Quelques dizaines de routiers ont manifesté aux frontières franco-belge et franco-italienne contre leur exclusion de la nouvelle directive européenne sur les travailleurs détachés. Retour sur une décision polémique.
C’est un étrange manège auquel certains automobilistes ont pu assister il y a quelques jours sur l’A22, autoroute reliant Lille et la Belgique, et dans le tunnel du Fréjus en Savoie, à deux pas de l’Italie. En effet, des dizaines de routiers barraient la route aux camions pour protester contre la nouvelle directive européenne sur les travailleurs détachés qui n’a rien prévu pour le transport routier. Cette « action pacifique », selon les syndicats routiers, se faisait en marge de la mobilisation initiée par la fédération européenne des travailleurs des transports.
Que prévoit la nouvelle directive ?
Les ministres du Travail des 28 pays membres de l’Union européenne ont enfin réussi, après de longues et âpres discussions, à s’accorder sur un paquet de nouvelles directives concernant les travailleurs détachés. La première est la promesse d’une rémunération égale aux travailleurs locaux qui comprend les avantages qui vont avec (prime d’ancienneté, treizième mois…). Cependant, les travailleurs détachés transnationaux seront toujours soumis à la sécurité sociale de leur pays d’origine. Le temps de détachement ne devra pas excéder douze mois (renouvelable une fois pendant six mois par l’employeur), jusqu’alors sans limite.
Cette réforme de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés s’inscrit dans le projet du président Emmanuel Macron de faire de l’Union européenne « une Europe qui protège ». Il a ainsi rappelé qu’il fallait combattre le dumping social et la fraude au travail détaché. Ce nouveau texte sera un moyen de lutter contre « les sociétés boîtes aux lettres » qui n’ont aucune activité dans leur pays d’origine mais qui envoient tout de même des travailleurs détachés dans d’autres pays. Le président Macron a donc proposé de mettre en place un contrôle bilatéral afin de prendre les mesures nécessaires en cas d’abus.
Le transport routier exclu de cette nouvelle directive
Elle ne concerne pas le transport routier. En effet, Emmanuel Macron a fait face à la colère des pays de l’Est, de l’Espagne et du Portugal, qui redoutent une législation sur le travail détaché plus sévère pour eux en raison de leur concurrence contre les transporteurs locaux lorsqu’ils traversent l’Europe centrale et y font des livraisons. La France a donc du faire des concessions et exclure le transport routier de la nouvelle directive.
Ce secteur n’étant pas concerné par cette nouvelle directive, l’ancien texte continuera d’être appliqué jusqu’à l’adoption de la réforme européenne du transport routier, le Paquet mobilité. Patrice Clos, secrétaire général de Force Ouvrière Transports, a affirmé lors d’une conférence de presse des cinq organisations syndicales (CFDT, CGT, CFTC, CGC, FO) le 15 novembre : « Il ne faut pas nous prendre pour des lapins de trois semaines, on sait ce qui va se passer […] Le 1er janvier 2018, la Bulgarie, pays à bas coût du travail, va prendre la présidence, après il y aura les élections européennes… Les 27 n’arriveront pas à se mettre d’accord sur la révision du paquet routier avant sept à dix ans ».
Les syndicats routiers craignent donc que leurs entreprises emploient une main-d’œuvre à bas coût provenant le plus souvent des pays de l’Est comme la Pologne, la Bulgarie ou la Hongrie. Les routiers ne bénéficieront donc pas des avantages que les autres travailleurs détachés recevront (prime de repas, d’hébergement…). Ces mêmes syndicats s’élèvent déjà contre le « paquet routier » promis par l’Union européenne, qui, selon eux, forcerait les routiers à travailler trois semaines consécutives sans repos. « Cette réforme conférerait davantage de pouvoir à l’employeur pour jongler avec les temps de conduite et de repos », poursuit Patrice Clos.
Une augmentation massive des travailleurs détachés en Europe
Cette réforme intervient alors que plus de 2 millions de personnes en Europe sont concernées par le travail détaché. La France et l’Allemagne sont les principaux pays récepteurs de travailleurs détachés et en sont également les principaux pays émetteurs derrière la Pologne. L’élargissement de l’Union européenne en 2004 vers l’Est a favorisé le dumping social, la concurrence déloyale et l’exploitation des travailleurs étrangers. Il était donc urgent d’apporter des réponses à ces problèmes sociaux.
En 2016, le travail détaché représentait 354 151 personnes – soit une hausse de 23,8 % par rapport à l’année précédente – dans les secteurs du BTP, des services aux entreprises et de l’industrie notamment. La même année, l’inspection du travail a infligé 2,4 millions d’euros d’amendes pour sanctionner la fraude au travail détaché.
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