La Turquie est candidate à entrer dans l’UE depuis 1987, mais elle entretient avec elle des relations plutôt houleuses et pour le moins compliquées. Si les pourparlers ont connu des avancées dignes des montagnes russes, ils semblent pour l’instant au point mort. Récemment, le Parlement européen a même déclaré vouloir arrêter les négociations face au revirement autoritaire du pays. Un article de Voix d’Europe.
Une entrée qui fait débat depuis 30 ans
La Turquie est candidate à l’entrée dans l’UE depuis 1987. Cependant, elle devra attendre 1999 pour que se statut de candidat soit officiellement reconnu par les Européens. La perspective de son entrée suscite en Europe de vifs débats, notamment parce que la Turquie est un pays très peuplé (ce qui lui confèrerait un pouvoir très important, égal à celui des « gros » pays européens comme la France, l’Allemagne ou l’Italie), de confession musulmane (bien qu’il soit reconnu comme un pays laïc dès sa création en 1920), mais surtout, un pays qui dispute Chypre avec la partie chypriote d’ascendance grecque depuis des années. Autant de petits détails qui freinent certains pays membres.
En comparaison, si l’entrée des pays de l’ex-URSS ne s’est pas faite sans douleurs, leur adhésion n’avait pas suscité les vives réactions qui entourent la candidature turque.
Aujourd’hui pourtant, la question de l’intégration de la Turquie ne semble plus être à l’ordre du jour. Depuis le blocage des négociations par la France et l’Allemagne en 2007, l’aggravation du conflit avec les Kurdes depuis les années 2010 et la répression des manifestations place Taksim en 2013, le président turc Recep Tayyip Erdogan multiplie les décisions autoritaires dans son pays et les provocations à l’égard de l’UE.
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Enjeux géopolitiques de taille
Il faut souligner que la position géographique de la Turquie fait de cette dernière un allié non négligeable pour l’UE. Située à cheval entre l’Occident et les pays arabe-musulmans, elle possède une position intermédiaire. Son armée est l’une des plus importante de l’OTAN, après celle des Etats-Unis. Pour certains pays européens, la Turquie pourrait devenir une zone de paix entre l’UE stable d’un côté et les pays du Moyen-Orient, pour le moins instables. Pour d’autres au sein de l’UE, au contraire, si l’UE devient partie prenante des conflits dans cette zone, elle perdrait sa capacité de conciliation.
Le coup d’arrêt des négociations a été donné lorsque la Turquie a refusé de reconnaître son implication dans le génocide arménien de 1915, condition sine qua non pour la Commission pour faire avancer les pourparlers d’adhésion. En outre, elle refuse toujours de reconnaître la légalité de la République chypriote, dont le Nord est encore occupé par des soldats turcs. En 2017, des discussions ont eu lieu à Genève, sous l’égide des Nations-Unies, afin d’abattre la dernière frontière qui divise une capitale européenne en deux. Mais le président turc a coupé court à tout en déclarant qu’il n’ordonnerait pas le retrait des soldats en poste à Nicosie. Début 2018, les tensions se sont même accrues entre l’île européenne et la Turquie, car cette dernière a bloqué un navire italien dans les eaux chypriotes. Une violation du droit international selon la capitale chypriote.
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Gestion des migrants
La crise des migrants fait apparaître une nouvelle dimension dans la relation UE-Turquie. La situation inédite en mer Méditerranée a poussé les États-membres à passer un accord très controversé avec Ankara début 2016. Devant l’ampleur de la crise, l’UE ne sait pas comment y faire face. La Turquie va lui permettre de trouver une solution temporaire, moyennant quelques avancées.
Tous les migrants irréguliers qui ont traversé la Turquie vers les îles grecques depuis le 20 mars 2016 sont renvoyés vers la Turquie. Et pour chaque Syrien renvoyé au départ des îles grecques, un autre Syrien est réinstallé dans l’UE, dans la limite de 72 000 personnes maximum.
Dans le même temps, l’UE a rouvert le chapitre sur la question budgétaire dès le mois de juin 2016, et l’UE a engagé le processus de libéralisation des visas européens pour les Turcs. Toutefois, il semble compromis par la situation actuelle en Turquie.
Deux ans après l’accord, ses résultats sont contestés. Le nombre de migrants arrivés sur les îles grecques a drastiquement baissé (97%) et 1500 migrants ont été ramenés en Turquie. Cependant, les conditions de vie dans les îles grecques ne se sont pas améliorées.
Un virage autoritaire
En mai 2013, un mouvement de protestations d’une ampleur inédite émerge à Istanbul, pour des motifs écologiques. Il s’est rapidement transformé en une vague énorme de manifestations contre le régime en place. Les répressions policières ont été à la hauteur des protestations : élevées. A partir de ce moment-là, la Commission européenne et le Parlement ont condamné les réactions du régime avec fermeté et ont rappelé que les violences policières doivent être poursuivies par la justice.
En 2014 et 2016, des purges ont eu lieu dans le pays, notamment au sein de la police, du gouvernement et de la fonction publique. Le coup d’État manqué de 2016 n’a fait qu’accélérer le mouvement. La dérive autoritaire de président Erdogan devient inévitable.
La Commission déclare, dans un rapport de 2018, que depuis l’instauration de l’état d’urgence en 2016, le pays a procédé à l’arrestation de 78 000 personnes et 150 000 personnes ont été placées en détention. La Turquie est par ailleurs devenue un pays où il ne fait pas bon être journaliste : emprisonnés ou censurés, leur parole n’est pas libre.
Après avoir renforcé les pouvoirs présidentiels, il a été question de réintroduire la peine de mort en Turquie, ce à quoi le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a déclaré : « Si la peine de mort est réintroduite en Turquie, cela entraînera la fin des négociations ».
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Des négociations au point mort
L’acquis communautaire représente ce que chaque pays doit avoir pour intégrer l’UE. Il est composé de 35 chapitres. Au moment de la déclaration de candidature, la Commission européenne préconise l’ouverture de certains chapitres en priorité. Lorsque l’avancée des négociations est jugée suffisamment avancée, c’est le Conseil qui décide de clore momentanément le chapitre en question.
Aujourd’hui, sur 35 chapitres, seuls 18 ont été ouverts et un seul a été clôturé (sur la recherche scientifique et la recherche). Depuis 2018, les négociations n’avancent plus. Tout cela fait dire à l’UE que, finalement, la Turquie ne veut pas intégrer l’UE et se plier à ses demandes. Pour Angela Merkel, « la Turquie ne doit pas devenir un membre de l’Union européenne ». Elle a d’ailleurs été rejointe en 2018 par Emmanuel Macron, pour qui un partenariat serait préférable à une intégration.
De plus, les députés européens ont récemment demandé à clore les négociations. Les dirigeants ne veulent visiblement pas que la Turquie adhère à l’Union après 30 années de stagnation. Et les eurodéputés constatent une perte de temps au vu du non-respect des droits de l’Homme, critère indispensable à une entrée dans l’UE et les récents événements autoritaires dans le pays.
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