Le plus petit Etat membre se retrouve dans la tourmente après l’assassinat de la journaliste anti-corruption Daphné Caruana Galizia il y plus d’une semaine et refait surgir le débat concernant la fraude fiscale.
En marge de cette tragédie, les Maltais se sont rassemblés en masse dans les rues de Sliema afin de témoigner de leur soutien et de dénoncer un gouvernement inactif, si ce n’est complice, dans la lutte contre la fraude fiscale. De fait, les fraudes financières gangrènent jour après jour davantage le pays, touchant autant le domaine privé que la classe politique, menaçant la stabilité sociale.
Des révélations au drame
Lundi 16 Octobre, Daphné Caruana Galizia, une journaliste maltaise de 53 ans était retrouvée morte suite à l’explosion de son véhicule près de son domicile. La nature meurtrière de sa mort ne peut être niée. Son activité principale était centrée sur la tenue d’un blog où elle avait révélé différentes activités financières frauduleuses, notamment une affaire dans laquelle des proches du premier ministre, Joseph Muscat, dont sa femme, auraient été impliqués. Ceci avait par ailleurs provoqué la tenue d’élections anticipées au mois de juin remportées par Muscat malgré les accusations de Caruana. En outre, la journaliste souhaitait dénoncer les crimes et délits fiscaux de manière franche et directe dans un souci de transparence envers ses concitoyens, ce qui lui avait permis d’acquérir une grande popularité. Elle a été assassinée alors qu’elle avait réitéré une heure auparavant de farouches accusations contre Keith Schembri, chef de cabinet de Muscat qu’elle soupçonnait de détenir des comptes au Panama. Malgré la proximité de la journaliste avec l’opposition, Joseph Muscat a tout de même déclaré : « Aujourd’hui est une journée noire pour notre démocratie et pour notre liberté d’expression » alors qu’il avait lui même fait l’objet de menace. Samedi dernier, il a d’ailleurs promis une récompense d’un million d’euros pour quiconque donnerait des informations susceptibles de mener au meurtrier afin d’apaiser l’indignation populaire.
Un phénomène déjà présent depuis quelques années
Depuis plus de 2 ans, les meurtres se multiplient alors que l’Etat insulaire fait l’objet de transactions financières douteuses (blanchiment, corruption, évasion fiscale et autres malversations financières) depuis les années 2000. Grâce à des règles souples, elle serait le siège de milliers de sociétés off-shores qui fuient les systèmes fiscaux de leur propre pays. Considérée comme un paradis fiscal, on a appelé les affaires fiscales de Malte « Malta Files » sur le modèle des « Panama Papers » depuis les premières révélations dont la journaliste défunte avait eu un accès privilégié. Personne n’a été épargné par le phénomène : d’après une enquête de différents médias (y compris du journal français Mediapart) de grands groupes comme Ikea, Free, Lufthansa ou BASF auraient aussi trouvé des subterfuges pour détenir des capitaux dormants sur l’île. De plus, le scandale impliquerait de nombreux autres acteurs individuels détenant d’importants comptes en banque. Pour ne rien arranger à la situation, le système fiscal a attiré des réseaux illégaux. C’est dans ce contexte que par soucis de légitimité de sa place, Muscat a déclaré renoncer au pouvoir si les accusations qui ont été prononcées contre ses proches étaient avérées.
Réactions de la sphère européenne
A Bruxelles, la Commission européenne a rapidement réagi, puisqu’elle s’est dite « horrifiée » tandis que de nombreuses institutions communautaires ont dénoncé des « actes contre la démocratie » et contre « la liberté d’expression ». Aussi, le Parti Populaire Européen a regretté le manque d’implication de la Commission européenne dans cette affaire. De plus, un rapport de la commission d’enquête sur la question des paradis fiscaux dans l’UE dénonce la complicité implicite des institutions étatiques dans ces pays qui laissent s’installer le dumping fiscal et de l’inaction communautaire associée. De ce fait, elle recommande des actions fermes voire des sanctions envers ces pays. Ainsi, la situation à Malte n’est pas singulière puisque des pays comme Chypre ou Luxembourg sont également concernés.
Enfin, la communauté journalistique n’a pas mâché ses mots pour témoigner sa tristesse et sa colère.
En outre, au delà de la condamnation de l’assassinat de la journaliste, l’Union Européenne a tenu à lui rendre hommage en renommant la salle de presse du Parlement européen de Strasbourg à son effigie. Une minute de silence a d’ailleurs été observée mardi dernier avant la session. Ainsi, elle devient un symbole non seulement de la défense de la liberté d’expression mais aussi de lutte contre la fraude fiscale.