Plus d’un mois après le référendum portant sur le nom du pays, qui s’était soldé par une large victoire du « Pour » à plus de 90% mais ternie par un faible taux de participation de 35%, nous sommes allés à la rencontre des étudiants de l’Université Saints Cyril et Méthode de Skopje. Nous avons eu l’occasion d’évoquer leurs impressions sur la question, leurs avis sur la situation de la Macédoine, leurs craintes et leurs espoirs pour le futur et la perspective d’intégration européenne.
Voilà plus d’un quart de siècle que la Macédoine, indépendante depuis le 8 septembre 1991, est en proie à la dite « querelle du nom » avec la Grèce son voisin du sud. Ce conflit porte sur un refus de la République hellénique de reconnaitre à son petit voisin le nom de République Macédoine, pourtant utilisé par cette dernière dans les relations bilatérales qu’elle entretient avec plus de la moitié des pays du monde. Le nom de Former Yugoslav Republic of Macedonia (FYROM) ou Ancienne République Yougoslave de Macédoine (ARYM) provisoire avait alors été adopté pour un usage dans les organisations internationales.
Après un blocus économique de la Macédoine par la Grèce dans les années 90, puis un gel des relations entre les deux pays durant les dix dernières qui ont vues le pouvoir macédonien dominé par les nationalistes du VMRO-DPMNE, cette question s’enlisait toujours plus dans le statu quo. Cette situation bloquait notamment les possibilités d’adhésion de la Macédoine à l’Union européenne et à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.
En juin dernier, un accord historique avait pu être trouvé entre Alexis Tsipras et Zoran Zaev, le nouveau Premier ministre issu des sociaux-démocrates du SDSM. Ratifié par les deux Premiers ministres à Prespa, ville frontalière des deux pays, cet accord prévoit en substance un changement de nom pour République de Macédoine du Nord et une mise à terme du blocage grec. Avant de le soumettre au vote du Sobranie, le Parlement macédonien, les autorités du pays avaient également décidé d’interroger les citoyens lors d’un référendum consultatif qui s’était soldé par les résultats que l’on connait désormais. Suite à ce résultat, le pays se retrouvait de nouveau plongé dans l’incertitude après une brève période d’éclaircie. Il était alors difficile de savoir si le processus irait à son terme. Zoran Zaev devait en effet parvenir à trouver une majorité qualifiée aux trois quarts, alors que le SDSM ne possède qu’une faible majorité simple au Parlement. Après des accords passés avec l’opposition, il semblerait que la machine soit maintenant lancée : quatre amendements constitutionnels sont actuellement étudiés par la Commission sur les questions constitutionnelles.
Afin de mieux saisir les enjeux de cette question cruciale pour le pays, nous sommes allés à la rencontre des étudiants de Skopje. Ce sont en effet les premiers concernés par l’avenir. Plusieurs étudiants des facultés de droit et d’économie de l’Université Saints Cyril et Méthode ont accepté de nous faire part de leurs opinions sur les enjeux de cette question du nom, mais aussi sur le résultat pour le moins troublant du référendum et sur les conséquences que ces évènements peuvent avoir sur l’avenir du pays.
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Un contexte troublé à l’origine d’un résultat troublant
Plusieurs raisons se distinguent pour expliquer le faible taux de participation, et bien que le facteur du nationalisme soutenu par l’opposition constitue la cause la plus connue, elle serait finalement plutôt limitée. Borjan Eftimov, étudiant en droit évoque en effet cette raison mais pointe également la déception des citoyens vis-à-vis du gouvernement qui n’aurait pas su répondre à un certain nombre d’attentes notamment sociales, les poussant ainsi à rejeter le scrutin. Pour sa camarade Aleksandra Boshnakoska, plus qu’une question politique, cette question était avant tout concrète et n’avait pas lieu d’être instrumentalisée par les partis. Cela aurait contribué à nourrir des tensions et de nombreuses personnes auraient préféré ne pas prendre parti à cette question, raison également évoquée par des étudiants en économie qui ont souhaité garder l’anonymat. L’enjeu du référendum aurait donc dépassé son propre contexte. En effet, l’une de ces étudiantes remet en question les chiffres-mêmes des taux de participation fournis par le gouvernement, qu’elle conseille de considérer avec précautions. Selon elle, les estimations ont été basées sur le dernier recensement de population en date réalisé en 2002, qui considérerait notamment parmi les abstentionnistes des personnes décédées et fausserait ainsi les chiffres. Si cette information fait débat au sein de l’opinion publique, il est cependant véridique que pour des raisons de politique interne le dernier recensement de la population a eu lieu il y a de ça 16 ans. Pour cette raison il serait donc très délicat d’affirmer que les résultats aient été basés sur des statistiques démographiques crédibles.
Lorsque l’on aborde la question de savoir si les personnes s’attendaient à ce que le processus puisse aboutir, c’est la perplexité qui domine. Que ce soit avant le référendum ou bien immédiatement après les résultats, les personnes interrogées pensaient principalement que la situation resterait telle qu’elle est depuis plus de 25 ans. Une exception demeure cependant pour Aleksandra l’étudiante en droit, pour qui le référendum constituait en quelque sorte la dernière étape d’un processus long. Elle avance notamment l’argument du nombre important de représentants européens qui se sont rendus en Macédoine au cours des derniers mois, apportant leur soutien à l’accord de Prespa. Si les étudiants considèrent que l’issue était incertaine, un potentiel succès du processus semble susciter unanimement espoir et optimisme. Aussi, aux yeux des étudiants interrogés, le changement de nom pour la République de Macédoine du Nord ne constitue en aucun cas une menace pour la nation macédonienne.
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Incertitude et espoir pour l’avenir
Nous avons finalement abordé la question de l’avenir en Macédoine, et la perspective d’intégration à l’Union européenne. Un sentiment entre espoir et incertitude semble prédominer chez ces étudiants. Un étudiant en économie nous lance à ce sujet « L’avenir ? En aucun cas je ne le vois en Macédoine ». Ce même étudiant nous dit que si l’adhésion à l’Union européenne apportera du changement à coup sûr, il ne peut pas savoir s’il sera positif ou non. En effet la question de l’émigration des jeunes est un enjeu de taille pour ce pays qui se voit se vider dangereusement de sa population de moins de 25 ans. Une autre étudiante en droit appuie cette idée, en nous expliquant que « peu de jeunes voient leur avenir en Macédoine » et que bien que l’entrée dans l’Union ne puisse que donner lieu à une amélioration au niveau économique, elle ne sait pas si cela pourra suffire à retenir les jeunes. Elle esquisse en effet, en plus d’une situation économique complexe, une mentalité macédonienne qui doit évoluer de l’intérieur, et non pas par rapport à des changements venant de l’étranger. Pour Borjan Eftimov, étudiant en droit, pour que l’adhésion soit efficace, la Macédoine devrait faire le choix de ne pas rentrer dans l’UE tant qu’elle ne remplira pas l’intégralité des critères requis, comme ce fut le cas pour la Bulgarie ou la Roumanie en 2007. A ces yeux, les attentes sont en effet bien loin d’avoir été remplies pour ces pays. Il termine en ajoutant qu’il voit malgré tout le futur de la Macédoine comme « faisant partie de la famille européenne », puisque, dit-il, « ce n’est que par l’amitié et la coopération que l’on pourra avancer ensemble ».
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