponse, ce qui équivaut à de longues tergiversations sur l’entrée ou non de la Turquie ou encore le développement de ‘’démocratie illibérale’’ à l’intérieur même de l’Union ! » explique Jean-Louis Bourlanges.
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Mais pour ce dernier, beaucoup de choses ont maintenant changé. D’abord, la menace est réapparue, à l’Est avec l’agressivité de la Russie, ou avec un Proche-Orient complètement déstabilisé. La globalisation est toujours perçue comme dangereuse « mais elle est maintenant comprise comme un choix imposé, ce n’est plus une option ». Et la transnationalisation des grands enjeux du siècle est de plus en plus mise en avant.
Ce cycle nouveau s’est ainsi manifesté notamment dans l’attachement renforcé des Européens à l’euro et dans la défaite des mouvements populistes comme en Autriche, aux Pays-Bas ou en France. La victoire d’Emmanuel Macron marque ainsi, pour Jean-Louis Bourlanges, la reconstruction de l’alliance entre les socio-démocrates et les démocrates-chrétiens qui a fait l’Europe.
Du pain sur la planche
Pour le néo-député, ce nouveau cycle doit être l’occasion de répondre efficacement à plusieurs enjeux. Le premier est celui de l’identité européenne. A défaut d’un vrai consensus sur les projets futurs, il faut privilégier « une Europe des pionniers », permettant aux plus motivés d’avancées. La politique économique est un autre chantier déterminant. « Il faudra avoir un budget européen unifié, contrôlé par une assemblée démocratique ».
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Et l’ancien chroniqueur de l’émission ”L’esprit public” sur France Culture d’ajouter : « des instruments de transferts doivent également émerger pour limiter l’excédent commercial allemand ». Enfin, les questions de sécurité doivent être profondément travaillées sur le plan de la défense européenne mais aussi dans la création d’un vrai « Schengen de la solidarité » pour mieux gérer les flux migratoires.
Mais une condition centrale est nécessaire pour que ce cycle nouveau soit véritablement un nouveau départ : « Il faut des retrouvailles franco-allemandes. Pour cela, nous devons regagner leur confiance, en mettant en œuvre les réformes tant attendues depuis plusieurs années. »
Sur le site du CNAM >>> Retrouver la vidéo de la conférence.